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“De la santé mentale à la santé comportementale”

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Issu d’un texte signé par 19 sociétés et associations psychanalytiques, le livre Ce que les psychanalystes apportent à la société, coécrit par Patrick Landman, démontre la singularité de la psychanalyse. Une discipline qui, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, ne s’oppose pas aux neurosciences dans la prise en charge de l’autisme et de la maladie mentale.
Ce livre est-il le signe que la psycha­nalyse a besoin d’être réhabilitée ?

L’idée était d’abord de créer un événement historique : c’est la première fois qu’un texte – dont est tiré ce livre – est signé par l’ensemble des associations françaises de psychanalystes. Cela relève de l’exploit car, jusqu’à présent, les professionnels étaient plutôt divisés. Ils ont réussi à surmonter leurs divergences pour sauver, un peu, la cause. La psychanalyse n’est pas en danger, mais il faut reconnaître que les psychanalystes ont fait des erreurs. Ils ont cru que l’on pouvait tout expliquer par l’inconscient, tout soigner par la parole. Leur hégémonie dans la société et dans l’ensemble de la psychiatrie a été excessive. Ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. La psychanalyse est un outil extraordinaire, mais elle a ses limites. Elle est utile dans certains cas, pas dans d’autres. De plus en plus de psychanalystes en sont conscients, nous arrivons à une phase de maturation. Mais j’ai connu une époque, il est vrai, où la doxa était de considérer que les parents, et notamment les mères, avaient une part de responsabilité dans l’autisme de leur enfant.

Cela vous vaut encore de nombreuses attaques, non ?

Les campagnes répétitives contre la psychanalyse émanent principalement de certaines associations de parents, particulièrement influentes auprès du ministère de la Santé. Ces attaques sont très virulentes et les méthodes utilisées parfois très stigmatisantes, voire sectaires. Leur haine des psychanalystes est totale et leur but est de les balayer de ce champ. Certes, il y a eu des fourvoiements, mais les neuro­scientifiques aussi ont raconté des âneries. Il ne faut pas oublier que les psychanalystes ont été les premiers à s’intéresser aux autistes quand personne ne s’occupait d’eux. Et certains enfants ont été très bien pris en charge. Nous ne sommes plus dans les années 1970-1980. A l’époque, les psychanalystes avaient comme univers conceptuel les psychoses et pensaient que les interactions avec les parents jouaient un rôle important dans ces maladies. Ils ont transposé cette idée sur l’autisme sans se rendre compte que ce n’était pas pareil. Petit à petit, les connaissances ont évolué, mais il y a eu des résistances et beaucoup de psychanalystes – pas tous – ont continué à mettre psychose et autisme dans le même sac. Depuis, ils se sont adaptés et ont revu leur façon de voir.

La société est avide de résultats, d’efficacité… Peut-on évaluer la psychanalyse ?

Pendant longtemps, les psychanalystes français, contrairement aux Anglo-Saxons, ont refusé les évaluations, estimant qu’elles étaient réductrices. Aux Etats-Unis, énormément d’études montrent l’efficacité des cures psychanalytiques dans les troubles anxieux, de l’humeur, dans les pathologies de la personnalité « borderline », voire dans les psychoses. Ces études sont tout à fait acceptables d’un point de vue méthodologique et très intéressantes, mais ne sont pas suffisamment diffusées. Sans vouloir faire un plaidoyer pro domo, notre livre répond à cette grande critique que la psychanalyse n’est pas scientifique. Il y a une psychiatrie pharmacologique mais la psychiatrie scientifique n’existe pas encore. L’imagerie cérébrale et les marqueurs biologiques, présentés comme le nec plus ultra pour visualiser les troubles mentaux, sont loin d’être utilisables dans la clinique. Je suis médecin, donc arrimé à la science, mais, pour l’instant, nous sommes dans une sorte de bulle spéculative. Les méthodes comportementalistes en vogue dans l’autisme ne s’opposent pas aux thérapies par la parole. Il faut des prises en charge intégratives qui tiennent compte de chaque sujet et qui se complètent les unes les autres. Nous savons aujourd’hui que la méthode « ABA », mise en place précocement et intensivement et validée par la Haute Autorité de santé dans l’autisme, donne des résultats très décevants : de l’ordre d’à peine 2 % d’intégration scolaire, contre 30 % visés.

Justement, comment expliquez-vous cet engouement pour les neurosciences ?

Les neurosciences sont une très belle trouvaille et il faut soutenir la recherche. Le problème est qu’il faut distinguer la science elle-même du discours et de son extension quasiment idéologique. Actuellement, les neurosciences ont quelques applications possibles chez les personnes cérébrolésées, mais la schizophrénie, par exemple, ne peut pas être réduite à une maladie du cerveau que l’on distinguerait au scanner comme on voit une tumeur au cerveau. C’est un fantasme. En matière de troubles mentaux, les choses sont très complexes. Nous sommes obligés de faire des diagnostics cliniques et d’accompagner les patients sur le terrain relationnel et social. La folie n’a pas disparu. La « neuro-mania », comme disent les Anglo-Saxons, me paraît même dangereuse en psychiatrie. Nous sommes passés de la santé mentale à la santé comportementale.

Que voulez-vous dire ?

Le statut du symptôme a complètement changé dans la société. Avant, il était vu comme l’expression d’une souffrance plus ou moins globale. Maintenant, il faut vite l’éradiquer car il empêche de fonctionner, d’avoir de bons résultats scolaires, d’être autonome, rentable… Du coup, on découpe, on saucissonne les symptômes. A tel comportement anormal correspond un diagnostic puis une pilule. Sous la pression des institutions, des patients et des parents parfois, il faut aller vite. La tendance est donc à la prescription d’un médicament. Il peut soulager, stabiliser une trajectoire pendant un temps donné, mais il ne suffit pas. Lorsque je prescris de la Ritaline chez un enfant ayant un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), c’est toujours en deuxième intention et je le reçois très régulièrement, ses parents aussi. Souvent, ils finissent par s’ouvrir à la parole et un travail de psychothérapie ou de guidance familiale peut s’engager. Nous arrivons ainsi à dénouer beaucoup de situations et à avoir des résultats extraordinaires.

La psychanalyse a donc bien une place dans la société ?

Oui, et aux Etats-Unis le balancier est en train de pencher à nouveau de son côté. Nous sommes des êtres parlants. La parole est fondamentale et, lorsqu’elle est accueillie avec éthique et bienveillance, elle peut aider à s’émanciper des traumatismes, des impasses dans lesquels nous sommes pris à cause notamment d’histoires familiales. La psychanalyse ne réussit pas tout le temps et pour tout le monde, mais elle est le meilleur moyen pour chercher à en savoir un peu plus sur cet inconscient qui gouverne nos symptômes, nos dépressions, nos empêchements, nos comportements… Elle permet cette liberté subjective. Sans être dogmatique, se passer de Freud serait inhumain.

Coauteur

avec Pascal-Henri Keller de Ce que les psychanalystes apportent à la société (éd. érès), le psychiatre, pédopsychiatre et juriste Patrick Landman a également publié Tous hyperactifs ? L’incroyable épidémie de troubles de l’attention, (éd. Albin Michel, 2015), qui dénonce les dangers d’une psychiatrie soumise aux neurosciences.

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