L’amphithéâtre de l’espace Reuilly, à Paris, est plein pour les assises nationales de la protection juridique des majeurs. Et Ange Finistrosa, le président de la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), s'en réjouit en rappelant le fil rouge des débats cet après-midi du 7 novembre : la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (ici puis là). Alors que, le lendemain, à cette même tribune, la garde des Sceaux Nicole Belloubet affirmera qu’il existe un "consensus général sur la qualité de la réforme", tout en promettant quelques améliorations, les acteurs de terrain, eux, se montrent nettement critiques à l'égard de cette réforme qui, après dix ans, leur semble déjà dépassée.
Ils évoquent pour commencer les contraintes de temps auxquelles ils sont confrontés dans leur pratique. "Il faut du temps. Aujourd'hui, les documents individuels de protection des majeurs sont établis au pas de charge, alors qu’il y a toute une relation à bâtir avec la personne protégée, explique Ange Finistrosa. Il faut conserver ces documents mais en modifier le délai d’élaboration (voir note de bas de page)". Séverine Roy, co-présidente de la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI), ajoute que "les mandataires sont désignés lorsqu’il n’y pas d’autres solutions. On peut comprendre que notre intervention soit considérée alors comme extrêmement intrusive pour les familles et pour le majeur protégé lui-même. L’établissement de la relation de confiance nécessite du temps et de ne jamais standardiser." Un paramètre qui, selon les professionnels, n’a pas été pris en compte par le législateur dans sa loi de 2007.
Un défaut de légitimité
Les intervenants regrettent également l’absence d’un statut juridique particulier pour les mandataires. Pour le moment, en effet, ils n’ont ni convention collective, ni grille de salaire, ni prérogatives particulières. L’une des conséquences concrètes de cette carence est la nécessité, pour le professionnel, de se faire assister de deux témoins lors de l’inventaire des biens de la personne protégée. Cette condition de validité, introduite par la réforme de 2007, représente une "difficulté" pour Ange Finistrosa : "C’est une aberration. On ne demande pas à un huissier d’être assisté de deux témoins lorsqu’il est en service pour faire son métier !"
Pour Dominique Cailhol, co-présidente de l’Association nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (ANMJPM), les mandataires sont pénalisés par ce "défaut de légitimité" que seule la création d’un statut pourrait résoudre. "Le président de la République peut agir parce qu’il a une légitimité. Si nous voulons pouvoir appliquer la loi, il nous faut, à nous aussi, une légitimité pour agir, et ça ne passera que par le statut", affirme-t-elle.
Une autre difficulté rencontrée par les mandataires, souligne Dominique Cailhol, est liée à "l’image dégradée de la personne protégée". En cas de demande de déménagement, les mandataires sont souvent confrontés à des refus de la part des bailleurs. Les établissements bancaires ne sont pas en reste, tandis que l’administration fiscale, de son côté, "réclame une adresse e-mail par personne protégée", une demande intenable pour les professionnels, illustre la co-présidente de l'ANMJPM.
La primauté familiale n'est pas effective
Les représentants des familles, que la réforme devait mettre au centre de la protection juridique des majeurs, n’ont eu que quelques minutes pour s’exprimer, en toute fin de journée. Marie-Thé Carton, administratrice de l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), alerte sur "le manque d’études qualitatives et quantitatives" dans ce domaine. Du côté du ministère, Daniel Anghelou, chef du bureau de la protection des personnes à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), observe que la primauté familiale, qui consiste à donner à la famille la priorité pour assurer le mandat avant de recourir aux mandataires judiciaires, est "affichée mais pas effective". Selon une estimation établie par la DGCS, seules "40 % des ouvertures des mesures de protection sont soumises à la famille".
Conscient du manque d’informations pour les familles, notamment dans le cadre du mandat de protection future créé par la même réforme, Daniel Anghelou promet une "mallette pour les familles en mai 2018" et "un site d’information dédié, en mai 2019". Des annonces qui font sourire : l’administration et les associations n’ont pas le même rapport au temps qui passe. "Si on attend les services publics pour que ça marche, on a parfois des difficultés. Vive le modèle associatif !", conclut Michel Fohrenbach, administrateur à l’Union nationale des aidants familiaux (UNAF), non sans malice.
Ce délai est de trois mois suivant la date de la notification du jugement qui confie la mesure de protection juridique (art. D. 471-8 du code de l’action sociale et des familles).