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Les plus pauvres sont les plus grands perdants

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Il est plus que temps d’écouter les plus précaires, pour qu’enfin les politiques publiques cessent de les mettre toujours plus en difficulté. Or, depuis trois ans, leur situation se dégrade, et les décisions prises par le gouvernement y sont pour beaucoup.

OFCE, Insee, IPP, Cour des comptes, Oxfam, Onpes, Secours catholique… Les rapports et alertes se succèdent et vont dans un même sens : depuis le début du quinquennat, la part des personnes sous le seuil d’extrême pauvreté augmente, les plus pauvres restent les grands perdants des mesures budgétaires et sont les seuls à ne pas avoir vu, depuis trois ans, leur pouvoir d’achat augmenter significativement. Ces rapports démontrent l’urgence d’évaluer les politiques publiques sur les 10 % les plus pauvres.

Concrètement, cela signifie que les conditions de vie des familles se dégradent, que les conditions de logement se précarisent et que les taux d’effort sont en augmentation.

Ainsi le dernier rapport de l’Observatoire des inégalités cloue-t-il au pilori le discours sur le “pognon de dingue”, sur les “premiers de cordée” et sur le “ruissellement” des richesses concentrées en haut de la pyramide.

Injustices sociales

Face à ces constats unanimes, le ministère des Solidarités et de la Santé, à l’issue du conseil des ministres du 12 février dernier, a souhaité présenter dans son compte rendu “le bilan des actions du gouvernement en matière de justice sociale”. En quatre points : la mise en œuvre du 100 % santé (aides auditives, lunettes de vue et prothèses dentaires pour tous) ; la complémentaire santé solidaire ; la prime d’activité ; le service public de versement des pensions alimentaires. Certes, ce sont des avancées, mais qui sont loin d’être suffisantes pour permettre aux 2 millions de personnes qui vivent avec moins de 682 € par mois de sortir de la survie à laquelle elles sont aujourd’hui condamnées. Ces mêmes personnes étant privées d’emploi ne sont, de ce fait, pas concernées par la prime d’activité.

C’est un autre bilan que le gouvernement aurait pu dresser de la liste des “injustices sociales” qui touchent de plein fouet les plus pauvres pour mesurer le chemin qui reste à parcourir pour éradiquer la grande pauvreté. Car c’est bien l’objectif fixé par le président de la République en septembre 2018, lors du lancement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

Parmi les lois et mesures qui aggravent la situation, le gouvernement aurait pu citer : l’absence de revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) et la désindexation de plusieurs prestations sociales, la baisse et le gel des aides personnalisées au logement (APL), la réduction des loyers de solidarité (RLS) en HLM, l’affaiblissement de la loi “SRU” et le démantèlement du parc social prévu par la loi “Elan” pour pallier le désengagement de l’Etat, la suppression des emplois aidés sans solution de remplacement immédiate pour ceux qui en bénéficiaient, le parcours du combattant pour obtenir des minima sociaux qui ne permettent pas d’assurer à chacun des “revenus convenables d’existence” avec son corollaire, le non-recours aux droits persistant, la réforme de l’assurance chômage avec le risque de basculement des travailleurs précaires vers le RSA, ou encore le renforcement des contrôles plutôt que les créations d’emploi… Autant de mesures qui vont à l’encontre de l’objectif annoncé et auxquelles s’ajoutent celles touchant les personnes nouvellement arrivées sur le territoire, comme la réforme de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).

Un certain nombre de mesures gouvernementales et des discours qui les accompagnent s’appuient sur des préjugés qui n’ont pas disparu, malgré la loi contre la discrimination pour précarité sociale : ainsi, les aides financières encourageraient l’oisiveté quand la complexité dans l’accès aux droits et les contrôles renforcés seraient justifiés pour lutter contre les risques de fraudes…

Le gouvernement aurait pu également inscrire dans son bilan la suppression de l’Onpes (Office national de la pauvreté et de l’exclusion sociale) tel qu’on le connaît actuellement, et dont l’intégration au sein du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) interroge. Acquis majeur de la loi contre les exclusions de 1998 et organe jusqu’alors indépendant mêlant la connaissance expérientielle et scientifique sur une situation qui touche une personne sur dix en France, l’Onpes était pourtant un instrument unique pour éclairer le débat public sur l’exclusion.

Comment construire alors un contrat social conciliant véritablement efficacité et justice sociale ?

Le « choc de participation » : promesse non tenue

Le 3 juillet 2018, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a remis au gouvernement un avis “pour une approche fondée sur les droits de l’Homme”, dont le premier principe est l’implication des titulaires de droits. Cette approche aurait pu être mise en œuvre afin de concrétiser le “choc de participation” promis par Emmanuel Macron dans la stratégie de lutte contre la pauvreté.

A travers la démarche du croisement des savoirs et des pratiques, ATD quart monde et ses partenaires ont mis en lumière combien les travaux réalisés entre professionnels, chercheurs et personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté pouvaient transformer un projet, son approche et ses résultats.

Si cette participation des premiers concernés avait été réellement mise en œuvre en amont des mesures préalablement citées, la plupart d’entre elles – déplorables pour les plus pauvres – n’auraient pas vu le jour. Pour ne prendre qu’un exemple : la baisse des APL de 5 €. Si les membres du gouvernement avaient été en lien avec des personnes vivant avec 540 € par mois, la confrontation aurait permis un examen de la proportionnalité entre l’objectif gouvernemental de faire des économies et l’impact sur les familles les plus pauvres de cette politique. La décision n’aurait, espérons-le, pas été la même ! L’exercice peut être réalisé pour toutes les mesures. Il aurait sans aucun doute mis en évidence que la lutte contre la pauvreté et pour l’accès aux droits ne peut se résoudre à un empilement de mesures, mais qu’elle nécessite d’avoir une vision globale et de prendre en compte, comme le préconisait la loi de 1998, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits fondamentaux, seules à même de garantir l’égale dignité.

On ne peut évidemment pas nier les difficultés de ce type d’approche, notamment en matière de logistique. Mais au vu des résultats limités des mesures, dispositifs et autres lois censés avoir un impact positif sur la pauvreté depuis des dizaines d’années dans notre pays, notre conviction est qu’il est temps d’essayer autre chose.

L’avis de la CNCDH donne des pistes concrètes, expérimentées par le mouvement ATD quart monde, pour garantir les conditions d’une participation effective des représentants de personnes en situation de pauvreté, indispensables à la construction des politiques publiques, mais aussi à leur mise en œuvre, leur suivi et leur évaluation : modes de travail respectueux du rythme des personnes, travail collectif laissant le temps de la concertation, organisation permettant à des personnes souvent peu ou pas diplômées et inaccoutumées à ce genre de consultation d’élaborer une parole véritablement collective et de contribuer sereinement aux travaux. Ce sont là les conditions sine qua non à leur véritable participation, pouvant éviter que leur contribution se réduise au témoignage de leur expérience personnelle, si riche soit-elle.

Si les débats publics, concertations et autres conventions lancés par le gouvernement sont loin d’illustrer cette approche, nous avons envie de croire que la raison réside davantage dans le manque d’expérience que dans une mauvaise volonté assumée.

Aussi, c’est parce que les conditions de la participation énumérées plus haut nous semblent réunies que des militants du mouvement ATD quart monde ayant l’expérience de la grande pauvreté ont accepté de participer à deux concertations proposées par le gouvernement. L’une à l’invitation du secrétariat d’Etat au numérique et la seconde, avec la Haute Autorité de santé, autour de la protection de l’enfance. Travail approfondi entre groupes de pairs, concertation et coconstruction sur un temps suffisamment long, garantie que les contributions seront intégrées dans les documents finaux et pourront avoir un impact sur les décisions finales sont autant de gages qui devraient ainsi permettre l’expérience d’une réelle et pleine participation des personnes concernées.

Nous sommes convaincus que cette approche constitue une plus-value favorisant l’émergence de politiques publiques plus cohérentes, plus efficaces dans la durée et davantage en conformité avec les engagements internationaux de la France et les droits humains.

Contact : isabelle.bouyer@atd-quartmonde.org

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