Les années 2020-2021 resteront dans les annales comme une période éprouvante. « J’ai observé chez tout le monde un surcroît d’épuisement dû aux changements de contexte brutaux que nous avons vécus », rapporte Maryse Bastin Joubard, directrice générale d’Ocellia, école des métiers de la santé et du social en Auvergne-Rhône-Alpes. « Tout au long de l’année, la crise a contraint le temps de formation des étudiants », rappelle de son côté Jean-Michel Godet, directeur de l’institut régional du travail social (IRTS) Normandie-Caen. Les établissements de formation soulignent toutefois une meilleure maîtrise des modes de formation en distanciel grâce à l’expérience du premier confinement. Un « galop d’essai », en quelque sorte, qui a permis de garantir la continuité pédagogique cette année. « Nous étions un petit peu plus aguerris en septembre dernier, pointe Maryse Bastin Joubard. L’adaptation a été moins violente que l’année précédente et le climat général moins anxiogène. » Tandis qu’Eric Marchandet, directeur général de l’IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne, rappelle : « En mars 2020, la plupart des centres découvraient la visio. Aujourd’hui, donner un cours en visio ne pose plus de problème à personne. »
Si les outils tels que Teams ont fait l’objet d’une meilleure appropriation, il n’a pas toujours été évident de maintenir une dynamique d’apprentissage à distance. Alors qu’il s’agit de formations essentiellement fondées sur les rapports humains, certains étudiants n’ont presque pas pu échanger en face à face avec leurs professeurs ou leurs camarades de toute l’année scolaire, souligne Romain Birolini, président sortant de la Fnems (Fédération nationale des étudiants en milieu social). « Comment s’investir dans ce contexte ? s’interroge-t-il. Sans compter que certains ne disposaient pas de l’équipement nécessaire pour étudier dans de bonnes conditions. » « Il y a eu des problèmes de matériel et de connexion dans les zones blanches, constate également Florence Fondeville, directrice “formations et recherche” à l’institut de formation Erasme. Toutefois, des étudiants se sont entraidés au sein des promos. »
Malgré les obstacles rencontrés lors de sa mise en place, le mode d’apprentissage en distanciel séduit des équipes de direction, qui y voient un fort potentiel pédagogique. Certains établissements pensent ainsi à adapter durablement leur manière d’enseigner. « Un parcours de formation ne doit pas nécessairement être réalisé en présentiel de bout en bout, faisant l’objet de déplacements quotidiens sur le centre de formation, analyse Jean-Michel Godet. Nous avons énormément appris durant cette période. C’est dans notre intérêt de revisiter les modalités pédagogiques. » Pour Maryse Bastin Joubard, tout est une question de dosage : « Nous pouvons, par exemple, imaginer deux ou trois jours de distanciel par semaine et repenser certains travaux. L’important est de garder ce qui touche au métier et à la professionnalisation en présentiel et en petits groupes. »
Comme dans toutes les filières, la crise sanitaire a eu des conséquences sur la santé mentale des étudiants. Cet impact psychologique a dû être pris en compte par les organismes de formation en travail social. « Cette année, les formateurs ont doublé le temps de suivi individuel avec certains jeunes en difficulté ou isolés pour ne pas les perdre », illustre Florence Fondeville. A l’IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne, une psychologue a même été embauchée – une première pour l’établissement. « Elle n’effectue pas d’accompagnement, mais, après une ou deux séances, elle oriente les étudiants vers les services appropriés », détaille son délégué général Eric Marchandet. Au sein de l’organisme de formation Askoria, des projets créatifs ont vu le jour. « Nous avons mis en place des animations de théâtre pour permettre une expression collective, au lieu d’un suivi thérapeutique individuel, explique Marc Rousseau, son directeur général adjoint. C’est un enjeu pour nous d’accompagner au-delà de la formation. »
Autre point épineux, cette année, pour les étudiants en travail social : la recherche de stage. Si les établissements sociaux et médico-sociaux sont restés ouverts malgré l’évolution de la pandémie, les professionnels ont quant à eux continué de gérer des situations de crise complexes. Nombreux sont également ceux à avoir en partie télétravaillé. Un changement d’organisation qui a lourdement impacté les capacités des structures à accueillir des stagiaires dans de bonnes conditions. « Je pense notamment aux étudiants assistants de service social, qui ont rencontré beaucoup de difficultés car le télétravail était de mise dans la plupart des institutions, rapporte Romain Birolini. En début d’année, cela a aussi été extrêmement compliqué pour les étudiants éducateurs de jeunes enfants, puisque les structures de la petite enfance ont été fermées pendant de longues périodes. La crainte de ne pas trouver de stage a généré de l’anxiété. »
Heureusement, au fil des mois et des épisodes pandémiques, des textes réglementaires sont venus assouplir les conditions d’accueil pour la majorité des filières. Il a ainsi été permis de réaliser moins d’heures de stage, d’effectuer plusieurs stages au sein d’une même structure là où l’on appelait auparavant à la diversification, et d’être encadré par un professionnel exerçant un autre métier que celui préparé par l’étudiant. Ces dérogations ont été des soupapes de sécurité. Elles ont, dans le même temps, mis l’accent sur une question de fond, estime Maryse Bastin Joubard : « Nous n’avons pas demandé des conditions de stage au rabais. Nous croulions sous l’obésité bureaucratique. » Et Marc Rousseau confirme : « Tout cela montre qu’il est important d’innover sur les modalités de la formation pratique. Nous devons penser à des stages collectifs ou des stages qui peuvent être réalisés dans des secteurs connexes, comme l’économie sociale et solidaire. »
A ces difficultés se sont ajoutées celles liées à la réforme des diplômes en travail social. Déjà engagée depuis la rentrée 2018, elle comprend un transfert de compétences de l’Etat aux structures de formation sur l’organisation d’un certain nombre de certifications. Les différents acteurs pointent un travail titanesque, alors que les premières promotions s’inscrivant dans ce cadre réglementaire viennent de passer leurs examens. « Nous ne pourrons pas tenir à la fois l’offre pédagogique et l’offre de certification sans soutien budgétaire ni réflexion de fond, s’indigne la directrice générale d’Ocellia. Il y a eu une sous-estimation logique des heures que ce transfert implique. Nous l’avons évalué à 350 € par étudiant, c’est énorme. » « Cette charge de travail supplémentaire a été exacerbée par le Covid-19, complète Florence Fondeville. Nous avons eu beaucoup de cas de jury absent au dernier moment, d’étudiants qui étaient cas contacts ou fragiles. »
Concernant l’absentéisme, difficile pour les équipes de dire s’il a été plus important cette année que les précédentes. « Sur certaines promotions, nous notions que tout le monde était connecté, mais lorsqu’il y a un écran noir, il est finalement compliqué de savoir si l’étudiant est bien présent à écouter le cours », souligne Eric Marchandet. Le taux de décrochage scolaire observé est, quant à lui, parfois plus élevé. « Il n’y a pas eu de décrochage massif, mais nous avons tout de même constaté des abandons ou des arrêts de formation conséquents au cours de l’année, note Marc Rousseau. Sur une promotion de 80 étudiants en première année, il y a par exemple eu cinq arrêts de formation et une suspension. » Quel rôle la pandémie a-t-elle joué dans ces décrochages ? Là encore, cela reste compliqué à évaluer. En cause, notamment, l’incidence du système Parcoursup et d’un processus d’admission chamboulé sur l’orientation des jeunes. « Pour la rentrée 2020, le système d’admission Parcoursup était plus prudent que d’ordinaire. Un certain nombre d’organismes n’ont pas maintenu les entretiens de sélection, il s’agissait uniquement d’études réalisées sur dossier, rapporte le directeur de l’IRTS Normandie-Caen. En conséquence, au premier semestre 2020, il y a eu des abandons ou des réorientations de candidats qui avaient passé le cap de la sélection, mais ne se retrouvaient pas dans le programme et le contenu de la formation. Il y a eu de la désaffection. »
A l’heure où nous écrivons ces lignes, difficile de savoir si le taux de réussite diffère significativement des années précédentes car beaucoup d’étudiants n’ont pas encore obtenu leurs résultats. Les chiffres sont tombés pour certains diplômes, comme celui de moniteur-éducateur. Sur les 26 candidats présentés pour le site de Montrouge de l’IRTS francilien, le taux de réussite s’établit à 69 %. Pour la petite trentaine de candidats du site de Neuilly-sur-Marne, il est de 82 %. En juin dernier, 96 % des étudiants présentés aux épreuves du DEME (diplôme d’Etat de moniteur-éducateur) avaient obtenu leur examen dans cet institut. Un taux « anormalement élevé », selon Eric Marchandet. « Ceci est lié aux règlements des examens qui ont été appliqués normalement cette année, à la différence de l’année précédente où ils avaient été très adaptés à la situation, note le directeur général de l’établissement. Et, vraisemblablement, aux conditions d’enseignement fortement dégradées par la situation sanitaire, malgré nos efforts, entraînant un désintérêt des étudiants. » « Les premiers résultats pour les moniteurs-éducateurs sont plutôt honorables », pointe quant à lui le directeur général adjoint d’Askoria, qui n’observe pas de différence marquante avec les autres années.
Au final, quid de la valeur sur le marché du travail des diplômes obtenus cette année ? A l’unanimité, les organismes de formation balaient cette question. « Un diplôme d’Etat reste… un diplôme d’Etat », résume Jean-Michel Godet. Marc Rousseau ajoute : « Apprendre autrement, ce n’est pas moins apprendre. »