A l’heure où les transferts ou les vacances adaptées organisées (VAO) proposent un entre-soi entre personnes en situation de handicap, le développement d’une offre plus inclusive avec des séjours classiques ou ordinaires reste encore timide pour ne pas dire sous-représenté. Si le degré de handicap n’est pas la cause de ce retard, le manque d’accessibilité en France est particulièrement pointé du doigt.
ASH : Séjours de ruptures, vacances adaptées, transferts... est-ce que tous ces mots disent la même chose. De quoi parle-t-on ?
Frédéric Reichhart : La manière dont les personnes handicapées vivant en établissements peuvent partir en vacances renvoie à des modalités multiples. Au siècle dernier, il était fréquent pour ces établissements d’organiser un déplacement de quelques jours pour les usagers, souvent à proximité géographique. C’est ce que l’on appelait les transferts d’établissement ou séjours institutionnels qui permettaient aux usagers de profiter de quelques jours de vacances. Cette modalité qui demandait une logistique importante et une forte gestion du personnel s’inscrivait dans une logique éducative. Bien qu’à cette époque-là, on ne parlait pas encore de projets individuels, ces séjours étaient instrumentalisés au profit de finalités diverses comme la socialisation ou l’autonomie des usagers. En fait, les équipes éducatives mobilisaient ces différentes activités de loisirs et de tourisme pour répondre aux besoins des personnes accompagnées. Progressivement, à partir de la fin des années 1990, une autre manière d’organiser les vacances s’est mise en place avec ce qui l’on nomme aujourd’hui les vacances adaptées organisées (VAO). Concrètement, il s’agit de séjours organisés par des prestataires spécialisés. Deux manières d’accéder aux vacances se distinguent avec des enjeux différents en termes d’attentes et de socialisation. Concrètement, les usagers avaient le choix de partir soit en transfert avec des personnes de leur institution soit en séjour adapté avec d’autres personnes qu’ils ne connaissent pas. Mais dans les deux cas, le séjour implique un entre-soi entre personnes handicapées.
La loi de 2005 et le mouvement engagé vers une société plus inclusive impactent-ils l’offre de vacances pour les personnes dépendantes ?
Votre question me permet d’exposer une troisième voie avec l’apparition et le développement d’une modalité influencée par la vision inclusive portée par la loi du 11 février 2005. Il s’agit de permettre aux personnes handicapées d’accéder et de profiter de l’offre touristique « classique » ou « ordinaire ». On parle de tourisme inclusif ou de tourisme accessible. Dans ce cadre, les personnes en situation de handicap peuvent en quelque sorte sortir de leur huis clos, et fréquenter d’autres personnes que celles avec lesquelles elles vivent en établissement et surtout pas uniquement des personnes handicapées. Certains établissements accompagnent des usagers dans l’organisation individualisée de vacances dans des structures type camping ou club afin que la personne expérimente des vacances en milieu ordinaire. Parfois, l’usager part également avec sa famille ou des proches, dans des lieux de vacances dit ordinaires. Toutefois, cette modalité inclusive implique une condition essentielle parfois négligée : l’accessibilité.
Aujourd’hui les trois modalités coexistent-elles ?
Oui, les trois modalités co-existent et heureusement d’ailleurs. Ensembles, elles participent à la constitution d’une offre touristique ajustée aux besoins et attentes des personnes handicapées et des usagers. Ces derniers peuvent ainsi choisir le type de séjours de vacances qui leur correspond le mieux. Par exemple, le séjour institutionnel privilégiant l’entre-soi institutionnel peut correspondre aux besoins de certaines personnes et peut être préféré à un séjour adapté. Dans une institution, certains usagers apprécient de partir avec des personnes familières et qu’ils connaissent. D’autres à l’inverse sont plutôt en attente de rencontres et de faire de nouvelles connaissances. Le choix et les attentes des usagers sont primordiaux et le « cas par cas » doit primer.
Est-ce que le fait de partir en vacances ne concerne que les personnes les plus autonomes et exclut de fait les usagers les plus dépendants ?
L’offre de séjours de vacances à destination des personnes handicapées est plurielle et complète. Les séjours de vacances adaptées répondent à la diversité des attentes et des besoins des personnes handicapées en proposant des séjours pour des personnes autonomes jusqu’à des personnes plus lourdement handicapées. Je pense que le degré de handicap ne peut pas être avancé comme une contre-indication, un prétexte ou une excuse pour ne pas avoir accès aux vacances. Tout est possible. Certains séjours adaptés sont spécifiquement pensés et organisées pour accueillir des vacanciers très dépendants. Par contre, les coûts des séjours adaptés sont souvent relativement élevés. En revanche, la situation se complique concernant les séjours inclusifs du fait de l’accessibilité. Mettre en œuvre l’accessibilité pour un public dépendant n’est pas mettre en œuvre l’accessibilité pour des personnes plus autonomes ; les aménagements ou réponses à apporter ne sont pas identiques. Dans ce cadre, la possibilité de partir en vacances ne relève pas du degré de handicap mais plutôt de la mise en œuvre de l’accessibilité généralisée.
Quelle est la place des vacances pour les personnes institutionnalisées ?
Dans le champ du handicap, le loisir, le tourisme et les vacances ont été longtemps en arrière-plan, quelque peu déconsidérés, longtemps perçus comme la « dernière roue du carrosse » aux dépens de l’école et de l’emploi affirmés comme des priorités. Cela n’est plus le cas aujourd’hui, les vacances des usagers rythment, la vie, l’organisation et l’accompagnement des équipes éducatives de l’institution. Les vacances sont prises en compte et occupent une place importante pour les personnes en institution.
A l’heure de la désinstitutionalisation et de l’autodétermination, comment devront être pensées à l’avenir les vacances des personnes dépendantes ?
Pour ma part, le développement de l’offre touristique pour les personnes en situation de handicap est conditionné par la démocratisation de l’accessibilité. Si les séjours institutionnels et les séjours adaptés proposent des prestations ajustées aux besoins et attentes d’un vaste public composé de différents types et degrés de handicap, l’offre touristique généraliste dispose d’une marge de progression conséquente. En fait, le gros frein reste le manque d’accessibilité. C’est pourquoi en se mobilisant en faveur d’une accessibilité généralisée, cette offre peut évoluer et se transformer pour accueillir une clientèle à besoins spécifiques. Mais cela implique un engagement concerté et combiné de la part de l’ensemble des acteurs de l’offre touristique.
Alexandra Marquet, journaliste et cheffe de rubrique
Enquête IGAS
En juillet, l’Inspection générale des affaires sociales a rendu les conclusions de sa mission d’évaluation de l’encadrement, de l’organisation et de la qualité des vacances adaptées organisées (VAO). S’appuyant sur quatre questionnaires adressés tant aux services de l’Etat et aux organisateurs de séjours qu’aux vacanciers eux-mêmes, le rapport dresse un premier état des lieux. Ainsi, en 2023, les 213 opérateurs VAO agréés ont organisé 5.229 séjours pour plus de 55.000 vacanciers.
Pour quelles recommandations ?
- Mieux connaître et reconnaître les VAO comme dispositif favorisant les vacances inclusives et participant au droit aux vacances des adultes handicapés ainsi qu’au répit pour les aidants et les familles ;
- Renforcer la qualité et la sécurité des séjours mais aussi l’attractivité du secteur ;
- Refondre le cadre réglementaire, mieux animer et organiser les missions de suivi et de contrôle des services déconcentrés de l’Etat, et les outiller en conséquence.