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Infirmiers de nuit en Ehpad : une fausse bonne idée ?

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L’astreinte mutualisée d’infirmiers de nuit en Ehpad répond-elle à de vrais besoins dans la prise en charge des résidents ? Alors que les expérimentations de ce dispositif sont toujours en cours dans plusieurs régions, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, entend accélérer la généralisation de cette solution dès cette année.

« POUR RÉDUIRE LES HOSPITALISATIONS EN URGENCE ÉVITABLES, qui ont un impact négatif sur l’état de santé des personnes âgées, et sécuriser les prises en charges nocturnes au sein des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], les personnels pourront faire appel à une astreinte infirmière mutualisée entre plusieurs établissements d’un même territoire. » Inscrite dans la feuille de route « grand âge et autonomie » présentée par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, en mai dernier, cette mesure entend répondre – en partie – au mouvement de grève nationale des Ehpad, le 30 janvier et le 15 mars 2018, qui réclamait une augmentation des moyens humains pour accompagner des résidents de plus en plus dépendants.La nuit, pour un établissement de 100 à 120 lits, la présence soignante est de deux agents (une aide-soignante et un agent des services hospitaliers qualifié), rappelle le Syncass-CFDT, premier syndicat des directeurs d’Ehpad de la fonction publique hospitalière. La mise à disposition – sous forme de garde ou d’astreinte de nuit 7 jours sur 7, de 20 heures à 6 heures du matin – d’un(e) infirmier(ère) diplômé(e) d’Etat (IDE) sur plusieurs Ehpad autoriserait ce professionnel à intervenir pour différents motifs : chutes, troubles respiratoires, accompagnements en soins palliatifs, douleur, angoisse nocturne, troubles du comportement…

Un certain scepticisme

Néanmoins, pour nombre de représentants du secteur, l’urgence pour les Ehpad est ailleurs, la priorité étant les besoins en personnel, notamment d’aides-soignantes en journée. « La mise en place d’une astreinte infirmière de nuit partagée, certes utile, ne répond toutefois pas aux besoins réels des établissements. En effet, si cette astreinte peut réduire certaines hospitalisations via les urgences, elle ne permettra pas une meilleure prise en charge des résidents pendant la journée. En outre, les établissements, qui peinent déjà à recruter des infirmiers le jour, auront encore plus de mal à recruter ces infirmiers la nuit », considère, avec scepticisme, le Syndicat des managers publics de santé (SMPS). Pour Laurence Postel, présidente de la Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH), « les professionnels ont besoin de plus de temps pour les repas, la toilette, l’aide au quotidien, la vie sociale, la mise en place de véritables soins relationnels à destination de personnes âgées accueillies de plus en plus dépendantes ». Déjà votée dans la loi de financement de la sécurité sociale 2018 et dotée de 10 millions d’euros, la généralisation d’un dispositif de mutualisation des infirmiers de nuit sera financée à hauteur de 10 millions d’euros en 2019 et de 16 millions en 2020. Une enveloppe jugée insuffisante. « Avec 10 millions par an, on ne peut recruter que 280 infirmiers pour exercer la nuit dans les 7 500 Ehpad ! », critique Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC).

L’idée d’une astreinte infirmière de nuit en Ehpad n’est pas nouvelle. Le programme de développement des soins palliatifs pour 2008-2012 préconisait déjà une expérimentation visant à mesurer l’impact de ce dispositif sur la prise en charge des résidents en fin de vie. En 2013, à l’heure du bilan du programme, la faiblesse des échantillons n’avait alors pas permis d’avoir des résultats concluants. Selon une enquête de 2013 de l’ex-Observatoire national de la fin de vie (ONFV), seulement 14 % des Ehpad disposent d’un personnel infirmier la nuit. « C’est le cas de 22 % des établissements publics (en particulier lorsqu’ils sont rattachés à un centre hospitalier), contre 4 % des établissements privés commerciaux », précisait alors cette instance. Par ailleurs, la majorité des maisons de retraite qui ne disposent pas d’un infirmier la nuit n’ont pas non plus mis en place d’astreinte téléphonique : 75 % des Ehpad n’ont pas la possibilité de joindre un professionnel infirmier si une situation se complique.

18 000 hospitalisations en moins

Dans un rapport, l’ONFV estimait que la simple présence d’un infirmier de nuit dans les Ehpad permettrait d’éviter 18 000 hospitalisations de résidents en fin de vie chaque année. Il recommandait, dès lors, la mise en place d’un poste infirmier de nuit pour 250 à 300 places d’Ehpad. « Ce constat de la nécessité d’une couverture en présence infirmière de nuit de tous les établissements se double de celui d’une inefficience de la mobilisation d’un équivalent temps plein nocturne par établissement (le temps d’intervention médicale nocturne en Ehpad étant estimé en moyenne à une heure par nuit). Le rapprochement de ces deux exigences a nourri l’idée d’une mutualisation du temps de l’infirmier de nuit sur plusieurs établissements », rappelle Bernard Bonne, sénateur (LR) de la Loire et auteur, en mars dernier, d’un rapport parlementaire sur la situation des Ehpad. Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s’est également positionné en faveur de ces astreintes IDE de nuit, considérant que la présence de ce professionnel facilite la mission des médecins régulateurs et des médecins effecteurs, en cas d’urgence médicale. « Avec la généralisation de l’arrêt des gardes en nuit profonde, la place importante des points fixes de garde et la présence limitée d’effecteurs mobiles, la prise en charge des résidents des Ehpad devient de plus en plus problématique. Dans certains départements, le transport en ambulance vers un service d’accueil des urgences est la seule solution disponible », alertait le CNOM dans un rapport dressant le bilan de la permanence des soins en 2015.

Des évaluations en cours

Ces dernières années, plusieurs agences régionales de santé (ARS) – Ile-de-France, Auvergne, Pays-de-la-Loire, Grand Est, Champagne-Ardenne, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine – ont engagé des expérimentations du dispositif IDE de nuit en Ehpad (selon des modalités différentes : garde, astreinte ou permanence) dans le cadre du plan « soins palliatifs 2015-2018 » et du dispositif expérimental Paerpa (Personnes âgées en risque de perte d’autonomie). En mars dernier, l’ARS Pays-de-Loire a présenté les premiers résultats des 11 expérimentations « aux profils diversifiés » mises en œuvre sur le territoire régional, incluant un total de 76 Ehpad et plus de 5 000 places d’Ehpad. Cette première évaluation concluait que le dispositif d’astreinte IDE de nuit apporte « une réelle plus-value pour la prise en charge des soins non programmés la nuit des résidents ». Parmi les avantages établis : « une diminution du recours à la régulation et à l’hospitalisation » et « un bénéfice ressenti sur la sécurisation de la prise en charge des soins la nuit, voire plus globalement au sein de l’Ehpad », note Claude Pichon, du département d’évaluation des politiques de santé et des dispositifs de l’ARS Pays-de-Loire. Au niveau financier, l’agence régionale constatait « un gain financier global pour le système de santé, toutefois difficile à objectiver ».

De 2013 à 2017, l’ARS Ile-de-France a expérimenté une présence infirmière de nuit en Ehpad dans 25 établissements sur 7 départements franciliens. Le Gérond’if (Gérontopôle d’Ile-de-France) a mené de 2016 à 2018 une étude afin d’évaluer l’impact réel du dispositif sur l’amélioration du parcours de santé des personnes âgées ainsi que sa pertinence médico-économique (rapport coût/utilité) en comparaison avec d’autres modes d’accompagnement la nuit (astreinte téléphonique, télémédecine, hospitalisation à domicile…). Les travaux du Gérond’if ont mis en évidence une diminution significative de la durée d’hospitalisation chez les résidents des Ehpad en expérimentation : depuis la mise en œuvre du dispositif, 4,07 jours d’hospitalisation par an et par résident ont pu être évités. Autres points positifs : une réduction des hospitalisations ainsi qu’une augmentation des retours à l’Ehpad après un passage aux urgences ; et une tendance à des décès de résidents en fin de vie plus élevée en Ehpad qu’à l’hôpital.

En revanche, le dispositif n’a pas eu d’effet sur le nombre d’hospitalisations aux urgences. En clair, qu’il y ait ou non un infirmier de nuit, les résidents sont adressés aux urgences dans les mêmes proportions. Publiée en mai dernier dans l’annexe 12 de la circulaire budgétaire médico-sociale, la synthèse des évaluations par les ARS des expérimentations de présence d’infirmier de nuit en Ehpad arrivait au même constat : « Des agences régionales de santé émettent des réserves quant à la prise en charge de la gestion des urgences la nuit par une IDE, souligne le document. Le diagnostic infirmier est de nature différente du diagnostic médical, une partie des soins de nuit peut être reportée au lendemain, comme par exemple les pansements complexes. Plus encore, l’intervention de l’IDE n’exclut pas l’intervention a posteriori des services d’urgences, ce qui pose la question du doublonnage des interventions. »

Les retours des agences régionales de santé expérimentatrices font également apparaître le risque pour les Ehpad de difficultés à recruter du personnel infirmier extérieur pour assurer les astreintes et les gardes, « d’une part, en raison de la spécicité du prol recherché (IDE avec une compétence d’urgence et de gérontologie) ; d’autre part, la perspective du travail la nuit est un facteur de moindre attractivité du poste ». D’après les premiers constats des expérimentations, les ARS s’accordent à reconnaître « le bénéfice humain d’un personnel infirmier de nuit », tout en admettant qu’« il est encore difficile de conclure sur l’efficacité médico-économique » du dispositif, et qu’« une analyse plus fine des différents modèles serait utile ». Mais le temps politique n’est pas le temps économique…

360 Millions d’euros versus 4 milliards

Alors que le GMP (Gir moyen pondéré) a connu une forte progression depuis dix ans, passant de 670 en 2011 à 720 en 2017, les Ehpad en France affichent un ratio de personnel à 62,8 ETP (équivalents temps plein) pour 100 résidents. « ll est vrai que beaucoup de pays voisins ont des ratios de personnels soignants plus élevés qu’en France. Pour un Ehpad de 100 lits, l’Espagne aura 40 soignants, l’Allemagne 38, la Belgique 35, tandis que la France plafonne péniblement à 33, en queue de peloton… », rappelle le Synerpa dans sa nouvelle plateforme politique intitulée « Horizon 2030 : prévoir pour mieux anticiper, réformer pour améliorer, oser pour avancer ». Dans le cadre du plan « grand âge et autonomie » d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, les établissements recevront 360 millions d’euros de 2019 à 2021 au titre de leurs dotations soins pour recruter du personnel soignant. Ce qui représente 20 000 postes… Dans son avis adopté le 6 décembre, qui fait office de contribution à la concertation nationale « grand âge et autonomie », le Conseil de l’âge juge qu’un accroissement des moyens de fonctionnement des Ehpad, de l’ordre de 4 milliards d’euros à l’horizon 2024 est « une référence pertinente de l’effort minimal à consentir ».

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