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Les mineurs en première ligne

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« Grooming », « sextorsion », « live streaming »… Des mots nouveaux apparaissent pour décrire différentes formes de cyberviolences dont sont victimes de plus en plus de mineurs sur le web. Un sujet préoccupant, débattu le 28 janvier à Paris lors d’un colloque à l’initiative du Centre de victimologie pour mineurs.

D’abord, « LA » bonne nouvelle : la majorité des jeunes (85 %) vont bien. Puis la mauvaise : les cyberviolences augmentent chez les mineurs. Parmi les 6-18 ans, 10 % déclarent avoir été agressés ou harcelés sur Internet ou les réseaux sociaux. Un taux qui peut grimper à 40 % dans certaines études. Face à ce phénomène, le Centre de victimologie pour mineurs (CVM) a souhaité mieux cerner les problématiques lors d’un colloque organisé à Paris le 28 janvier. « Les violences ont toujours existé, elles sont même moins nombreuses de nos jours qu’il y a un siècle. Sauf qu’aujourd’hui elles engagent moins le réel, elles sont devenues virtuelles », souligne le sociologue Christophe Moreau.

Rumeurs, humiliations, diffamation, mise à l’écart, discrimination à répétition, chantage… Le harcèlement sur la toile est le plus répandu. Il passe par les réseaux sociaux (Snapchat, Facebook, Instagram, Youtube…), mais pas seulement. Depuis 2018, il y a une hausse de 3 000 % des adolescents se faisant harponner par des prédateurs sexuels ou des escrocs par le biais de jeux vidéo en réseau. Par exemple, pour passer un palier dans un jeu, un message s’affiche sur l’écran demandant au joueur de réaliser des actes sexuels en ligne.

Le « grooming » ou « sextorsion » est également en vogue : l’adulte se fait passer pour un mineur auprès d’un adolescent afin de lui extorquer des photos ou des vidéos à caractère sexuel, puis de l’argent pour qu’il ne les rende pas publiques. Une méthode utilisée aussi dans les relations amoureuses, via le « revenge porn » ou le « sexting ». « L’envoi de photos dénudées est tendance chez les jeunes, mais, en cas de séparation ou de malveillance, elles peuvent servir d’emprise pour du chantage monétaire. Nous recevons 10 à 50 appels par jour pour ce motif », pointe Samuel Comblez, directeur des opérations à l’association e-Enfance (voir encadré). Ces différentes pratiques seraient à l’origine de 45 000 signalements par an, mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. Avec 100 000 connexions (adresses IP) à des sites pédopornographiques chaque année en France, le risque pour les mineurs d’être piégé est énorme, selon Véronique Béchu, qui dirige une unité de police dédiée à ce sujet. Une expérience, menée par son équipe entre 12 heures et 14 heures sur le réseau Skyrock, a révélé que, en deux heures, 190 hommes adultes ont envoyé un message pour demander à être connectés en privé avec un adolescent, soit un message par minute.

La loi du silence

Autre pratique, venue des Philippines : le viol à distance ou « live streaming ». Face à leur ordinateur, des pédophiles regardent des viols en direct d’enfants (recrutés dans les pays pauvres) que des rabatteurs de sites pornographiques leur organisent selon leur desiderata, pour 30 dollars de l’heure. Environ 300 adultes repérés en seraient actuellement adeptes en France.

Le temps passé devant les écrans est l’un des plus grands facteurs de risque d’exposition à la cyberviolence. Or, un enfant âgé de 2 ans y passe en moyenne presque trois heures par jour, puis, entre 8 et 12 ans, quatre heures quarante-cinq et, entre 13 et 18 ans, six heures quarante-cinq – soit davantage que les heures de cours. L’isolement, la faible estime de soi, le rejet par les pairs, les troubles du comportement ou du développement accroissent encore les risques. Les victimes sont à 60 % des filles, et les garçons supposés homosexuels sont aussi des cibles. Le harcèlement ayant lieu 24 heures sur 24, les smartphones étant connectés en tout lieu et en tout temps, les conséquences peuvent être désastreuses : tristesse, colère, culpabilité, absentéisme, décrochage scolaire, insomnie, anxiété avec consommation d’alcool et de drogues, autodestruction (mutilation, scarification), suicide…

Une cybervictime sur quatre témoigne de taux de dépression particulièrement élevés. « Les adolescents mettent du temps à se relever, constate Emmanuelle Peyret, pédopsychiatre au CHU Robert-Debré, à Paris. L’anonymat amplifie la violence, les agresseurs se sentant en sécurité derrière leurs écrans. » Plus surprenant : certaines cybervictimes deviennent à leur tour cyber­agresseurs. Pour désamorcer le processus et se faire aider, une seule solution : parler au plus vite à des personnes de confiance. En pratique, pourtant, la loi du silence prévaut. Les adolescents se sentent coupables, ont honte face à leurs parents, à leurs amis. Ils ont également peur car l’agresseur est souvent proche d’eux, au collège ou au lycée. Autre problème : l’intentionnalité. « On pense que le cyberharcèlement a pour objet de nuire, mais les adolescents ne mesurent pas forcément l’impact de ce qu’ils font en ligne dans la vie réelle. Ils ont le sentiment de jouer et de ne pas être dans la réalité. C’est comme s’ils avaient un déficit d’empathie, d’émotions », estime Christophe Moreau (voir ci-dessous).

Des outils pour se faire aider

• L’association e-Enfance, agréée par le ministère de l’Education nationale, intervient à la demande de toute structure pour sensibiliser les mineurs, les professionnels et les parents aux cyberviolences. Le numéro vert Net Ecoute (0800 200 000), anonyme et gratuit, et un chat en ligne (www.netecoute.fr) sont à disposition des victimes.

• Le dispositif « Internet sans crainte » a créé Stop la violence, un « serious game » pour apprendre à identifier et à lutter contre le cyberharcèlement : www.stoplaviolence.net/game#acceuil.

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