En France, 800 000 personnes sont placées sous tutelle ou sous curatelle et, en 2040, selon certaines projections, ce sont près de 2 millions de personnes qui devraient être dans ce cas. Alors que les négligences, les dérives, les abus sont aussi de plus en plus fréquents, en mars dernier, un groupe de travail interministériel (Justice, Solidarités et Santé, Handicap) a été lancé afin de réfléchir et de proposer des pistes de réforme et d’évolution du dispositif de la loi de 2007 sur la protection juridique des majeurs. Présidée par Anne Caron-Déglise, magistrate experte sur le sujet, cette mission va rendre son rapport d’ici la fin du mois de juillet.
« Que ce soit les professionnels du secteur, les universitaires, les notaires, les avocats, les magistrats, nous sommes unanimes pour dire que la loi actuelle est très bien faite, très bien pensée par le législateur. Dans sa philosophie, elle est audacieuse, imaginative, respectueuse, conforme aux grands principes du droit et des conventions internationales », rappelle, dans un premier temps, Hadeel Chamson, délégué général de la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), qui a participé au groupe de travail.
« Malgré tout, cette loi va devoir être reformée, poursuit-il. Mais, et c’est là que nous tirons la sonnette d’alarme, ne faisons pas une réforme pour les mauvaises raisons. L’échec de la loi de 2007 n’est pas dans le contenu des textes mais dans l’effectivité des droits. Si on a un système en panne, ce n’est pas parce qu’il est mauvais mais en raison d’un manque de moyens pour l’appliquer. » Car, selon la FNAT, « l’un des points incontournables » de cette mission interministérielle est de permettre d’avoir, à l’avenir, davantage de moyens.
« La protection juridique des majeurs n’est pas un épiphénomène. C’est un réel enjeu de société qui mérite un vrai choix de société : quels moyens sommes-nous prêts à mettre pour protéger ces personnes vulnérables ?, s’interroge Hadeel Chamson. Cela fait des années que l’on nous dit qu’il n’y a pas de moyens et ce n’est plus entendable. En effet, grosso modo, la prise en charge globale d’une personne qui bénéficie d’une mesure de protection est de 154 € par mois, soit 5 € par jour. Qu’on ne vienne donc pas me dire que c’est un dispositif qui coûte cher. »
Au-delà des moyens supplémentaires, la FNAT souhaite voir naître une réelle reconnaissance du métier de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Et, selon elle, cela passe par la création d’un diplôme. « Il faut que l’on arrive dans la protection juridique des majeurs par choix et non par dépit, par défaut, explique le délégué général de la FNAT. On choisit ce métier parce qu’il est reconnu, parce qu’on peut y avoir un avenir. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Les professionnels doivent donc être reconnus par un diplôme qui donne de la visibilité à ce métier. »
A l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui a également participé aux travaux, on souligne aussi le fait que la loi actuelle « est une bonne loi » mais « qu’elle n’a pas forcément été optimisée dans son application, faute de moyens ». C’est pourquoi, comme l’explique Agnès Brousse, coordinatrice du pôle « évaluation, développement des activités, protection et droits des personnes », « il faut absolument que le sujet de la protection juridique des majeurs devienne une politique publique dédiée. Il s’agit en effet d’un sujet à la croisée de bien d’autres politiques publiques notamment liées au vieillissement, au handicap, à l’inclusion sociale… A l’UNAF, nous demandons donc qu’elle soit incarnée par un délégué interministériel qui aurait la main sur les différents ministères pour rendre applicable cette politique, y compris sur les territoires. »
Et d’ajouter : « A l’UNAF, nous souhaitons que le développement des services d’information et de soutien des tuteurs familiaux se généralise. Nous y croyons énormément. Les familles peuvent être davantage investies dès lors qu’elles ne sont pas seules, qu’elles savent qu’elles peuvent s’adosser à des services qui les orienteront, leur apporteront un soutien technique. Cela les aident à prendre les bonnes décisions. Ce qui demande, encore une fois, une enveloppe budgétaire. Car on ne peut pas inscrire dans la loi que les familles sont prioritaires pour exercer les mesures de protection sans se donner les moyens de faire en sorte qu’elles s’impliquent à la hauteur des enjeux. »