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Accompagner l'enfant en deuil

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Epreuve de vie incontournable, douloureuse, le deuil peut se compliquer, en particulier pour les enfants. Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils permettre que cette étape ne soit pas une source de trop grandes difficultés ?

« Accompagner un enfant endeuillé, c'est l'aider dans son travail de deuil. C'est aussi aider sa famille et se préoccuper de ses conditions matérielles de vie  », estime Michel Hanus, psychiatre-psychanalyste et président de la toute nouvelle association Vivre son deuil (1). On le sait : l'enfant opère un « travail de deuil » selon un processus analogue à celui de l'adulte, qui lui permet « d'assimiler » la disparition de l'être cher. Cette perte est bien évidemment vécue de façon différente selon qu'il s'agit d'une personne très proche de lui (frère, mère...) ou un peu plus éloignée (comme un grand-parent par exemple). Différente aussi selon l'âge et la « maturité » de l'enfant. Ce n'est en effet qu'à partir de 8 ans qu'il acquiert la notion de l'irréversibilité de la mort. « Les voies du deuil sont variables et singulières quel que soit l'âge, mais on peut toutefois décrire un processus commun à la plupart des deuils », a précisé Ginette Raimbault, directeur de recherche à l'Inserm, lors d'un colloque organisé en novembre dernier (2). Et si les étapes traversées se ressemblent, depuis le déni jusqu'à l'acceptation (3), reste que l'enfant le vit « comme un enfant », c'est-à-dire, entre autres, avec plus d'ambivalence et de culpabilité. Pour lui, longtemps, on peut être à la fois mort et vivant  l'enfant se sent par ailleurs le centre du monde, c'est-à-dire responsable des phénomènes qu'il observe.

On sait aussi que si l'enfant est tenu à l'écart de la mort et de l'enterrement, et qu'une chape de silence pèse sur lui, il ne peut vivre son deuil. Pour qu'il puisse assumer la disparition, c'est-à-dire «  récupérer à l'intérieur de lui l'objet perdu  », et le faire vivre en lui, il ne faut donc pas le laisser dans un « blanc ». C'est une des conditions primordiales pour l'aider.

« Dans des situations de maladie grave, puis de décès, on exclut souvent l'enfant », observe Claudine Dahan, assistante sociale au Centre de soins palliatifs de l'Hôtel-Dieu à Paris. »

L'enfant est trop souvent tenu à l'écart

« C'est très dommageable, poursuit-elle, car on le prive alors de la place naturelle qu'il pourrait occuper auprès de son proche, même mourant. Lorsqu'il est mort, il doit pouvoir aller lui dire au revoir. Il faut dans tous les cas lui proposer. L'enfant est toujours capable de comprendre. C'est plus la peur de l'adulte, la projection sur l'enfant de notre refus de la réalité et nos représentations de la mort qui nous empêchent de dire le mot juste et vrai. » Ce sont les mêmes recommandations que Donald Woods Winnicott faisait déjà en 1958 dans un article écrit à l'intention... des travailleurs sociaux (4)  ! Il y étudiait la psychologie de la réaction à la perte (deuil, séparation, abandon...) à partir du matériel apporté par Freud dans Deuil et mélancolie. Le travail intrapsychique de deuil, écrivait Winnicott, exige que l'environnement soutienne le sujet et ne l'empêche pas d'être triste. « Il suffit d'expliquer simplement l'événement à l'enfant pour qu'il puisse faire un travail de deuil au lieu d'être en proie à la confusion. »

Dans le cas d'un suicide d'un parent par exemple, Serge Lebovici, psychiatre, admet que, vu la gravité des événements, «  il est difficile de conseiller ». «  Il faut écouter, suivre l'enfant là où il en est », suggère toutefois Ginette Raimbault. Dans tous les cas, et surtout dans des circonstances particulièrement dramatiques, faut-il lui dire la vérité ? «  Lorsqu'un enfant pose une question à un adulte, en général avec qui il a noué une relation de confiance, c'est qu'il sent qu'il ne le met pas en danger et qu'on va lui répondre. Il faut le faire, en ajoutant que l'on est avec lui  », précise Michel Hanus (5).

Mais si les services sociaux hospitaliers sont très sensibilisés à l'approche de la mort, et travaillent en amont la préparation du deuil avec les adultes concernés, estime Claudine Dahan, elle pense plus globalement que les travailleurs sociaux se préoccupent insuffisamment de l'après-mort auprès des enfants. « Comme dans la société française en général, trop peu en parlent avec facilité. Par défaut de formation initiale ou ultérieure. »

Un soutien indispensable

Une des autres conditions requises, selon ces différents professionnels, pour aider un enfant endeuillé est l'intervention d'un tiers. Comme l'adulte, il ne peut en effet faire son deuil seul. C'est à l'entourage familial, si le deuil se déroule dans des conditions « normales », de répondre, par une présence non formelle, à ce besoin de l'enfant. Mais les parents ou le parent survivant, s'ils sont concernés de près par la mort (enfant, conjoint...) sont rarement disponibles pour l'entourer. A défaut de présence familiale et amicale, il est très souhaitable de lui offrir un soutien plus structuré, venant, selon les circonstances, d'un travailleur social, d'un soignant, d'un enseignant ou d'un thérapeute. Que dire alors à un enfant ? Michel Hanus rappelle que quatre points sont, au minimum, primordiaux d'expliquer à l'enfant. «  Il faut lui dire qu'il n'est pas responsable du décès, qu'il n'est pas en danger de mort, car il maîtrise mal ce qu'est un accident ou une maladie qui a pu causer la disparition. Il faut lui dire aussi que l'on va s'occuper de lui, puisqu'il se rend compte que plus rien ne sera comme avant. Et enfin, que l'on va toujours aimer la personne qui est morte. » Il est important enfin de se souvenir que moins un enfant montre une souffrance, plus il souffre. L'encourager à s'exprimer est alors encore plus indispensable.

Le rôle des travailleurs sociaux

Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils favoriser une évolution positive du deuil, en évitant qu'il ne se complique : troubles du comportement qui se prolongent au-delà de quelques mois (défaut d'attention, agressivité, cauchemar, indifférence, etc.) ou même qui se répercutent à l'adolescence et à l'âge adulte (dépression, difficulté d'attachement amoureux, actes de délinquance...)  ? L'un des volets du travail est incontournablement de régler les questions matérielles et pratiques. « J'informe les proches de l'existence de prestations légales, et je les aide éventuellement à les obtenir. Parfois, avant le décès, on envisage déjà, avec le proche et quelques fois même le mourant, le mode de garde et les éventuelles démarches auprès du juge des tutelles ou en vue de trouver une famille d'accueil, explique Anne Gilles, assistante sociale à l'hôpital de Beauvais. C'est un moment où l'on peut aussi entendre la souffrance de l'interlocuteur. Cependant, je ne vois jamais l'enfant concerné, que ce soit avant ou après le décès. Malgré tout, j'insiste toujours auprès des proches sur l'importance de lui expliquer ce qui se passe. »

L'autre volet du soutien d'un enfant endeuillé est de travailler « autour » du deuil. « A l'hôpital de Beauvais, nous orientons vers une psychologue de l'hôpital pour le suivi des personnes en fin de vie, et vers une autre pour le soutien des enfants, complète Anne Gilles. Il y a aussi les membres de l'équipe pour mieux comprendre des situations souvent lourdes et complexes. Et puis nous proposons également le soutien des bénévoles locaux de l'association Jalmav   (6).  » Lorsque l'entourage est défaillant, et que des difficultés spécifiques existent, est-il pour autant de la responsabilité du travailleur social d'intervenir pour aider l'enfant ? « Oui, répond Jean-François Vecques, responsable de la circonscription de Beauvais Ouest. Outre une mise à disposition envoyée à une famille, lorsque l'on a connaissance d'un problème de cet ordre, nous travaillons avec les enseignants : c'est une aide indirecte pour leur permettre de mieux comprendre l'enfant en deuil. La puéricultrice ou l'éducateur du service, selon son âge, et la psychologue peuvent également le soutenir. En cas de troubles plus lourds, nous orientons vers le CMPP, un psychologue ou un psychiatre privé. » Précisons que si les groupes d'entraide ou de soutien pour adultes endeuillés commencent à se généraliser en France (7), les initiatives de ce type pour les enfants n'en sont qu'au stade des souhaits. « Dans le cas du sida, le deuil du parent survivant est de mieux en mieux pris en charge. Mais celui de l'enfant n'est pas encore une préoccupation suffisante, qu'il s'agisse des professionnels ou de la société dans son ensemble, regrette de son côté Myriam Mercy, directrice de Sol en si (8). Il est urgent de réfléchir à l'accompagnement de l'enfant en deuil, qu'il soit lui-même atteint du sida ou non. On est encore très démuni. »

Les foyers départementaux de l'enfance accueillent pour leur part de moins en moins d'enfants orphelins, plus volontiers placés dans leur famille d'origine ou des familles d'accueil. Mais dans le cas d'un décès brutal, l'enfant peut être accueilli, pour une année scolaire, dans un foyer où un éducateur suit son évolution (langage, comportement, acquisition scolaire...) au sein de petits groupes, en aval du travail effectué par un psychologue.

Les limites professionnelles

Quelles que soient les circonstances du deuil, pour Michel Hanus, le travailleur social, tout comme l'enseignant ou le médecin, s'ils sont au courant des problèmes de l'enfant, peuvent l'engager à s'exprimer, avec des supports comme le dessin (tout en se gardant d'interpréter) ou de livres qui parlent du deuil. Le service social de secteur est, selon lui, bien placé pour suivre « du coin de l'œil » son évolution à long terme. Et l'école ? L'assistante sociale scolaire peut tout simplement dire qu'elle sait, afin de prendre en compte un événement constitutif de la vie de l'enfant, suggère Isabelle Hanus, assistante sociale à la protection judiciaire de la jeunesse du Val-d'Oise.

« C'est difficile, reconnaît-elle, et c'est une des raisons pour laquelle il faut travailler en partenariat sur ce sujet tout particulièrement avec des psychologues. » Lorsqu'un enfant a perdu un proche, il est en effet tellement courant, dans une école aussi, de faire comme si de rien n'était ! «  Le rôle de l'assistante sociale, lorsqu'il y a dysfonctionnement et souffrance, est de travailler sur les liens familiaux et sociaux, suggère encore cette professionnelle. Il faut encourager l'enfant que l'on sait endeuillé à parler. Je pense même, quelle que soit l'institution à laquelle on appartient, qu'un adulte (enseignant, éducateur ASE, directeur de foyer...) doit lui exprimer, en quelque sorte, des condoléances. On peut très naturellement lui dire que l'on est au courant, que l'on sait que la mort d'un proche est très difficile à vivre. C'est une façon de reconnaître sa souffrance. » Mais, pour Isabelle Hanus, il faut savoir poser les limites de sa fonction. « Le travailleur social n'est pas un thérapeute. En cas de difficultés, nous devons chercher à accompagner l'enfant avec d'autres, sans toutefois se décharger. » Laure Lasfargues

Notes

(1)  Vivre son deuil a été créée au printemps 1995 par plusieurs organismes et associations nationales. Outre des activités de formation, elle propose une écoute/orientation téléphonique des familles et enfants endeuillés - Tél. 1 42.23.15.00. Secrétariat : 17, rue Feutrier - 75018 Paris - Tél. 1 42 23 23 30.

(2)  Organisé à Paris les 24 et 25 novembre derniers, autour du thème « Deuil et accompagnement », par la Société de Thanatologie : 17 rue Feutrier - 75018 Paris - Tél. 142.62.15.05. A lire le bulletin n° 99-100 sur « L'enfant face à la mort ».

(3)  Les étapes du deuil sont clairement décrites par Christophe Fauré dans Vivre le deuil au jour le jour, ouvrage dans lequel il traite notamment du deuil de l'enfant et de l'adolescent - Ed. Albin Michel.

(4)  D. W. Winnicott, « La psychologie de la séparation » publié en mars 1958, dans l'ouvrage Déprivation et délinquance - Réédition 1994 - Ed. Payot.

(5)  Les deuils dans la vie. Deuils et séparations chez l'adulte et chez l'enfant - Michel Hanus - Ed. Maloine. Les 15, 16, 18 et 19 janvier 1996 , il animera avec Ginette Raimbault quatre émissions sur l'enfant et la mort sur France-Culture (dans Espace éducation).

(6)  Jalmav (jusqu'à la mort accompagner la vie), association nationale : 36, rue de Prony - 75017 Paris - Tél. 1 47.63.81.20. L'association diffuse une vidéo-cassette pour échanger sur la mort entre adultes et enfants : Le soleil qui pleure - 250 F.

(7)  A lire : Aide aux personnes endeuillées, répertoire des organismes - La Fondation de France : 40, av. Hoche - 75017 Paris - Tél. 1 44.21.31.00 - 75 F.

(8)  Solidarité enfants sida : 125,  rue d'Avron - 75020 Paris - Tél. 1 43.79.60.90.

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