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Baluchonnage, un moment de répit

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Depuis 2019, 40 structures à domicile proposent en France des solutions de relayage de l’aidant au titre d’une expérimentation qui a été reconduite pour deux ans. Quinze d’entre elles ont choisi d’aller au-delà en intégrant le baluchonnage à leur cahier des charges. Principe : le professionnel intervient de 36 heures à six jours consécutifs chez la personne.

« J’ai découvert le Baluchonnage en regardant un documentaire. J’ai suivi une formation et démarré mes missions en juillet 2021. C’est un choix assumé. J’ai tout quitté pour cette philosophie de soin dans laquelle je m’épanouis pleinement », confie Julie Almodovar qui a été infirmière en secteur hospitalier pendant quinze ans. Prendre son temps, retrouver le plaisir d’accompagner, se sentir utile, ne plus avoir l’impression d’être maltraitant en regardant sans cesse sa montre. C’est clairement l’état d’esprit de ces nouvelles professionnelles qui marchent sur les traces des pionnières québécoises et belges. Créé en 1999 au Québec, le baluchonnage est né à la suite d’une simple question posée à un aidant par Marie Gendron, alors chercheuse à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal : « Accepteriez-vous de prendre quelques jours de répit si je vous remplaçais une ou deux semaines à la maison ? » L’aventure durera dix ans pour la spécialiste qui avait la volonté de « mettre à l’essai certaines stratégies pour aider des proches » de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

L’initiative québécoise a rapidement intéressé quelques spécialistes en France. S’est ensuivi un long travail de lobbying. Deux décennies plus tard, ses partisans ont obtenu la possibilité d’expérimenter le relayage (ce terme générique a été privilégié afin d’envisager tous les modèles de développement dont le baluchonnage) dans le cadre de l’appel à projets porté en 2018 par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Avec une condition : que l’expérimentation concerne uniquement les services à domicile privés et non les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ainsi, 41 structures ont été sélectionnées.

Le statut des salariés

« Il s’agit de l’émergence d’un nouveau métier, il faut donc éviter toute ubérisation ou le travail au noir avec des interventions sans contrôle qui pourraient conduire à des actes de maltraitance », prévient Jean-Marie Pujol, président de l’association CDSEA 91 et membre de l’organisation patronale Nexem. Pour prévenir les dérives, Baluchon France a élaboré un cahier des charges permettant aux professionnels de bien préparer une mission, de pouvoir la refuser, de bénéficier d’une sécurisation grâce à une permanence téléphonique 24 heures sur 24 ou encore un temps de récupération post-intervention. « On a eu un gros problème de décompensation de la démence d’une personne accompagnée, en l’absence de l’aidant, mais le fait que la “baluchonneuse” soit une aide-soignante très expérimentée a permis de gérer cette situation difficile. Les baluchonneuses sont en contact quotidien avec la coordinatrice avec qui elles échangent par téléphone et ont la possibilité d’appeler à l’aide si elles ont besoin d’être relayées », rappelle Annie Faderne, coordinatrice de Baluchon Sud-Gironde.

Du côté des partenaires sociaux, la frilosité est clairement affichée. Pour cause, basée sur la loi dite « Essoc »(1), des restrictions au droit du travail ont été nécessaires. « Le dispositif peut sembler au premier abord tout à fait adapté. Mais pour le mettre en place, il faut déroger au droit du travail et aux conventions collectives applicables, puisque l’aide à domicile explose son amplitude horaire. Nous sommes opposés aux formes dérogatoires. Nous nous battons déjà pour faire respecter les droits les plus élémentaires des professionnels dans ce secteur car il y a aussi une grande opacité sur la façon dont les heures sont rémunérées », alerte Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale en charge de la protection sociale à la CFDT. L’expérimentation a néanmoins été reconduite en décembre 2021 pour deux ans avec une ouverture aux services à domicile publics même si aucun appel à projets n’a été passé.

L’enjeu consiste désormais à mesurer son impact sur les personnes aidées, les aidants et les professionnels. Si les deux premières années le nombre d’interventions a été jugé insuffisant, principalement en raison de la crise sanitaire, les responsables des services à la personne volontaires, premiers témoins de l’épuisement des aidants, avaient tous conscience des besoins sur le terrain. Les problèmes sont apparus lors de la mise en œuvre, jugée particulièrement compliquée.

Lever les freins financiers

« Il a fallu bien borner les choses juridiquement. Nous avons fait appel à une juriste pour nous aider à construire un modèle qui respecte les conventions collectives des quatre structures adhérentes de l’association Génération à domicile », explique Annie Faderne. Et pour cause, les services de l’Etat ont accepté de déroger au droit du travail ; en revanche, les employeurs ont dû tout organiser : le recrutement, le management, sans parler de l’épineuse question financière. « Les débuts ont été difficiles, car il a fallu mobiliser tous les partenaires : les mutuelles, les caisses de retraite… Le département nous aide dans le Val-d’Oise mais pas à Paris. On se débrouille aussi en fonction des situations des bénéficiaires », constate Sofiane Mediene, directeur de l’agence Auxi’Life Paris.

Convaincue de longue date de l’intérêt du relayage, Marie Poncet, directrice des services Alzheimer chez SMD Lyon, était ravie de candidater à l’expérimentation avant de vite déchanter. En deux ans, elle n’a pu proposer aucun relayage faute de solution financière et malgré une demande importante de devis. « On était une quarantaine de services expérimentateurs au départ, je ne comprends pas pourquoi ils devraient chercher dans leur coin des financeurs sur leur territoire. Ce modèle d’inégalité territoriale doit changer. J’ai simplement démontré que sans financement, ça ne marchera pas. Qu’on nous donne les moyens et nous prouverons la pertinence du relayage ! » D’autres acteurs, au contraire, ont pu multiplier les missions. Mais, après avoir participé à six baluchonnages en Gironde, Julie Almodovar ne peut plus exercer faute de subventions alors même que les demandes se multiplient.

Des publics élargis

A la différence du Québec où le baluchonnage est né pour répondre à l’épuisement de proches de malades atteints de la maladie d’Alzheimer, la France prône un élargissement des indications à tous les âges et tous les handicaps. Seule restriction : que l’aidant accompagne un proche « demandant une surveillance constante ». Au fil des mois, les services à domicile ont reçu des sollicitations de parents d’enfants en situation de handicap. « Ce n’était pas dans ma culture professionnelle, mais compte tenu de la situation d’urgence, on a pu apporter une réponse au sein d’un foyer où deux enfants sont handicapés. Les parents étaient épuisés et la famille refermée sur elle-même. Si cette expérience s’est soldée par une belle réussite, c’est parce que nous avons bien préparé en amont l’intervention, en sélectionnant dès le départ le professionnel qui pouvait gérer la situation. Les parents sont partis quatre jours, totalement sereins », confie non sans émotion Annie Faderne, qui n’a pu honorer de nombreuses demandes de répit faute de ressources humaines suffisantes.

La poursuite de l’étude d’impact va permettre de mesurer les bienfaits et les insuffisances de l’offre de répit de longue durée. Ancien président de Baluchon France, le gérontologue Alain Koskas milite pour l’obligation d’une compétence et d’une qualification élevées pour le métier de baluchonneur, en éthique comme en pratique. Les militants de la première heure souhaitent voir le dispositif pérennisé, financé mais surtout ancré dans la qualité. Pour cause, la diversité des publics accompagnés exige des formations spécialisées. « Si le baluchonnage contribue au maintien à domicile en s’inscrivant dans le parcours de vie du bénéficiaire, s’il crée de la valeur sociale encore si peu valorisée dans notre secteur, une question est néanmoins en suspens : celle de son modèle économique et de son financement pérenne », prévient Marianne Piskurski, ancienne directrice de l’association Aidomi qui participe à l’expérimentation, et actuelle directrice générale de l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles). A cette condition seulement, le Baluchonnage pourrait ouvrir la voie à une nouvelle culture professionnelle.

Relayage ou Baluchonnage ?

Suppléance, répit, relayage et baluchonnage sont des termes utilisés dans les mêmes contextes, mais leur signification est différente. Selon Frédérique Lucet, fondatrice de Baluchon France : « Le relayage est une forme de répit au domicile dans laquelle un professionnel unique ou une équipe de professionnels prend le relais de l’aidant pour quelques heures ou quelques jours, en mode mandataire ou prestataire. En revanche, le baluchonnage est une méthode spécifique qui permet de fournir à l’aidant un répit de longue durée au domicile – trois à six jours consécutifs – grâce à un professionnel unique, formé et accompagné par l’organisme porteur qui l’emploie, en mode prestataire uniquement. »

L’expérience québécoise

Le baluchonnage est né au Québec en 1999 pour lutter contre le turn-over des aides à domicile et apporter de la sérénité aux personnes atteintes de troubles neurodégénératifs qui devaient constamment s’adapter à de nouveaux intervenants.

En France, si les relayeurs sont recrutés par les services à domicile, au Québec, les baluchonneurs travaillent directement pour Baluchon Alzheimer. Tous volontaires, ils choisissent le type de publics qu’ils souhaitent accompagner et définissent leur nombre de jours travaillés (14 jours au maximum). « Depuis 22 ans, les besoins des proches aidant demeurent exactement les mêmes. La seule différence est qu’avec le vieillissement de la population, l’urgence est davantage marquée. Jusqu’à une période récente, nous travaillions surtout auprès de personnes âgées atteintes de troubles neurocognitifs. Maintenant, nous accompagnons un large éventail de personnes non autonomes », explique Sophie Morin, directrice générale de Baluchon Alzheimer. Les équipes ont eu beau s’agrandir, la liste d’attente des demandes de répit s’allonge. Mais il aura fallu neuf ans aux pionniers pour que le baluchonnage soit reconnu par le ministère de la Santé. Aujourd’hui, il bénéficie d’un financement public auquel s’ajoutent des fonds de donateurs privés.

Notes

(1) L’article 53 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance permet l’expérimentation de dérogations au droit du travail dans le cadre de la mise en œuvre de prestations de suppléance à domicile du proche aidant.

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