Après sept ans de procédure, une dizaine de familles africaines dont les enfants avaient été gravement intoxiqués par des peintures au plomb dans l'immeuble qu'elles occupaient - sans droit ni titre - et qui réclamaient de ce fait une indemnisation, viennent d'obtenir gain de cause auprès de la cour d'appel de Paris. La juridiction a en effet reconnu et évalué, dans plusieurs arrêts rendus le 19 octobre, la réalité du préjudice subi tant par les enfants contaminés que par les parents.
Rappel des faits : en 2000, un immeuble appartenant à la Ville de Paris et occupé depuis plusieurs années sans droit, ni titre par des familles d'étrangers en situation régulière, fait l'objet, dans sa cage d'escalier, de travaux de retrait des peintures au plomb. Alors que les ouvriers portent un scaphandre, les personnes vivant dans le bâtiment ne bénéficient en revanche d'aucune protection. Constatant l'augmentation des taux de plomb chez plusieurs enfants, l'Association des familles victimes du saturnisme exige alors l'interruption immédiate des travaux et obtient le relogement des occupants. Mais le mal est fait : les enfants - dont certains étaient déjà intoxiqués avant les travaux et dont les cas avaient déjà été signalés à la préfecture de Paris - sont atteints de saturnisme, avec pour la plupart des dommages irréversibles. Les familles se tournent alors vers la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) afin d'obtenir réparation. Le 25 juillet 2002, estimant qu'une infraction - en l'occurrence, une omission de porter secours à personnes en péril - est bien à l'origine des préjudices subis, la CIVI admet le principe d'une indemnisation et demande une expertise pour chiffrer ces préjudices (1). La Ville de Paris et le Fonds de garantie contre les actes de terrorisme et autres infractions (2) saisissent alors la cour d'appel de Paris. La première espérant minorer ses responsabilités et le second cherchant, notamment, à voir déclarer l'irrecevabilité des recours en indemnité déposés, eu égard à la circonstance que les parents occupaient l'immeuble litigieux sans droit ni titre.
Mais le juge d'appel confirme, le 28 octobre 2004, les décisions rendues par la CIVI, reconnaissant notamment qu'une infraction de mise en danger de la vie d'autrui a bien été commise et ordonnant une expertise pour déterminer le préjudice subi par les enfants malades et leurs parents. L'expertise aura au final duré trois ans.
Statuant à nouveau le 19 octobre 2007, la cour d'appel de Paris a donc jugé recevables les demandes d'indemnisation des familles et calculé le montant des indemnités qui doivent être versées à chaque enfant, en fonction de son degré d'atteinte, et à ses parents. Les juges se sont appuyé sur les rapports des experts pour statuer sur le cas des enfants. S'agissant des parents, dans l'une des décisions rendues par les juges que les ASH se sont procurée, les magistrats rejettent clairement l'argument invoqué par le fonds de garantie, qui incriminait le caractère fautif de personnes restées, sans droit ni titre, dans les lieux dans lesquels leurs enfants ont été contaminés. « Aucune faute de nature à supprimer ou réduire leur droit à indemnisation ne peut [...] être reprochée » aux parents, affirment ainsi les juges, tout en soulignant que ces personnes, étrangers en situation régulière et aux revenus modestes, étaient demandeurs d'un logement social depuis 1998 et n'en avaient obtenu un « que très tardivement » compte tenu de la pénurie de logements sociaux. En outre, notent encore les magistrats, ils étaient dans les lieux en contrepartie du paiement d'une « redevance d'occupation ». Pour la cour d'appel, ils ont donc droit à la réparation du « trouble de leurs conditions d'existence lié à la fréquentation par leurs enfants des centres médicaux et la réalisation d'examens sur des enfants angoissés », ainsi que du préjudice moral « résultant du handicap que leurs enfants subiront toute leur vie ».
(2) Ce fonds verse les indemnités fixées par la CIVI, à charge pour lui ensuite de se retourner contre les coupables de l'infraction, s'ils sont identifiés.