« Elle » se sent méprisée, discréditée, dépréciée, accusée de plein de mots qui riment en « é » et en « ance » : rapidité, souffrance, cruauté, maltraitance… « Il » dit qu’il en a assez, qu’il n’en peut plus, qu’il est fatigué laminé épuisé éreinté ratatiné. « Elle » a mal au dos, aux épaules, aux pieds. « Il » aimerait être un peu mieux considéré.
Et pourtant… Pourtant, « ils » restent.
Pour le salaire mirobolant ? A peine plus qu’un Smic… Non, ça ne doit pas être pour ça. Pour les horaires de rêve ? Se lever à 5 heures, ou rentrer à 22 heures, travailler un week-end sur deux… Mmm, non, ça n’est pas pour ça non plus. Pour la tenue tellement seyante et sexy ? Ha-ha ! Non, franchement, non, surtout en fin de service, quand leur blouse est maculée de diverses taches non identifiées. Pour leur réputation de superhéros ? Euh… Non plus !
Mais alors, pourquoi ?
Moi, Flore, aide-soignante, je suis comme eux. Fourbue moulue mais pas foutue. Douloureuse mais pas souffreteuse. Fatiguée mais pas résignée. Je vais bien, tout va bien…
Et pourtant, je reste.
Certains croient que c’est par dépit. Aide-soignante, c’est un diplôme de niveau V, même pas le niveau bac, et puis on en a toujours besoin. Mais, sincèrement, j’aurais sans doute voulu être infirmière, non ? Ben non, raté.
D’autres pensent que c’est une vocation. Vocation : « action d’appeler, qui ne se dit qu’au figuré et en parlant des appels que Dieu fait à l’homme » (dictionnaire Littré). Aide-soignante, un appel de Dieu ? Non, très peu pour moi. De toute façon, j’ai déjà assez à faire avec l’appel de la sonnette !
Mais alors, pourquoi ?
Attention, scoop… parce que j’aime ça ! Hein ? Quoi ? J’aime mon salaire au ras des pâquerettes, mes horaires décalés, ma carrière qui stagne et l’image peu reluisante que l’« Ehpad-bashing » me renvoie à longueur d’année ? Oui, j’avoue, dit comme ça, ça n’est pas très vendeur… Et pourtant, j’avoue, j’aime mon métier.
Parce que j’aime prendre soin des gens. J’aime leur parler et les aider, trouver avec eux le bon geste, le bon mot, me sentir utile et être présente au moment où ils en ont besoin. Parce que j’aime faire partie d’une équipe, me sentir liée par une volonté commune, être l’un des maillons d’une très longue chaîne, un simple maillon, ni plus ni moins. Parce que j’aime être contente d’arriver au boulot… et tout aussi contente d’en repartir. Parce que j’aime l’ambiance et l’entraide de mon service. Parce que j’aime cette sensation d’être au bon endroit, au bon moment, exactement à ma place.
Mon métier n’est pas une vocation, mais c’est une évidence. Je suis aide-soignante, j’aide et je prends soin. Que pourrais-je faire de mieux ? Je suis gaie, tout me plaît…
Mais alors, si les soignants aiment leur métier, pourquoi cette pénurie dans les hôpitaux, cette crise des vocations, ce désamour de la profession ? Mmm… réfléchissons… Les salaires ? Les horaires ? Le manque d’évolution professionnelle ? Le mépris de ceux qui nous crachent dessus à coups de livres, d’émissions télé et de témoignages choc ? Le sous-effectif chronique, obligeant à nous auto-remplacer, générant stress fatigue burn out accidents, générant des arrêts maladie, générant un sous-effectif chronique ?
Non, vraiment, je ne vois pas pourquoi, pourquoi ça n’irait pas…