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Il faut repenser l'indemnisation du chômage

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Reconstruction partielle du système d'indemnisation du chômage et harmonisation, sans fusion, des minima sociaux. Tels sont les deux grands axes autour desquels s'articulent les propositions présentées par Marie-Thérèse Join-Lambert, inspecteur général des affaires sociales, dans le rapport (1) dont l'avait chargée Lionel Jospin, le 9 janvier, à la suite du mouvement organisé, lors des fêtes de fin d'année, par les associations de chômeurs et certains syndicats (2). Bouclé en un temps record, ce document exclut l'instauration d'un RMI-jeunes tout en proposant la revalorisation de l'ASS et de l'allocation d'insertion et, surtout, une hausse du RMI.

Même si le Fonds d'urgence sociale (créé par le gouvernement début janvier afin de répondre aux situations les plus dramatiques que connaissent les chômeurs)   (3) est « porteur d'évolutions positives, notamment quant à la disponibilité affichée par les acteurs locaux pour travailler ensemble », cette réponse ne peut venir « qu'en complément de mesures structurelles auxquelles elle ne saurait se substituer », indique Marie-Thérèse Join-Lambert, en conclusion de la première partie de son rapport où elle évalue la mise en place de ce dispositif. En effet, poursuit-elle, « il faut faire face à l'urgence, mais l'urgence ne peut se substituer à un traitement de fond.[...] Il faut donc trouver des solutions intermédiaires qui dépassent le stade de l'urgence immédiate mais n'engagent pas la société française sur des voies qu'elle n'aurait pas reconnues et choisies. » Aussi, dans un deuxième chapitre très argumenté, tente-t-elle de clarifier les éléments du débat en exposant les alternatives possibles.

Les dérives de l'indemnisation

Premier thème abordé par Marie-Thérèse Join-Lambert : l'avenir des régimes d'indemnisation du chômage. Dans ce domaine, elle n'hésite pas à dénoncer les dérives qui ont progressivement altéré l'ensemble du système. « Tout se passe, sans que cette évolution ait été clairement affichée, comme si l'existence du revenu minimum d'insertion, conçu à l'origine comme un ultime filet de sécurité, avait autorisé un certain désengagement des systèmes d'indemnisation du chômage »,  explique-t-elle. De fait, la complémentarité entre l'assurance, qui relève des partenaires sociaux, et l'assistance, du ressort de l'Etat, « n'a jamais été très claire ». En outre, depuis 1992, avec l'évolution des règles d'indemnisation du chômage, pour cause de contrainte financière, et les mutations du fonctionnement du marché du travail (précarité, alternance chômage/travail, insertion professionnelle des jeunes difficile), le niveau moyen de l'indemnisation a évolué à la baisse alors que la proportion des demandeurs d'emploi non indemnisés augmentait. Conséquence : « certaines catégories de population qui auraient bénéficié en d'autres temps de la protection du risque chômage, entrent, faute de mieux, dès lors qu'ils disposent de ressources inférieures au plafond fixé, dans le système du revenu minimum ». Or, souligne le rapporteur, ce phénomène ne doit pas masquer les profondes différences qui existent entre les indemnités chômage, conditionnées par la situation individuelle de la personne au regard de l'emploi, et le revenu minimum, pour lequel le niveau des ressources constitue le principal critère d'attribution.

« La question est donc posée de savoir si l'évolution constatée depuis 1992 doit être poursuivie ou si une adaptation de notre système d'indemnisation aux nouvelles règles de fonctionnement du marché du travail est encore possible », écrit Marie-Thérèse Join-Lambert. Autre interrogation : « l'Etat est-il prêt à prendre sa part à cette réflexion en ne fermant pas la porte à la reconstitution d'un système d'assistance qui tarirait une partie des entrées au RMI ? ». Enfin, est-il possible de prendre en compte les problèmes, « toujours repoussés », de modifications des modes de financement, notamment une « certaine modulation des taux de cotisation en fonction des risques que font peser certaines entreprises ou certaines branches sur le fonctionnement du marché du travail et les dépenses d'assurance chômage du fait de certaines pratiques de gestion de main-d'œuvre ». En clair, résume l'inspecteur, « comment et qui doit prendre en charge les coûts sociaux nouveaux de la flexibilité ? La solidarité, l'aide sociale généralisée ou une combinaison des systèmes de protection, dans laquelle les entreprises prennent leur part ? » A cet égard, rappelle-t-elle, 1998 est une année décisive dans la mesure où « il ne reste plus qu'un an avant la renégociation de la convention Unedic qui doit intervenir avant la fin 1999 ». En attendant, elle juge nécessaire de ne pas précipiter des évolutions en recourant, par exemple, au RMI pour répondre aux difficultés des jeunes de moins de 25 ans sans ressources. Pour elle, la solution se trouve, plutôt, « dans le cadre du régime d'indemnisation du chômage et des mesures liées à l'insertion ».

La complexité des minima sociaux

Autre grand problème évoqué : les minima sociaux. On se rappelle que l'augmentation massive, voire la refonte, de ces derniers, était au cœur des revendications exprimées, en janvier, par les associations de chômeurs. Il est vrai que les huit minima existants (4) se distinguent, à la fois, par « la diversité des niveaux de vie » qu'ils garantissent et par leur complexité. Même si, souligne Marie-Thérèse Join-Lambert, ils répondent, chacun, à des situations bien précises et fonctionnent selon des logiques assez différentes. Le système actuel n'en présente pas moins de réelles faiblesses, en particulier en ce qui concerne les personnes susceptibles de reprendre une activité (c'est-à-dire à l'exclusion des allocataires de l'AAH, du minimum invalidité et du minimum vieillesse). Premier reproche : certaines populations ne sont pas couvertes, principalement les jeunes âgés de moins de 25 ans et sans enfants. Seconde critique : les règles de calcul des minima « sont mal comprises et mal acceptées », d'autant que des catégories de populations assez proches relèvent parfois de dispositifs différents. Enfin, le passage des minima à l'emploi demeure difficile, sachant que la perte de la prestation s'accompagne, généralement, de celle des avantages qui y sont associés (par exemple l'aide médicale gratuite qui est liée au RMI). D'où les risques, dans certains cas, de désincitation au travail.

Dans ces conditions, faut-il fusionner tous les minima et banaliser les situations correspondantes : vieux, handicapés, jeunes, chômeurs de longue durée, familles monoparentales en difficulté ? Avec, en ligne de mire, la « refonte de l'Etat Providence » par la création d'une allocation universelle que certains appellent de leurs vœux, quoique pour des raisons souvent assez éloignées (5). « La fusion des minima est prématurée et même dangereuse », répond, pour sa part, Marie-Thérèse Join-Lambert. Et cela, précise-t-elle, parce que la question de l'harmonisation ou de la fusion des minima n'est pas purement administrative et technique car « elle met en cause l'avenir de notre système de protection sociale ». En effet, en apparence séduisante, l'idée d'un « minimum généralisé », constituant « le premier filet de protection », complété par un second étage comprenant les assurances obligatoires de base, puis par un troisième avec la protection surcomplémentaire privée et libre, comporte des dangers notables. D'une part, la population au travail risque de mal supporter, à la longue, « d'assurer une solidarité active vis-à-vis de ceux qui n'ont pas d'activité ». En outre, poursuit l'inspecteur IGAS, dans le contexte actuel « favorable aux couvertures complémentaires, la distinction entre les deux étages supérieurs pourrait ne pas subsister longtemps, les assurances privées étant introduites dans la gestion des assurances obligatoires ». Certes, une solution alternative pourrait consister à fusionner certains minima proches, à condition qu'ils conservent « le caractère d'un filet transitoire ». Mais « tant que les idées en cours sur l'allocation universelle n'auront pas fait l'objet de débats suffisants », Marie-Thérèse Join-Lambert juge plus prudent de s'en tenir à gommer « les défauts particulièrement apparents » du système actuel. Enfin, souligne-t-elle en conclusion, « les partenaires sociaux, les associations de chômeurs, les citoyens de ce pays n'ont, en aucune façon, besoin d'une “madame chômage”. Ils ont besoin de pouvoir débattre et surtout de retrouver des perspectives face à la situation prolongée de chômage qui a profondément déstabilisé la cohésion sociale de notre pays ».

Jérôme Vachon

Les principales propositions

Pour le court et le moyen terme, le rapport propose diverses mesures qui se situent sur deux registres différents. Premier registre, les revenus des personnes privées d'emploi. Le rapport préconise le rattrapage de l'allocation d'insertion et celui, depuis 1989, de l'ASS, conformément à l'engagement du Premier ministre. Allocations dont l'indexation devrait désormais être inscrite dans les textes. En outre, est-il expliqué, l'évolution du RMI en fonction de la seule évolution des prix a aggravé l'écart entre le niveau de vie qu'il assure et celui des salaires et revenus. Aussi, pour Marie-Thérèse Join-Lambert, « le gouvernement ne devrait pas s'interdire, sans que la loi l'y contraigne et dès lors que la possibilité s'en présente, d'aller plus loin que l'indexation sur les prix, afin de relever le niveau du RMI objectivement bas ». « Une priorité essentielle doit être accordée à la situation des jeunes », affirme-t-elle par ailleurs. Outre des mesures propres à l'insertion des primo-demandeurs d'emploi, elle prône la recherche, « dans le cadre du régime d'indemnisation du chômage, [d'] une meilleure couverture de l'emploi précaire et des ruptures qui interviennent dans le processus d'insertion dans la vie active ». Pour les chômeurs adultes de longue durée, elle appelle entre autres au renforcement des suivis personnalisés et à la diversification des solutions d'insertion professionnelle. Le rapport juge également souhaitable un rapprochement du RMI et de l'API. Lequel pourrait passer d'une part par l'instauration, pour l'API, d`un mécanisme d'intéressement encourageant la reprise d'une activité professionnelle ou d'une formation ainsi que l'accès, pour les bénéficiaires de cette allocation, aux emplois aidés et, d'autre part, un renforcement de l'aide pour les bénéficiaires du RMI assumant la charge de très jeunes enfants. Autre rapprochement envisagé, celui de l'assurance veuvage et du RMI. La première serait attribuée pendant deux ans seulement, mais au taux, plus intéressant, versé actuellement pendant la seule première année (soit depuis le 1er janvier 1998, 3 107 F par mois). La troisième année, les veuves ne disposant d'aucunes autres ressources percevraient le RMI au taux plein. Un alignement qui s'accompagnerait, dès la première année de veuvage, du bénéfice de contrat d'insertion et de mesures d'incitation à la reprise d'emploi comparables à celles définies pour le RMI. Enfin, pour favoriser l'insertion professionnelle des titulaires des minima sociaux, une réforme du système d'intéressement devrait être engagée, avec « pour objectif d'affirmer deux principes essentiels »  : la reprise d'activité doit apporter nécessairement un supplément de revenu, équivalent pour tous les différents minima versés à des personnes en état de prendre un emploi, et elle ne doit pas pénaliser l'allocataire par la suite. Les différents taux actuels d'intéressement pourraient ainsi être harmonisés à un niveau de 50 %, « ce qui signifie que chaque franc gagné rapporterait au titulaire du minimum social 50 centimes en plus de revenu ». L'allocation devrait être maintenue à taux plein pendant au moins un mois lors de la reprise d'un travail, recommande encore le document. Lequel appelle à une réflexion d'ensemble sur les droits annexes accordés à certains bénéficiaires de minima (aide médicale gratuite, exonération de la taxe d'habitation, calcul de l'aide au logement, aide facultative des collectivités sur le transport, les cantines...) qui devraient être liés, non pas au statut, mais au niveau de ressources quelle que soit leur origine. Second registre de propositions, l'amélioration de la vie au quotidien. Au Fonds d'urgence sociale devra succéder un autre type de dispositif qui recentre les actions sur les personnes en situation de détresse sociale. Unification des différents fonds d'aide facultative associant l'Etat et d'autres partenaires, instruction des demandes d'aide d'urgence par les institutions d'accueil, versement des secours par les travailleurs sociaux ou encore mise en place d'un dossier unique de demande sont autant de mesures préconisées. Mais la réponse d'urgence passe aussi par une gestion « plus sociale » des prestations. Les délais de versement ou le bon fonctionnement des systèmes d'avance sur droits supposés ou constatés requérant une attention toute particulière. Une réforme de la saisie des minima est aussi évoquée. Enfin, s'agissant du service public de l'emploi, le rapport plaide spécialement pour la définition et le respect d'un certain nombre de droits des chômeurs et des améliorations matérielles dans les agences locales. Sur le coût de ces mesures, le rapport ne dit mot. Florence Elguiz

Notes

(1)   « Rapport de mission sur les problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France fin 1997-début 1998 ».

(2)  Voir ASH n° 2054 du 16-01-98.

(3)  Voir ASH n° 2055 du 23-01-98.

(4)  Minimum vieillesse, minimum invalidité, allocation aux adultes handicapés, RMI, allocation de parent isolé, assurance veuvage, allocation spécifique de solidarité, allocation d'insertion.

(5)  Voir ASH n° 2054 du 16-01-98.

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