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Les correspondants du CNAOP en première ligne

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Créé pour faciliter les démarches des personnes nées sous le secret, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) s’appuie sur un réseau de correspondants départementaux. Ces professionnels de terrain ont le rôle délicat d’accompagner les enfants et les mères concernés, dans le respect de chacun.

En 2013, 640 naissances ont eu lieu sous le secret(1). Néanmoins, les enfants concernés pourront, plus tard, s’ils le désirent, être aidés dans la recherche de leur filiation. La loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines a en effet créé un organisme auprès du ministre des Affaires sociales afin d’aider les anciens pupilles confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou les personnes adoptées qui souhaitent connaître l’histoire de leur naissance. Le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), doté sur le plan national d’une petite équipe – un secrétaire général nommé par le ministre chargé de la famille, quatre chargés de missions et trois conseillères expertes – a pour mission d’instruire leurs demandes et de rechercher l’identité de leur mère de naissance afin de connaître ses intentions quant au maintien ou à la levée du secret de son identité.

Double mission

La mission est particulièrement délicate tant les situations sont souvent douloureuses, voire extrêmes. Elle ne peut se résumer à « un simple enregistrement des demandes de recherche des personnes et de mises en relation administratives, automatiques, brutales », écrit Bernard Golse, qui a présidé l’institution de 2005 à 2008(2). C’est dire la nécessité de concilier la dimension juridique, essentielle, de l’activité du CNAOP, assurée par l’équipe du siège, à la fonction d’accueil et d’accompagnement des personnes dans la recherche de leur histoire. Celle-ci est assurée par le réseau de correspondants désignés, dans chaque département, par le président du conseil départemental – qui fixe librement leur nombre en fonction de son organisation –, parmi les salariés de l’ASE et de la protection maternelle et infantile (PMI). Acteurs de première ligne et venant en relais de l’équipe nationale, ces professionnels de terrain sont amenés à gérer, dans la proximité, les aspects les plus délicats de la recherche des origines.

Tout d’abord, le correspondant départemental a un rôle central au moment de la naissance. « Il appartient en effet au directeur de l’établissement de santé de le prévenir lors de l’admission à la maternité d’une femme qui demande ou envisage de demander le secret de son identité. Celui-ci aura alors, après l’accouchement, un entretien systématique avec elle pour l’accompagner dans sa démarche », explique Jean-Pierre Bourely, secrétaire général du CNAOP. Cet entretien va permettre, dans un premier temps, « d’informer la femme sur les mesures d’aide possibles au cas où elle déciderait finalement de garder son enfant et de ne pas accoucher anonymement, et sur ses droits au cas où elle remettrait l’enfant au service de l’ASE », précise Patricia Maillerie, chargée de gestion au sein de la mission « adoption » du Loir-et-Cher et correspondante départementale.

Si la femme décide d’enfanter dans l’anonymat, « le correspondant atteste que le secret est demandé », précise Jean-Pierre Bourely. Elle est alors invitée, lors de l’entretien, à laisser des informations dans le dossier de l’enfant. Elle peut livrer son identité sous un pli fermé qui ne pourra être ouvert que par le CNAOP si, un jour, l’enfant engage une demande d’accès aux origines. Elle peut aussi laisser des informations dites « non identifiantes » concernant notamment la santé, les circonstances amenant la décision ou la description physique des parents à partir d’une grille établie par le CNAOP à l’intention des correspondants. Ces éléments seront consignés dans le dossier de l’ASE et accessibles au conseil de famille (compétent pour les placements en vue d’adoption), aux parents adoptifs et, un jour, à l’enfant lui-même.

Prise en charge en amont

Tout l’enjeu pour le correspondant départemental, lors de cet entretien, est de réussir à concilier les droits de la femme qui souhaite accoucher sous le secret et l’intérêt de l’enfant. « Les mères, que l’on rencontre rapidement après l’accouchement – parfois dans les 24 heures, car il peut arriver qu’elles quittent très vite la maternité – sont souvent dans l’immédiateté, explique Nathalie Saulnier, responsable de la mission « adoption » du Loir-et-Cher, qui pratique les entretiens en binôme avec Patricia Maillerie. Elles se préoccupent des besoins affectifs de leur enfant et espèrent qu’il va pouvoir être adopté par une famille où il sera choyé par deux parents qui s’occuperont bien de lui, mais n’ont pas imaginé les questions que celui-ci pourrait se poser plus tard. Par exemple, à qui ressemble-t-il ? De qui tient-il ses yeux bleus ? Les mères sont souvent très étonnées quand on leur demande de se décrire physiquement ou de donner des détails sur le père. »

Cet entretien est essentiel car « il permet à la femme de prendre sa décision dans de bonnes conditions et d’être plus réceptive à l’intérêt pour l’enfant de pouvoir, s’il le souhaite, avoir accès à des éléments de son histoire », assure Isabelle Deprouw, psychologue à l’ASE et correspondante dans les Hauts-de-Seine. Ce qui n’empêchera pas, pourtant, certaines femmes, tout en persistant dans leur intention de confier l’enfant à l’ASE, de décider, dans les trois jours qui suivent sa naissance, de reconnaître l’enfant à l’état civil, lui permettant ainsi de connaître sa filiation d’origine. Tandis que d’autres reviendront plus tard sur leur décision d’accoucher sous le secret et voudront garder l’enfant – ce qui est possible dans le délai de deux mois suivant la naissance.

Lors de l’entretien, le correspondant départemental est souvent le témoin des hésitations et des questionnements des femmes et le « dépositaire d’informations qui ne pourront être divulguées », précise Nathalie Saulnier. « Tout ce que ces mères sont capables de nous dire en entretien ne peut être figé sur le papier », abonde Isabelle Deprouw. Elle se souvient ainsi d’une femme qui ne pouvait se résoudre à mentionner l’existence de ses autres enfants, « parce que ce serait trop dur pour l’enfant en question de voir que lui seul a été abandonné ». Ce qui se dit au moment de l’entretien est d’autant plus important que les femmes, même si elles ont la possibilité légale de communiquer des informations, y compris leur identité, tout au long de leur vie, sont rares à se manifester par la suite. « Ce qui n’est pas fait au moment de la naissance est rarement fait après », constate Patricia Maillerie.

Déchiffrer le dossier de l’ase

Les correspondants interviennent aussi à un autre moment clé : lorsque l’enfant, plus tard, recherche son histoire et demande à connaître ses origines personnelles. Majeur ou même mineur – s’il a atteint l’âge de discernement et avec l’accord de ses représentants légaux –, celui-ci peut en effet adresser sa demande au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles. S’il juge la demande recevable, ce dernier invite le requérant à prendre contact avec l’ASE de son département pour prendre connaissance de son dossier de naissance afin d’avoir une première approche de son histoire. Le correspondant départemental accompagne souvent cette consultation, « ce qui peut aider la personne à trouver des réponses à travers des pièces administratives établies par des spécialistes pour des spécialistes, pas toujours faciles à décrypter », souligne Isabelle Deprouw.

La difficulté toutefois est que la quasi-totalité des requérants – dont le nombre augmente – sont nés avant la loi du 22 janvier 2002. Il n’est donc pas toujours facile pour les correspondants de repérer avec certitude, au sein de dossiers parfois très anciens et faute, à l’époque, d’encadrement de la procédure, ce qui avait pu être garanti à la femme au moment de la naissance. Même si celle-ci avait pu demander le secret de son identité, des éléments permettant de l’identifier peuvent malgré tout figurer dans le dossier administratif. S’ils ont un doute, les professionnels peuvent toutefois se tourner vers les chargés de mission du CNAOP pour avoir leur avis.

En fonction des éléments recueillis, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, qui dispose de pouvoirs d’investigation spécifiques pourra alors tenter de retrouver la mère de naissance (voir encadré ci-dessous). Lorsque celle-ci est localisée, il peut mandater le correspondant du département de son lieu d’habitation pour recueillir ses intentions quant à la levée ou non du secret de son identité et pour mettre éventuellement celle-ci en relation avec son enfant(3). Une tâche, là aussi, particulièrement délicate. « On fait irruption dans la vie d’une femme. Il faut respecter son rythme, l’aider à lever des appréhensions, explique Isabelle Deprouw. Cette femme, qui a donné naissance à un enfant qu’elle a abandonné, éprouve bien souvent de la honte et de la culpabilité. L’idée que l’enfant pourrait lui en vouloir n’est pas facile à supporter. »

Une fonction centrale

Nathalie Saulnier n’est pas près d’oublier sa visite chez une femme âgée de plus de 90 ans qui pensait ne plus jamais avoir à parler de cet événement. Celle-ci avait néanmoins décidé de recevoir la correspondante en présence de ses deux fils, qui découvrirent alors une part inconnue de la vie de leur mère. « Il a fallu également que j’annonce à la personne qui la recherchait que sa mère de naissance n’avait laissé aucune ouverture possible. Pourtant, cette personne ne cherchait pas nécessairement à la rencontrer. Elle voulait au minimum savoir à quoi elle ressemblait, par exemple avoir une photo. » Il arrive aussi que des mères acceptent une rencontre médiatisée tout en restant anonymes pour expliquer justement leur choix de rester inconnues à leur enfant.

Le professionnel doit vraiment « prendre soin des personnes à chaque étape de la procédure », témoigne Philippe Hervé, assistant social au service « adoption » des Côtes-d’Armor et correspondant départemental, qui a accompagné plusieurs rencontres entre la mère de naissance et son enfant après avoir passé des mois à tisser des relations de confiance avec chacun d’entre eux. Dans un rapport rendu public en 2011(4), l’inspection générale des affaires sociales avait mis en évidence l’importance de « la fonction d’accompagnement psychosocial » du CNAOP, à côté de ses compétences juridiques. Mais elle la jugeait, à l’époque, insuffisamment développée et invitait l’institution à redistribuer cette fonction entre le conseil et les départements en accordant plus de mandats aux correspondants pour contacter le parent d’origine et organiser la rencontre. Depuis, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles a développé les formations à l’intention des professionnels de terrain. Un espace précieux afin d’échanger sur les pratiques et de démêler les problèmes juridiques et éthiques, qui permet de construire « une expertise et une éthique partagée », estime Philippe Hervé.

L’activité du CNAOP en 2014

En 2014, le CNAOP a traité 733 demandes écrites (contre 904 en 2013), une baisse d’activité liée au renouvellement de la moitié des effectifs de l’équipe en 2014. Parmi ces demandes, 621 concernaient une recherche d’accès aux origines, mais seules 552 étaient complètes. Parmi celles-ci, 128 étaient jugées irrecevables par le secrétariat général (par exemple lorsqu’elles proviennent de personnes nées à l’étranger et dont le pays n’a pas prévu la possibilité d’accoucher sous le secret, ou de personnes qui n’ont pas été admises comme pupilles de l’Etat ou adoptées).

L’année a également été marquée par une légère diminution des parents de naissance qui, contactés, acceptent de lever le secret de leur identité (41,5 % contre 44,4 % en 2013), tandis que le croisement des données relatives aux demandeurs et aux levées de secret et déclarations d’identité spontanées enregistrées au CNAOP a permis d’établir la correspondance entre parents de naissance et demandeurs dans 26 situations en 2014 (108 situations depuis 2005). Ces levées de secret ou déclarations d’identité spontanées restent, comme l’année précédente, peu nombreuses (46 levées de secret et 5 déclarations d’identité spontanées complètes enregistrées en 2014, contre respectivement 44 et 22 en 2013).

Enfin, l’impossibilité d’identifier ou de localiser les parents de naissance reste le premier motif de clôture des dossiers (43 % des dossiers clôturés), devant le refus de ces parents de lever le secret de leur identité (13 %) et le décès du ou des parents (10 %).

Sources : rapport d’activité CNAOP 2015 – www.cnaop.gouv.fr.

Qui sont les mères accouchant sous le secret ?

Une étude réalisée par l’Institut national d’études démographiques, en partenariat avec le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, dans 83 départements entre juillet 2007 et juin 2009 a permis de mieux connaître les femmes qui demandent le secret de leur accouchement(1) : 739 femmes ont ainsi répondu à un questionnaire lors de leur rencontre avec le correspondant départemental après la naissance.

• Pour la moitié d’entre elles, il s’agissait d’une première grossesse (49 %).

• Les femmes sont plus jeunes que celles qui accouchent sur la même période (26 ans contre 30 ans), et les mineures y sont plus représentées (11 % contre 0,5 % de l’ensemble des parturientes). Cependant, une part non négligeable (16 %) est âgée de plus de 35 ans.

• Huit fois sur dix, les femmes ne vivent pas en couple au moment de l’accouchement et 28 % sont en situation de monoparentalité. 15 % vivent en couple avec le père biologique de l’enfant.

• Trois femmes sur quatre n’ont pas leur indépendance économique. Elles sont élèves ou étudiantes (27 %), inactives (15 %), au chômage (10 %) ou ont un emploi précaire ou un petit temps partiel (9 %). 24 % occupent un emploi stable.

• L’absence du père biologique ou son comportement sont les raisons les plus fréquemment évoquées (43 %) qui ont motivé leur décision. Puis, par ordre décroissant, les difficultés financières, un trop jeune âge, la crainte du rejet familial, des traumatismes récents ou anciens. La découverte de la grossesse au-delà du délai légal pour une IVG est rapportée par plus de huit femmes sur dix.

• 14 % des mères sont revenues sur leur décision dans le délai légal de deux mois. Parmi celles qui ont maintenu leur décision, 23 % ont laissé leur identité directement accessible dans le dossier de l’enfant et 31 % ont laissé un pli fermé. Ainsi, 46 % des femmes n’ont laissé aucun élément permettant de les identifier.

Retrouver le parent de naissance

Pour retrouver le parent de naissance, le CNAOP dispose de pouvoirs spécifiques d’interrogation des administrations et organismes (aide sociale à l’enfance, état civil des mairies, établissements de santé, organismes d’adoption, organismes sociaux et consulats, maternités de naissance). Il peut aussi se faire communiquer par le procureur de la République les éléments figurant sur l’acte de naissance « d’origine », permettant de connaître le lieu de naissance. Cependant, le chargé de mission peut rencontrer un certain nombre de difficultés au cours de ses recherches. Les dossiers sont « parfois totalement dépourvus d’informations », comme l’explique le secrétaire général du CNAOP Jean-Pierre Bourely, quand certaines archives n’ont pas disparu ou été détruites, notamment dans les organismes autorisés pour l’adoption (OAA) ou les cliniques. De plus, « les délais de réponse de la part d’organismes sollicités sont parfois longs, entraînant des délais de réponse également longs de la part du CNAOP pour les demandeurs », ajoute Jean-Pierre Bourely. Les données qui ont pu être recueillies au cours de la recherche permettent parfois de connaître seulement quelques éléments de son histoire, parfois de retrouver des parents de naissance, voire de les rencontrer.

Notes

(1) Les situations des pupilles de l’Etat. Enquête au 31 décembre 2013 – Rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger – Voir ASH n° 2896 du 6-02-15, p. 8.

(2) « La quête des origines : acte administratif ou acte narratif ? » – Bernard Golse – Enfance et Psy n° 59 – Ed. érès, 2013.

(3) En 2014, 81 mandats ont été confiés à des correspondants départementaux contre 102 en 2013, une baisse cohérente avec la légère baisse des demandes traitées par le CNAOP.

(4) Voir ASH n° 2723 du 9-09-11, p. 6.

(1) Catherine Villeneuve-Gokalp – « Les femmes qui accouchent sous le secret en France, 2007-2009 » – Population, 1/2011 (Vol. 66).

(1) Rapport d’activité 2014 du CNAOP – Disponible sur www.cnaop.gouv.fr – Voir aussi ASH n° 2723 du 9-09-11, p. 7.

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