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En quête d’une évaluation multidimensionnelle

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L’évaluation des besoins est le point d’entrée de la prise en charge de la personne en perte d’autonomie. Si la grille Aggir fait l’objet de critiques récurrentes depuis de nombreuses années, se pose encore la question d’un outil répondant à un changement de paradigme attendu par le secteur du grand âge : soutenir l’autonomie plutôt que prendre en charge la dépendance.

Pour les personnes handicapées, l’évaluation des besoins, basée sur le projet de vie, est effectuée par une équipe pluridisciplinaire de la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), avec un outil multidimensionnel (GEVA) et les décisions relatives aux droits de la personne sont prises en commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), composée pour un tiers de représentants des personnes handicapées et de leur famille. Pour les personnes âgées, il n’y a pas de réelle évaluation des besoins mais une mesure de la dépendance. Depuis 1997, la grille Aggir (autonomie gérontologie groupes iso ressources), construite à partir des instruments d’évaluation clinique gérontologique, établit la perte d’autonomie des personnes en donnant droit à compensation, via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Aggir comporte dix variables à coder : cohérence, orientation, toilette, habillage, alimentation, élimination, transfert, déplacement à l’intérieur, déplacement à l’extérieur, communication à distance. La principale critique faite à cet outil porte sur le fait qu’il mesure uniquement un niveau d’incapacité et en aucun cas un besoin d’aide. Pour évaluer un besoin d’aide, il faut en effet intégrer de multiples facteurs complémentaires : le niveau de déficience, l’environnement géographique, affectif, économique de la personne, sa demande, la façon dont elle vit ses difficultés, dont elle veut mener sa vie… Des éléments que la grille Aggir ne prend pas en compte.

Les faiblesses d’Aggir

Depuis de nombreuses années, la pertinence de l’utilisation unique de la grille Aggir est remise en cause. Pourtant, cette grille sert encore de socle commun à l’ensemble des conseils départementaux. Les griefs faits à cet outil ? Des lacunes et insuffisances dans la prise en compte d’autres dimensions de la situation de la personne âgée, de trop grandes variabilités entre les départements et une sous-estimation du poids des maladies neurodégénératives et des troubles cognitifs. Par ailleurs, sous une apparente facilité d’utilisation, la grille Aggir nécessite une formation pour éviter des interprétations erronées. Dès 2001, un comité scientifique pour l’adaptation des outils d’évaluation de l’autonomie, présidé par le docteur Alain Colvez, directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, se penchait sur la question de l’évolution nécessaire de la grille Aggir. En 2003, le rapport « Colvez », issu des travaux de cette commission, insistait notamment sur le fait que la grille Aggir ne permet pas d’apprécier l’environnement de la personne : « Aggir a été trop souvent confondu avec un outil d’évaluation multidimensionnelle, ce qu’il n’est pas. ». Au rang des recommandations du rapporteur : une personne doit pouvoir bénéficier d’une procédure d’évaluation multidimensionnelle, débouchant sur une proposition de plan d’aide, antérieurement à l’examen de ses droits.

Le rapport soulignait par ailleurs que cet outil, au demeurant très sensible à la variation de certains items, tend à mesurer des degrés d’incapacité et non des niveaux de dépendance, tandis que le groupage en GIR ne traduit qu’une correspondance moyenne. Ce document estimait que, sur le plan individuel, il n’existe pas de corrélation systématique entre un niveau d’incapacité et un besoin d’aide. Par ailleurs, faute de fiabilité des items de cohérence et d’orientation, l’identification des personnes atteintes par des difficultés intellectuelles et psychiques s’avère problématique Au-delà de ces critiques, le comité scientifique avait recommandé de confirmer l’utilisation d’Aggir, mais en établissant une distinction très claire entre l’appréciation de la perte d’autonomie et donc l’éligibilité à l’APA, d’une part, et l’élaboration du plan d’aide qui relève, elle, d’un instrument d’évaluation des besoins global et multidimensionnel, distinct de l’outil Aggir, d’autre part.

Un référentiel unifié

La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) a instauré une évaluation multidimensionnelle de la situation et des besoins de la personne âgée demandeuse ou bénéficiaire de l’APA ainsi que de ses proches aidants, à l’aide d’un référentiel unifié au plan national. L’article L. 232-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF), issu de la loi « ASV », prévoit désormais que « l’équipe médico-sociale du département apprécie le degré de perte d’autonomie de la personne au travers de la grille Aggir et qu’elle évalue la situation et les besoins du demandeur et de ses proches aidants dans des conditions et sur la base d’un référentiel multidimensionnel ». Ce référentiel a été co-construit par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et 46 départements. Objectifs ? Aboutir à une plus grande homogénéité des pratiques d’évaluation et unifier les outils d’évaluation existants et, par conséquent, « renforcer l’équité de traitement des personnes sur le territoire », comme le souligne la CNSA. Ayant pour vocation d’aller au-delà de la grille Aggir, ce référentiel prend en compte de nombreux éléments sur l’environnement de la personne âgée : sa santé, ses aspirations, son mode de vie, ses relations sociales et ses activités, l’aide apportée par l’entourage et les professionnels et notamment l’évaluation et les besoins du proche aidant, les aides techniques, la situation budgétaire, le logement et son aménagement, les services de proximité… Ce référentiel introduit une approche globale (activités du quotidien, environnement, habitat, entourage, aides mises en œuvre, projets et aspirations de la personne) dans l’évaluation des besoins des demandeurs ou bénéficiaires de l’APA. « Devenu le cadre de référence pour les équipes médico-sociales “APA”, il doit leur permettre de recueillir les éléments pertinents pour décrire et apprécier la situation des personnes âgées et de leurs proches aidants, identifier les besoins de compensation ainsi que les différents critères d’accès aux droits et prestations. Cet outil doit également favoriser le développement d’un langage commun entre les professionnels », rappelle la CNSA.

Ce référentiel n’a néanmoins pas de caractère contraignant et n’est pas encore repris par tous les acteurs. Ainsi, une enquête auprès des professionnels chargés de l’évaluation APA publiée en juillet 2019 par la Fondation Médéric-Alzheimer et la CNSA montrait que 18 mois après sa mise en place, 54 % des professionnels ayant répondu déclaraient employer un outil de recueil d’informations conforme au nouveau référentiel. « L’enquête ne permet pas d’analyser la nature des freins à l’utilisation de ce référentiel, mais un constat positif peut être dressé au vu des résultats : même si le nouveau référentiel n’est pas systématiquement utilisé, l’ensemble de ses différentes dimensions est pris en compte par les évaluateurs dans la très grande majorité des cas. Il semblerait en conséquence que, derrière d’importantes disparités dans sa mobilisation, il existe une large dissémination de la pratique de l’évaluation multidimensionnelle », ajoutait l’étude.

Lors de la concertation « grand âge et autonomie », qui s’est déroulée entre octobre 2018 et janvier 2019, l’atelier « Parcours des personnes âgées », avait soulevé cette nécessité d’unifier et d’harmoniser l’évaluation multidimensionnelle individuelle. « Il faut différencier un outil multidimensionnel qui a vocation à prendre en charge et accompagner une personne d’un outil d’évaluation qui sert à financer des aides. Les outils ou méthodes d’évaluation (Interail, GEVA, OEMD de la CNSA et des départements, Smaf, grille Aggir…) poursuivent des objectifs différents qui doivent être articuler et complémentaires au service des parcours des usagers. Un travail sur les différents outils d’évaluation sanitaire et sociale serait entrepris afin d’aboutir à la création d’un ensemble ou d’un outil d’évaluation multidimensionnelle individuelle des besoins et d’élaboration du plan d’accompagnement global pour simplifier les parcours et éviter les aller-retour entre les différents financeurs », proposaient les participants de l’atelier.

L’autonomie, le paradigme canadien

D’autres pays industrialisés ont développé des outils plus pertinents en termes d’évaluation multidimensionnelle. C’est le cas du Canada avec l’outil Smaf (système de mesure de l’autonomie fonctionnelle). Cette grille a été créée, élaborée et testée scientifiquement par le professeur Réjean Hébert de l’université de Sherbrooke, à partir de la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’Organisation mondiale de la santé et d’une conception fonctionnelle de l’autonomie adoptée par le ministère de la Santé du Québec pour l’évaluation des personnes âgées et handicapées validée par différentes études métrologiques.

Contrairement à la grille Aggir, le système de mesure de l’autonomie fonctionnelle a été développé selon un paradigme de soutien à l’autonomie et non de prise en charge de la dépendance. L’évaluation porte sur 29 items regroupés en cinq catégories : les activités de la vie quotidienne (AVQ) (7) ; la mobilité (6) ; la communication (3) ; les fonctions mentales (5) ; les activités de la vie domestique (AVD) (8). Chaque item est coté sur une échelle à cinq degrés : – 0 (autonome) ; – 1 (surveillance ou stimulation requise) ; – 2 (aide partielle requise) ; – 3 (aide complète requise). Une cote intermédiaire de – 0,5 ou de – 1,5 est utilisée pour certains items lorsqu’une activité est réalisée de façon autonome, mais avec difficulté.

« L’originalité de l’outil utilisé réside dans le fait qu’il donne une appréciation très complète de la situation de la personne en abordant plusieurs thématiques : l’état de santé, les habitudes de vie, la situation psychosociale, les conditions économiques, l’environnement physique. Pour chaque item, il s’agit d’identifier un problème éventuel. Pour l’appréciation de l’autonomie fonctionnelle dans les activités de la vie quotidienne, la mobilité, la communication, les fonctions mentales et l’exécution des tâches domestiques, le dispositif permet de quantifier les ressources humaines ou techniques mises en œuvre et celles à compléter dans le plan d’intervention. Sont prises en compte les appréciations des usagers, de l’entourage familial et des professionnels », souligne le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), dans son étude « Politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées : quelques comparaisons internationales », publiée en mars 2019. Une approche à 360° que le secteur du grand âge appelle de ses vœux.

Des expérimentations au compte-goutte

Si l’outil Smaf (système de mesure de l’autonomie fonctionnelle) a été repris dans d’autres pays européens tels que la Belgique et l’Espagne, il gagne très lentement du terrain en France. Une poignée d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) l’utilise et encore plus rarement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad). En 2011, le conseil départemental de la Dordogne a expérimenté, dans 11 établissements, la démarche Smaf comme outil d’évaluation commun pour les personnes âgées et handicapées. L’agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine s’est à son tour engagée dans une expérimentation de l’outil canadien.

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