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QUAND L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ENCOURAGE LA MÉDIATION ANIMALE

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A. La médiation animale s’inscrit dans la formation des personnels pénitentiaires

Jean-Philippe Mayol travaille depuis 38 ans dans l’administration pénitentiaire. Au cours de sa carrière, il a dirigé toutes les catégories existantes d’établissements pénitentiaires, présidé à l’ouverture de trois d’entre eux et exercé son activité outre-mer, à la Réunion puis en Guyane. Aujourd’hui, il est directeur adjoint de l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire (ENAP).
« La médiation animale ? Une vieille histoire pour moi ! Elle remonte au milieu des années 90, à la maison d’arrêt d’Angers. Il régnait un climat de violence extrême entre les détenus et le personnel de surveillance. Plusieurs prisonniers se sont suicidés. Pour apaiser les tensions et recréer du lien, j’ai imaginé de faire intervenir un cheval. La médiation animale en prison n’existait pas alors en tant que telle. Je suis simplement allé parler de mon idée au centre hippique d’Angers... Et des résultats significatifs ont été observés très rapidement. »
Avec un cheval, on communique mieux avec les hommes
Il faut préciser que Jean-Philippe Mayol est lui-même cavalier et qu’il connaît l’animal ! « Je sais où réside la difficulté dans l’art de diriger un cheval. C’est une question de rigueur, de volonté, de discipline, pas de force. Au début des années 2000, lors de l’ouverture du centre pénitentiaire de La Farlède, près de Toulon, je n’ai pas hésité à recourir à nouveau au cheval pour préparer le personnel. Ce que j’avais observé empiriquement à Angers s’est reproduit à La Farlède : avec un cheval, on communique mieux avec les hommes, sans recourir à la violence ; on échappe au rapport de force. »
Quelque temps plus tard, à la maison d’arrêt d’Arles, Jean-Philippe Mayol approfondit sa réflexion sur les bienfaits de la médiation animale en prison. « L’animal permet de restaurer la communication entre le personnel et les détenus. On n’évite pas les conflits mais on peut les exprimer, ce qui ouvre la voie vers la résolution. La médiation animale se rattache au concept plus général de sécurité dynamique. Il s’agit de sécuriser et d’apaiser les relations entre détenus et surveillants, afin de favoriser l’acceptation d’activités à valeur pédagogique qui aident ensuite les prisonniers à ne pas récidiver après la sortie. Après tout, s’ils sont incarcérés, c’est généralement qu’ils ont des difficultés dans la relation à autrui. » Les années passant, la médiation animale se fait mieux connaître et les bénéfices des expériences menées en prison commencent à être reconnus officiellement. « C’est devenu plus facile pour moi, je n’avais pas à expliquer et à convaincre la hiérarchie et les équipes, contrairement à mes débuts où j’ai dû me battre et encaisser les critiques acerbes des organisations syndicales ! À La Réunion, j’avais affaire à des détenus d’un autre genre : la plupart étaient en grande souffrance, renfermés sur eux-mêmes, silencieux, en rupture totale de communication. Comme le cheval est rare à la Réunion, nous avons travaillé avec un éducateur de chiens errants. La rééducation des chiens se faisait en prison avec les détenus, qui par ce biais se réappropriaient la relation avec autrui et se resocialisaient. »
Sécurité dynamique et médiation animale
Après des années d’exercice en établissements pénitentiaires, Jean-Philippe Mayol n’abandonne pas la réflexion sur la médiation animale en arrivant à l’ENAP. Bien au contraire. « À l’ENAP, plusieurs cadres avaient travaillé à Arles où ils avaient expérimenté avec succès les pratiques de médiation équine. Le sujet est aujourd’hui au programme de la formation des directeurs. Thierry Boissin anime régulièrement des séminaires de formation centrés sur le cheval, au cours desquels il explique et fait comprendre les mécanismes profonds de la relation avec l’animal. De mon côté, lorsque j’aborde en cours la question de la sécurité dynamique, je parle systématiquement de la médiation animale comme pratique professionnelle. Nous avons récemment organisé une exposition sur la sécurité dynamique avec des cartes mentales (cela permet d’organiser un contenu d’information non plus de manière linéaire mais sous la forme d’un diagramme constitué d’un noyau central (une thématique) d’où partent de multiples prolongements correspondant à d’autres niveaux d’informations associées à ce thème central) : l’une d’elles était consacrée à la médiation animale. Pour le dire en un mot, toute personne passant aujourd’hui par l’ENAP entend parler au moins une fois de médiation animale au cours de sa formation. Quel chemin parcouru en 25 ans ! »
Un guide méthodologique pour accompagner le personnel
En 2018, au moment de la mise en place du Comité de Pilotage sur la médiation animale de la DISP de Rennes, Jean-Philippe Mayol est sollicité. « L’idée est venue de Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. Souhaitant développer des projets de médiation animale en prison mais constatant de fortes disparités dans les actions mises en place d’un établissement à un autre, il préconisait de créer une note générale au niveau de l’administration centrale afin d’harmoniser les procédures et les démarches méthodologiques. L’ENAP n’est pas habilitée à mener directement de telles démarches mais, après discussion avec la directrice de l’époque, Sophie Bleuet, nous avons décidé d’englober le thème de la médiation animale dans le guide méthodologique sur la sécurité dynamique que nous étions en train de constituer. Il s’agit d’un classeur d’accompagnement destiné au personnel pénitentiaire, dans lequel nous détaillons un certain nombre de procédures et techniques visant à apaiser les conflits et prévenir les violences. La médiation animale figure en bonne place dans ce document que chacun peut consulter. »


B. Un comité de pilotage pour cadrer les projets et harmoniser les objectifs

Éducateur spécialisé de formation, Loïc Ben Ghaffar a commencé sa carrière en multipliant les expériences professionnelles auprès de personnes handicapées, de personnes SDF ou en rupture d’hébergement et de femmes victimes de violences conjugales, avant d’intégrer la fonction publique et d’exercer pendant cinq ans comme éducateur au Service Éducatif auprès du Tribunal de Lyon. En 2010, il rejoint l’administration pénitentiaire comme élève-directeur avant de prendre, en 2011, son premier poste en qualité d’adjoint au chef d’établissement de la maison d’arrêt de Brest, puis, depuis 2017, comme chef du Département des Politiques d’Insertion, de Probation et de Prévention de la Récidive à la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes où, dit-il, son ancien métier d’éducateur spécialisé lui sert tous les jours.
Poser un cadre institutionnel
« J’avais déjà entendu parler d’expériences de médiation animale en prison, mais c’est à mon arrivée à Rennes il y a deux ans que j’ai été véritablement confronté à la question. Plusieurs structures avaient mis en place des projets, on sollicitait le soutien du Département, son avis, on lui exposait des bilans, on lui demandait de pérenniser des dispositifs... J’ai rencontré de nombreux intervenants du secteur, échangé avec la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. J’ai senti tout de suite l’énorme potentiel de ce type de programme ainsi que la forte motivation des établissements et des équipes. Mais il semblait nécessaire de travailler à poser un cadre institutionnel. Des intervenants spécialisés très engagés, comme la psychologue Catherine Mercier, souhaitaient développer leurs actions. La Direction Interrégionale avait de son côté engagé une réflexion sur la réduction de la violence au sein des établissements pénitentiaires – et les programmes de médiation animale apparaissaient comme un biais intéressant. Par ailleurs, l’ENAP travaillait sur un guide méthodologique relatif à la médiation animale à destination des personnels. La Fondation Adrienne et Pierre Sommer, qui soutenait des actions, était partante pour nous soutenir dans notre démarche de réflexion. C’était l’alignement des planètes ! Nous étions tous là au bon endroit et au bon moment, avec un même objectif et c’est ainsi qu’est née l’idée d’un Comité de Pilotage sur le thème de la médiation animale. »
Enrichir la boîte à outil
En mars 2018, toutes les structures de l’Interrégion (24 établissements, 14 services pénitentiaires d’insertion et de probation) sont invitées à une première réunion.
« Nous voulions expliquer ce qu’est la médiation animale et, surtout, ce qu’elle n’est pas. Nous avons volontairement mélangé des personnes qui avaient l’expérience de ce type de pratiques et ceux qui n’en connaissaient rien. Nous voulions faire un état des lieux afin d’harmoniser les pratiques, avec l’idée que la médiation animale pouvait contribuer aux objectifs interrégionaux (désengagement de la violence - appropriation des habiletés relationnelles - capacité à se mobiliser dans un parcours) et s’articuler aux programmes existants : il s’agissait d’enrichir la boîte à outils ! » La deuxième réunion du Comité de Pilotage a lieu quelques mois plus tard. « Cette fois, les structures participantes sont venues avec leurs partenaires, pour expliquer leur démarche méthodologique et rendre compte des résultats obtenus sur le terrain. » La troisième réunion se tient en décembre 2018. « Lorsque nous avons commencé ce travail de réflexion et de co-construction, 9 structures de l’Interrégion avaient mis en place un projet de médiation animale. Six mois plus tard, elles étaient 17 et ce nombre devrait encore augmenter en 2019. Nous espérions bien que notre travail favoriserait l’essor de la médiation animale en prison, mais nous ne pensions pas que ce serait aussi rapide ! Certains établissements sont allés très vite : la maison d’arrêt d’Angers, par exemple, a mis en place deux expériences en même temps. L’une, avec des petits animaux, est destinée à aider les personnes isolées afin de les aider à recréer du lien ; l’autre fait intervenir des chevaux et s’adresse à un public plus jeune, potentiellement violent. »
Des chemins de traverse pour aider à la réinsertion
Au cours de ses douze mois d’existence, le Comité de Pilotage a réussi à mettre en lumière les expériences de médiation animale en prison, à modifier la perception négative que certains pouvaient en avoir et à donner envie à de nombreuses structures d’y aller elles aussi – tout ceci constituerait déjà un bilan plus que satisfaisant. « Mais il faut aller plus loin. La médiation animale s’inscrit dans un cadre plus large. À la Direction interrégionale de Rennes, nous sommes absolument convaincus que pour réussir le parcours de réinsertion de certaines personnes placées sous main de justice, il est nécessaire d’emprunter des chemins de traverse – sport, culture, médiation animale, cette dernière option étant souvent une passerelle ouvrant l’accès à d’autres programmes. Un parcours de réinsertion se construit par étapes et la médiation animale peut jouer un rôle de facilitateur. Le Comité de Pilotage, qui allie études précises, questionnaires, retours d’expérience, interventions pluridisciplinaires, nous a permis de structurer la réflexion autour de la médiation animale et nous a aidés à inscrire notre action dans le cadre plus général des objectifs interrégionaux. Les activités de médiation animale ne sont pas des activités occupationnelles ou des spectacles : ce sont de véritables actions de réinsertion. C’est pourquoi nous avons pu inscrire une ligne « médiation animale » dans notre budget 2019 ! Nous sommes maintenant mieux armés pour évaluer les projets qui nous sont présentés. Nous pouvons évaluer leur méthodologie et leurs objectifs et accompagner les structures à les repenser et à les réorienter le cas échéant ! »
Mettre en place des comités de pilotages locaux
Un dernier Comité de Pilotage aura lieu au cours du deuxième semestre 2019. « Il nous reste à travailler à l’évaluation des actions menées par rapport aux objectifs initiaux, sans être trop directif ni rigide, afin que les structures engagées s’approprient leurs projets, se sentent libres de les adapter à leur contexte particulier. Il est indispensable, pour leur réussite, que les actions de médiation animale dans les établissements mais aussi en milieu ouvert soient portées par les agents de surveillance et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, ce qui nous obligera également à nous arrêter sur la question de la formation. Nous voulons que par la suite, le travail engagé l’année dernière soit relayé par des comités de pilotage locaux, plus proches du terrain, afin que les actions de médiation animale restent vivantes et évolutives, qu’elles soient constamment repensées et replacées en perspective. »


C. Un référentiel métier pour les intervenants en médiation animale

Catherine Porceddu travaille dans l’administration pénitentiaire depuis 23 ans. Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (CPIP) à ses débuts, elle a gravi les échelons pour devenir Directeur Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (DPIP). Depuis huit ans à la Direction de l’administration pénitentiaire, elle est en charge des partenariats associatifs au niveau national. La médiation animale – un sujet qui l’intéresse particulièrement – entre dans ses domaines de compétence.
« La question de la médiation animale est entrée dans les prisons il y a une dizaine d’années. Des expériences pilotes ont été menées çà et là, et particulièrement à la maison d’arrêt de Strasbourg et à la maison centrale d’Arles. Les effets en étaient plutôt bénéfiques, le bouche-à-oreille a fonctionné, l’idée s’est répandue, on a commencé à en parler dans les médias. La médiation animale est un outil, plutôt efficace la plupart du temps, pour prévenir contre la récidive, lutter contre la violence, apaiser les tensions et diminuer l’agressivité, permettre de reprendre confiance en soi et retrouver une image positive, améliorer la socialisation des personnes détenues et recréer du lien dans les prisons. À condition que l’objectif soit clairement posé et que les ateliers soient menés dans les règles de l’art. »
Quoi, comment, qui ?
de nombreuses expériences sont menées localement, l’administration pénitentiaire se saisit du dossier de la médiation animale pour instaurer un cadre institutionnel et homogénéiser les pratiques. « L’ENAP a intégré le thème de la médiation animale dans ses cursus de formation et a rédigé un guide méthodologique qui répond à la question « quoi ». La Direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes a mis en place un comité de pilotage qui traite plutôt de la question « comment ». Nous suivons d’ailleurs de très près ce travail très riche en enseignements. De notre côté, nous souhaitons répondre à la question « qui ». Qui pour animer un atelier de médiation animale : quel profil, quelle formation, quelles compétences ? Il faut de véritables professionnels, pas du light ou du low cost. On ne s’improvise pas intervenant en médiation animale et ce n’est pas parce qu’on fait entrer un animal en prison qu’on fait de la médiation ! Dans cette optique, nous avons signé une convention de partenariat avec l’association Evi’dence, qui intervient depuis dix ans à la maison d’arrêt de Strasbourg. L’objectif est de constituer un référentiel métier qui sera diffusé dans tous les établissements en 2019-2020 et les aidera pour choisir les intervenants les plus qualifiés par rapport à leurs projets.
C’est la Direction de l’administration pénitentiaire qui finance en partie l’élaboration de ce référentiel métier ; il sera ensuite utilisé par tous. Nous ne nous occupons pas d’actions locales, car cela ne relève pas de nos prérogatives. Mais nous donnons l’impulsion et mettons des outils pratiques à la disposition des services déconcentrés. »
Un outil de réinsertion aux résultats parfois spectaculaires
Catherine Porceddu revient plusieurs fois au cours de l’entretien sur le fait que la médiation animale est un outil de réinsertion parmi de nombreux autres (la palette est large, incluant activités sportives, culturelles, insertion professionnelle, enseignement...), qu’elle n’est pas un remède universel et qu’il est essentiel de chercher pour chaque personne détenue un projet d’accompagnement adapté, quel qu’il soit. On sent néanmoins qu’elle a été personnellement très frappée par certaines expériences de médiation animale auxquelles elle a assisté. « Au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, de jeunes femmes ont pris part à une randonnée équestre de deux jours qui finalise un parcours de plusieurs séances. Quand on voit comment elles en reviennent et qu’on se souvient de ce qu’elles étaient au moment du départ, on est très impressionné. Je me souviens aussi des petits « caïds » du centre de détention de Tarascon, qui ne connaissaient que les coups et l’intimidation. Face à un cheval de 600 kg, ils changent du tout au tout, c’est assez spectaculaire ! »

SECTION 1 - LA MÉDIATION ANIMALE EN PRISON

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