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Aide aux migrants : les bénévoles sous tension

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Entre la fermeté de la politique migratoire et la pression maintenue par la présence policière près des lieux de solidarité du nord de Paris, les bénévoles des associations et des collectifs citoyens accusent le coup et souffrent d’un sentiment d’impuissance dans leur engagement.

Contrôle de papiers par des policiers en civil devant les Restos du cœur de la Villette, patrouilles à proximité des camions de Médecins du monde ou devant la halte humanitaire de l’Armée du salut. Depuis plusieurs mois, dans le nord de Paris, la pression engendrée par la présence des forces de l’ordre près des centres d’accueil et d’aide aux migrants ne retombe pas. « Des personnes ne vont plus prendre un repas ou se soigner de peur que leur situation administrative ne soit contrôlée et qu’elles soient transférées en centre de détention administrative », alerte Aurélie Radisson, directrice du Cèdre, l’antenne du Secours catholique chargée de l’accueil de personnes exilées à la porte de la Villette. « Le risque que les personnes se cachent et accèdent moins à leurs droits s’accentue et cela aboutit à une incapacité de mise en relation entre les bénévoles, les associations et les personnes qui auraient besoin de leur soutien. »

En septembre, aux côtés de la Fédération des acteurs de la solidarité et d’associations comme la Cimade et Médecins du monde, un courrier a été adressé à la préfecture. « Deux mois plus tard, la réponse évoquait des contrôles habituels et ne mentionnait pas les déploiements autour des lieux de solidarité », regrette la directrice, qui indique qu’un nouveau courrier a été transmis. Le barreau des avocats de Paris s’est également fendu d’une missive : plus personne n’osait entrer dans le bus pour consulter un avocat sur les campements à cause de la présence rapprochée de la police. « Cette pression générale est extrêmement violente pour les personnes et impacte l’action associative », poursuit Aurélie Radisson.

Sentiment d’injustice

Une présence d’autant plus renforcée à la suite du démantèlement, le 28 janvier dernier, du dernier campement du nord-est de Paris, à la porte d’Aubervilliers, où plus de 1 400 migrants ont été évacués. Quelques jours après l’opération, de nombreuses personnes du camp se rendaient au Cèdre. « S’ils n’entrent pas dans les cases pour être orientés vers un hébergement plus pérenne, ils sont remis à la rue, déplore la directrice. Les personnes entrent dans les bus dans l’espoir d’être au chaud, d’avoir un endroit un peu plus stable, et se retrouvent finalement dans une situation pire : elles n’ont plus de tentes, plus d’endroits où aller et que la présence policière est forte pour ne pas s’installer, au point de ne pas réussir à s’asseoir. Une forte injustice est ressentie par les bénévoles. L’hébergement inconditionnel est consacré par le droit français. Nous voyons qu’il n’est pas appliqué et ne pouvons rien y faire. » Au Cèdre, une centaine de bénévoles accueillent quotidiennement 300 personnes et se trouvent de plus en plus sidérés par la « violence du système » envers celles et ceux qu’ils tentent d’aider.

« La politique actuelle crée une opposition entre réfugiés et migrants économiques et un bannissement avec la systématisation des interdictions de retour sur le territoire français [IRTF] », ajoute Kaoutar Djemai-Dawood, déléguée régionale de la Cimade à Lyon, qui compte plus de 300 bénévoles. La dernière législation sur l’asile et l’immigration, renforcée depuis le 10 septembre 2018, laisse un goût amer. « Par “bannissement”, nous entendons les personnes en France depuis longtemps qui n’ont pas obtenu ou ont perdu leur titre de séjour et à qui la préfecture continue de délivrer des obligations de quitter le territoire français [OQTF], puis des IRTF. Ce qui les empêche de déposer une demande. Ce droit au séjour n’a rien prévu pour les personnes en France en attente d’une régularisation. » A la Cimade, les bénévoles se retrouvent face aux personnes en difficulté qui « n’entrent pas dans les cases ». De quoi accentuer le sentiment d’impuissance. « Il y a de la frustration chez les bénévoles qui se disent qu’avec le levier du droit, ils se retrouvent de plus en plus à dire aux gens que leur situation administrative ne leur permet pas de rester, y compris à des personnes qui pensaient avoir un avenir en France, qui ont des enfants scolarisés et des attaches ici », déplore Kaoutar Djemai-Dawood.

« Relire le sens de l’action »

Pour l’antenne parisienne du Secours catholique, le retour des bénévoles après les temps d’accueil est lui aussi de plus en plus lourd. « Une forme de souffrance se met en place face à ce trop-plein d’injustice sur lequel nous n’arrivons plus à avoir de prise. Les bénévoles peuvent avoir l’impression de ne pas être utiles, d’être dépassés par les événements vécus par les personnes. Nous essayons de mettre en place une vie d’équipe forte, avec des temps d’échanges pendant lesquels nous pouvons relire le sens de notre action, ça aide », explique Aurélie Radisson.

Deux ans plus tôt, le centre fermait temporairement ses portes pour démarrer une réflexion avec les bénévoles et les personnes accueillies. « En théorie, nous avions moins de cinq minutes à consacrer à une personne, ce qui est contradictoire avec notre volonté d’accueillir chacun dans sa singularité et son humanité. » Pour éviter de laisser s’installer ce sentiment d’impuissance, l’équipe décide de tourner son action vers la mise en lumière de l’injustice politique. « Nous pouvons changer d’action sans vendre notre âme. Le projet du Secours catholique est de combattre la pauvreté, pas de mettre des pansements sur des jambes de bois, donc nous essayons de nous attaquer à la racine du problème. »

Aux côtés d’autres associations, de chercheurs et de formateurs, une réflexion s’est engagée à Paris pour mettre en place des lieux d’échanges pour armer les bénévoles sur ce qui est vécu dans leur engagement : comment être en relation avec des personnes en grande précarité, comprendre les souffrances psychiques et trouver la juste proximité. La Cimade met en place d’autres leviers d’actions et investit le terrain politique. « Nous engageons un travail avec l’opinion pour que nous ayons une autre législation qui prenne en compte la réalité du terrain, ce que vivent les étrangers et les associations qui les soutiennent pour éviter de créer une cocotte-minute à débordement », indique Kaoutar Djemai-Dawood.

Les collectifs en première ligne

« Nos soignants s’alarment de mises à la rue plus systématiques. Il y a une dégradation de l’accompagnement et de l’hébergement d’urgence, et peut-être s’y est-on malheureusement habitués », ajoute Paola Baril, coordinatrice régionale de Médecins du monde à Lyon, avant de pointer une autre inquiétude : « Nous sommes aussi témoins de collectifs citoyens débordés. Comme les besoins sont plus importants, un glissement s’opère vers eux. En association, nous avons d’une certaine manière un cadre qui nous protège, alors que les collectifs, moins structurés, sont en première ligne. » Ces collectifs se créent un peu partout en France, en témoigne la carte interactive dressée par le site sursaut-citoyens.org, qui répertorie 1 200 initiatives de solidarité avec les migrants à travers le pays.

A Lyon, le collectif Jamais sans toit s’est constitué spontanément pour héberger des familles dans des gymnases et des écoles où sont scolarisés leurs enfants. « Le système est en déséquilibre, témoigne l’un de ses bénévoles. Entre les cas qui se révèlent, la volonté administrative de les traiter et les capacités d’hébergement, il y a un décalage numéraire. L’administration laisse pourrir les situations et joue la montre, ce qui crée forcément des tensions, de la fatigue, de l’énervement et de la désespérance. » Dans la banlieue lyonnaise, à Vaulx-en-Velin, la récurrence des situations pèse également sur le moral de ceux qui s’engagent. « Chaque année, il y a cinq ou six écoles concernées et la municipalité a envoyé la police pour relever les identités. Les bénévoles, souvent enseignants ou parents d’élèves, y voient un acte d’intimidation, tout comme le courrier d’une inspectrice de l’Education nationale pour rappeler que les locaux scolaires ne devraient pas servir à cela. Ce qui a finalement tendance à remonter temporairement l’énergie des collectifs… Ce qui use vraiment, ce sont les situations qui s’encroûtent et les politiques qui cherchent à nous faire renoncer. » Pour gérer les frustrations et les difficultés que peuvent rencontrer les bénévoles, la plupart des associations ont déjà des dispositifs de soutien psychologique. Une trajectoire que pourraient emprunter les collectifs citoyens pour poursuivre leur engagement dans le contexte actuel.

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