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Vie libre offre un nouveau départ

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En Seine-Saint-Denis, le centre de formation de Vie libre reçoit des allocataires du RMI alcooliques. Objectif : les aider à devenir abstinents puis à se réinsérer peu à peu dans le tissu économique.

Toutes les personnes qui poussent la porte du centre de formation RMI 93 (1) ont d'abord affaire à son responsable, André Joncqueur. Celui-ci n'hésite pas, au cours de ce premier entretien, à tutoyer ses interlocuteurs et à leur dire que lui aussi a connu la rue, la galère et l'alcool. Rien à voir avec cette distance dont parlent souvent, et à juste titre, les travailleurs sociaux. D'ailleurs, André Joncqueur se définit plutôt comme un acteur social : « Ici, viennent des hommes et des femmes, âgés pour la plupart de 30 à 40 ans, qui tous ont un problème avec l'alcool. Ils nous sont adressés par une assistante sociale, le référent RMI de l'ANPE, ou encore par le mouvement Vie libre. Ils ont déjà raconté leur parcours à une multitude de personnes. Et cela, je sais ce que ça signifie. Lorsqu'ils arrivent ici, ils ont seulement envie de dire :'Je m'appelle Untel et j'en ai marre. " »

Prendre conscience de sa dépendance

Issu lui-même de Vie libre, André Joncqueur est un buveur guéri qui a créé le centre de formation RMI 93 de Livry-Gargan à partir de ce simple constat : l'alcoolisme est un problème majeur en Ile-de-France, qu'il précède ou qu'il accompagne une situation sociale déliquescente. Or, les structures classiques de prise en charge ne peuvent rien pour les personnes souffrant d'alcoolisme : « Bien souvent, elles se sentent incomprises, nient avoir un problème avec l'alcool et les assistantes sociales ne savent pas comment s'y prendre parce qu'elles n'ont pas été formées pour cela », souligne André Joncqueur. D'où cette volonté de recevoir les allocataires du RMI dans un cadre qui signe en quelque sorte un nouveau départ : au centre de formation 93, il est permis de faire une pause, de remettre tout à plat, puis de bâtir un projet de vie en accord avec ses possibilités.

Mais il est également recommandé d'aborder la question de l'alcoolisme sans faux-fuyant. Le but n'est pas de forcer les personnes à arrêter de boire, mais qu'elles prennent conscience de leur dépendance. « Ne pas leur en parler, c'est une façon de les nier, reprend André Joncqueur. Mais, ici, nous prenons le temps qu'il faut, tout est très progressif. » Elles restent entre trois et six mois au centre, mais certaines peuvent reconduire l'expérience une fois. Au programme : une phase d'accueil qui permet au groupe de se constituer, de commencer à vivre. Débutent ensuite des stages : tous les jours, de 9 h à 12 h 30, un animateur et un formateur interviennent à tour de rôle. L'ensemble des sessions tend vers un but et un seul : la dynamisation et la revalorisation des personnes en difficulté d'insertion. « Restauration de la personne », « Restauration de ses droits », « Emergence des compétences », « Projet de vie », « Projet professionnel » sont autant de thèmes abordés. « Concernant la restauration de la personne, nous procédons par petites touches, précise Jean-Jacques Mezger, formateur. Nous abordons les questions de santé, les problèmes de chacun et pas uniquement l'alcool. Finalement, nous faisons un bilan avec la CPAM de Seine-Saint-Denis. Nous travaillons ensuite l'expression orale, certains nous demandent des cours de soutien en français et en math. En fait, tous ont besoin d'être revalorisés. »

Les stages sont collectifs, mais un suivi individuel est assuré. La question de l'alcool revient en filigrane, à l'initiative des stagiaires la plupart du temps, jusqu'à ce qu'un entretien avec un médecin ou, mieux, une cure, soit acceptée. Encore cherche-t-on à connaître les motivations réelles de la personne : s'il s'agit d'un moyen pour obtenir une remise de peine à l'occasion d'un retrait de permis, ou pour retrouver son épouse... ou encore un logement, les chances de succès sont maigres. Il vaut mieux laisser le temps de la réflexion, jusqu'à ce que l'arrêt de l'alcool s'inscrive dans une volonté personnelle de se remettre sur les rails. En cas de traitement, André Joncqueur se déplace sur les lieux de la cure avec la personne intéressée : c'est à elle de décider, d'être acteur de sa vie et de ses choix. Après, il faudra l'aider à supporter et à maintenir l'abstinence : la plupart du temps, les stagiaires sont orientés - parallèlement à leur présence au sein du centre - vers les permanences de Vie libre.

Un rôle de médiateur

Autres objectifs des stages : faire l'état des lieux social et familial de chacun des stagiaires  demander le RMI et l'aide médicale gratuite si la personne y a droit mais n'a jamais entrepris les démarches  assainir la situation, soit immédiatement quand c'est possible, soit en mettant en place un échéancier avec l'intéressé. C'est là qu'André Joncqueur use de sa bonne connaissance des dispositifs sociaux du département : hôpitaux, services d'alcoologie, conseil général, CPAM, CAF, assistantes sociales des différentes villes de Seine-Saint-Denis... « Je connais individuellement chaque interlocuteur, qui sait lui-même en quoi consiste mon travail. Je décroche mon téléphone, j'obtiens le renseignement que je souhaite et je peux faire avancer la situation personnelle de l'un des stagiaires. » Le centre de formation joue sans doute là un rôle essentiel :il est un médiateur entre l'usager et l'administration au sens large. « D'ordinaire, les personnes ont l'impression de se heurter à un mur lorsqu'elles cherchent à démêler leur situation. Elles se rendent à l'ANPE, qui les envoie vers une assistante sociale, et ainsi de suite... Les prises en charge en France sont trop cloisonnées. Du coup, nos stagiaires ont l'impression de marcher dans un labyrinthe. » Le centre RMI traite chaque usager dans sa globalité : André Joncqueur répond à toutes leurs questions, qu'elles soient d'ordre social, familial, sanitaire ou professionnel.

Il serait pourtant faux de croire qu'à Livry-Gargan, l'on prône le tout-assistanat. Bien au contraire. Si les stagiaires sont occupés tous les jours de 9 h à 12 h 30 dans les locaux du centre, ils utilisent tous leurs après-midi à entreprendre des démarches administratives. Mais lorsque certains sont encore fragiles, formateur, animateur et responsable n'hésitent pas à donner un coup de main et à les accompagner lors de leurs sorties.

Le fonctionnement du centre de formation signe-t-il alors la faillite des dispositifs classiques, ou celle des travailleurs sociaux ? Non, répond clairement Hélène Estrella, assistante sociale au service social municipal de Bobigny. « Notre mission consiste à orienter et à soutenir les gens, mais ce n'est pas à nous d'effectuer la remise à niveau. C'est pour cela que nous passons le relais à des associations comme le centre de formation : nous sommes tous complémentaires et c'est très bien ainsi. Car derrière le mot insertion se cachent des situations complexes, et l'on ne résoud pas cette question aussi facilement que cela. Les personnes qui viennent nous voir ont besoin de nous tous. Souvent, ils n'ont plus que nous ! » André Joncqueur précise, de son côté, qu'il n'est qu'un intermédiaire puisqu'il ne possède pas l'expertise des travailleurs sociaux : ce sont toujours les assistantes sociales qui instruisent les dossiers RMI des stagiaires...

Insertion sociale et économique

Mais qu'entend-on par insertion à Livry-Gargan ? « Ici, ce qui nous importe plus que tout, précise André Joncqueur, c'est l'insertion dans la société. Dans notre programme, le projet de vie vient avant le projet professionnel, même si c'est parfois difficile de faire passer cette idée auprès du conseil général qui nous demande des données chiffrées. Cela dit, à l'issue de la dernière session, parmi nos stagiaires, une femme a pris la décision de garder sa fille, de s'en occuper. Pour nous, c'est extraordinaire. Tout comme les personnes qui arrivent à se lever tous les matins pour venir ici, c'est déjà énorme. » Pourtant, le centre de formation tente également l'insertion par l'économique, avec modestie pour l'instant. Jean-Jacques Mezger fait le tour des compétences des uns et des autres, valorise leurs savoir-faire au cours des stages et travaille en étroite collaboration avec l'AFPA afin d'orienter les personnes vers des formations préprofessionnelles ou professionnelles. « La plupart ont peur de l'entreprise. Ils sont angoissés par le rythme de travail, par les horaires, même s'ils ont déjà travaillé. Il faut leur redonner confiance. » Depuis 1996, le centre de Livry-Gargan organise des stages avec des entreprises de la région parisienne. « Ce sont des temps d'immersion, quelquefois limités à de l'observation, quelquefois basés sur la participation, précise André Joncqueur. A titre d'exemple, une personne est allée dans un restaurant parisien au service comptabilité. Une autre va faire un stage à la mairie, aux espaces verts. » Difficile, cependant, d'entrer dans les entreprises. Actuellement, le centre profite de ses liens avec les nombreux bénévoles de Vie libre qui lui fournissent les contacts des sociétés dans lesquelles ils sont eux-mêmes salariés. Pourtant cette immersion rend de grands services : elle permet aux personnes, entre autres, de se faire une idée précise du métier vers lequel elles souhaitent s'orienter. Cela leur évite de se retrouver dans une situation d'échec dans quelques années. Car une déception, pour ces hommes et ces femmes qui ont été très fragilisés et parviennent tout doucement à remonter la pente, s'apparente à une catastrophe.

Les résultats ? Sur 65 stagiaires reçus entre 1996 et 1997, 10 % ont abandonné. Parmi ceux qui se sont accrochés, certains ont retrouvé un emploi : on compte notamment un CDD dans l'animation auprès des personnes âgées, un CDI dans une société de nettoyage, un CES, quelques déménagements hors de la région parisienne.

Anne Ulpat

APRÈS LA SANTÉ, LE LOGEMENT

Le centre de formation de Livry-Gargan est né en 1996 et s'inscrit dans le plan départemental d'insertion du conseil général de Seine-Saint-Denis. Il fonctionne à l'aide d'une subvention d'un million de francs. « C'est finalement une de nos limites, estime André Joncqueur, son responsable. Nous ne pouvons pas recevoir les personnes de moins de 25 ans, puisqu'elles n'ont pas droit au RMI. Alors qu'elles peuvent avoir, elles aussi, un grand problème avec l'alcool. Nous ne touchons pas non plus les chômeurs de longue durée, qui sont parfois dans des situations inextricables. » Dès cette année, pourtant, la DDASS 93 devrait devenir partenaire et permettre ainsi au centre d'accueillir un public plus vaste. « C'est une bonne chose dans la mesure où les DDASS sont sensibles au côté sanitaire, alors que le conseil général n'agit qu'en termes d'insertion professionnelle », ajoute André Joncqueur. En fait, c'est la DDASS elle-même qui a sollicité le centre de formation, et ce, afin qu'il intègre dans ses missions, au-delà de la question de l'alcoolisme, celle du logement. Une problématique essentielle, selon les salariés du centre. « En Ile-de-France, le logement arrive immédiatement après les problèmes d'alcoolisme, rappelle Jean-Jacques Mezger, formateur. Or, cela ne sert à rien de s'attaquer à tous les aspects de la santé si la personne n'a pas de quoi se loger décemment. Et puis faire des stages de valorisation face à quelqu'un qui vit dans une cave, ce n'est pas évident. »

Notes

(1)  Vie libre - Centre de formation RMI 93 : 5/7, rue Gutenberg - 93190 Livry-Gargan - Tél. 01 43 02 92 28.

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