Infirmière diplômée en 2004, Céline Courbet se passionne depuis toujours pour les chiens et a eu très tôt l’intuition que l’interaction avec l’animal pouvait être bénéfique à l’humain. C’est d’ailleurs sur ce thème que portait son mémoire de fin d’études, à un moment où la médiation animale connaissait un bel essor en France.
Depuis plus de dix ans, Céline Courbet travaille en psychiatrie au Centre Hospitalier Esquirol de Limoges. C’est là que, après avoir suivi une formation spécialisée auprès de l’organisme Présence Animale puis obtenu le Diplôme universitaire Relation d’aide par la médiation animale à Clermont-Ferrand, elle a pu mettre en place et développer des actions de médiation canine.
Tout a commencé en 2014, avec deux psychiatres, responsables d’une unité de troubles anxio-dépressifs. « Les docteurs Verger et Audebert avaient envie d’intégrer un chien dans leur unité. Dès que j’ai entendu parler de cette expérience, j’ai proposé de participer à l’aventure et j’ai été nommée référente soignante du projet. Nous avions une toute jeune chienne, nommée Izy, qui appartient au Dr Audebert. Avec les patients, nous faisions des promenades dans le grand parc arboré qui entoure l’hôpital, en ménageant des moments de détente caresse. La chienne assistait aussi à certains entretiens infirmiers. »
Création d’une unité fonctionnelle de médiation animale au sein de l’hôpital
En 2016, l’unité ferme ses portes : c’est la fin du premier acte. « Mais cette première expérience s’est avérée suffisamment concluante pour que la direction de l’hôpital décide de me détacher complètement des soins d’hospitalisation pour me charger à 100 % de l’unité fonctionnelle de médiation animale, nouvellement créée. L’expérience pouvait dès lors se poursuivre et prendre de l’ampleur. Depuis 2017, j’interviens de manière transversale dans toutes les unités de l’hôpital. »
La chienne Izy assume sa mission quelque temps encore mais, souffrant d’arthrose, elle doit être mise au repos. « Comme j’avais de plus en plus de demandes, nous avons décidé d’agrandir l’équipe. J’ai d’abord intégré Vega, ma propre chienne. Puis l’hôpital a financé l’achat de deux nouveaux chiens : Lulu (en 2018) et Pumba (en 2019). Ces trois chiens vivent avec moi. Ma famille, mes enfants, adhèrent complètement au projet. En dehors des heures passées à l’hôpital, ces chiens mènent une vraie vie de chien, avec de nombreuses activités à l’extérieur. Ils sont, je l’espère, très heureux, en tout cas je mets tout en œuvre pour qu’ils le soient ! »
Un intérêt marqué pour les thérapies non médicamenteuses
Le Centre Hospitalier Esquirol mise beaucoup sur les soins non médicamenteux et a fait en sorte qu’une offre très diversifiée soit accessible aux patients, en fonction de leur profil et de leur pathologie : sport, art-thérapie, médiation animale... « J’interviens sur prescription médicale, explique Céline Courbet. Quand un médecin ou une équipe pense que l’interaction avec un des chiens pourrait améliorer la situation d’un patient, on fait appel à moi ! »
Des objectifs précis et clairement explicités
Les séances de médiation canine ainsi proposées visent des objectifs bien précis, qui ont été discutés et élaborés par la direction de l’hôpital, les médecins et l’ensemble des équipes. « La médiation animale cherche à renforcer l’alliance thérapeutique, en créant un lien de confiance entre le patient et l’équipe soignante et en améliorant l’adhésion à la prise en charge. Elle favorise la valorisation de l’estime de soi et les processus de communication avec autrui. Le chien peut aussi être un bon support motivationnel : avec lui, le patient fera un peu d’exercice, se remettra à marcher, à bouger, à agir. La présence de l’animal contribue également à améliorer l’humeur et baisser l’anxiété, pendant les séances et si possible au-delà. Le chien enfin permet une meilleure gestion des émotions : le patient s’adapte à l’animal parce que c’est un être vivant ; et les capacités qu’il met en œuvre pour créer un lien avec l’animal peuvent ensuite être sollicitées dans sa relation aux autres. »
Et aussi la tendresse...
Céline Courbet ajoute un dernier bienfait, qu’elle observe fréquemment : l’accès à la tendresse. « Les patients que nous accueillons ici souffrent souvent de carences affectives, ils sont isolés et reçoivent peu de visites. Avec l’animal, ils peuvent se reconnecter au monde des vivants. Mais il faut faire bien attention : nous sommes dans un hôpital psychiatrique, ce n’est pas un lieu de vie (comme les EHPAD par exemple). Notre objectif : que le patient aille mieux et puisse rentrer chez lui en étant le plus autonome possible. Nous devons toujours replacer la médiation animale dans le contexte de la prise en charge thérapeutique et ne pas encourager un hyper attachement qui pourrait retarder la sortie du patient. »
Depuis 2017, la médiation canine s’est bien installée dans le paysage du Centre Hospitalier Esquirol. « Je travaille aujourd’hui avec plus de 35 prescripteurs différents – ce sont toujours les médecins qui valident la demande, mais l’idée émane souvent des équipes soignantes. J’interviens dans presque toutes les unités de l’hôpital, pour 25 à 30 bénéficiaires chaque semaine. Les séances, individuelles ou en groupe, durent en moyenne trente minutes. J’alterne les chiens. Je les choisis en fonction du profil des patients à accompagner mais aussi des besoins physiques et psychiques de chaque chien sur le moment. Quand l’un travaille, les deux autres se reposent dans un local prévu pour eux. Le bien-être des chiens est essentiel à la réussite d’un tel programme. J’essaie alors de développer des contenus de séances qui soient le moins contraignants possibles et le plus respectueux des besoins des chiens. »
L’évaluation : une question centrale mais complexe
La question de l’évaluation est naturellement cruciale, mais elle est complexe. « Au cours de chacune des séances, j’observe attentivement tout ce qui se passe sur le plan clinique, retrouvant là mon rôle d’infirmière : quelles interactions se mettent en place, comment le patient se comporte avec l’animal et avec les autres, quel est son degré d’anxiété, etc. Je retranscris toutes ces observations par écrit sur le dossier informatisé du patient. En dehors de cela, j’échange beaucoup, de manière plus informelle, avec les différents collègues qui interviennent auprès du patient. La prise en charge individualisée de chaque patient est pluridisciplinaire : chacun apporte son point de vue particulier, ses retours d’expérience, et c’est à force d’additionner les petites touches que nous construisons ensemble une prise en charge globale cohérente. Il m’arrive aussi de participer aux réunions d’équipe, surtout dans le cadre d’hospitalisations plus longues. Nous discutons alors entre nous pour savoir si les séances de médiation animale ont été bénéfiques et s’il est nécessaire de poursuivre ou non la prise en charge. Tout ceci se fait de manière très naturelle. Ce qui est plus difficile, c’est de quantifier précisément la part de la médiation animale dans l’amélioration de l’état du patient. »
On demande toujours à la médiation animale de prouver son efficacité
« On aimerait bien créer un outil qui permettrait de mesurer scientifiquement l’impact des séances. Par exemple, si on a observé que la présence d’un chien a notablement amélioré l’état d’un patient souffrant de schizophrénie, peut-on en déduire que tous les patients ayant cette pathologie seront réceptifs à ce soin relationnel ? Bien sûr que non, car il y a le facteur humain et le facteur animal. Nous parlons de relation d’individu à individu au sein d’une triangulation (bénéficiaire, soignant et animal) : chaque prise en charge est différente et unique. Et toute tentative d’analyse quantitative serait biaisée.
On observe aussi que certains patients vont mieux dès qu’ils sont en contact avec le chien, tandis que pour d’autres le processus est plus long. Il n’y a pas de règle, pas de loi immuable. Le chien n’est pas un médicament ! Quand on travaille en médiation animale, on peut ressentir ce besoin de démontrer que ça marche. Sur le terrain, il me paraît difficile de prouver que tel animal aura tel impact sur telle personne atteinte de telle pathologie. Nous ne sommes pas dans le champ médical au sens strict du terme. Ce que je peux dire, c’est que depuis trois ans, la médiation animale fonctionne de manière très satisfaisante et que j’ai de plus en plus de demandes... Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément d’agir sur des symptômes précis mais plutôt d’améliorer le bien-être général ainsi que les conditions d’hospitalisation. De créer un contexte favorable à l’adhésion aux soins et ainsi favoriser l’amélioration de l’état du patient. »
D’autres effets positifs à ne pas négliger
S’il est un peu hasardeux d’évaluer scientifiquement l’impact d’une action de médiation canine sur les troubles psychiatriques dont souffrent les patients, d’autres effets positifs sont plus faciles à mesurer : « Quand on les interroge directement, les patients sont, à 98 %, très heureux de passer du temps avec un chien. Cela ne signifie pas qu’ils vont guérir plus vite mais c’est déjà quelque chose ! D’autre part, l’arrivée d’un chien dans une unité crée tout de suite une bonne ambiance, c’est une coupure dans la routine, une petite bulle d’oxygène. Le chien fait parler, déclenche des sourires, peut instaurer du lien entre les équipes, les services techniques ou administratifs, et peut susciter des interactions nouvelles et positives. Quand un patient se promène dans le parc avec un chien, les autres vont plus facilement vers lui. D’une certaine façon, la présence de l’animal déstigmatise le patient atteint de troubles psychiques. »