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Introduction

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Entretien avec Luca Farina (1), directeur du Centre de référence national pour les interventions assistées par les animaux, Ministère de la Santé, Italie
Quels sont les termes utilisés en Italie pour parler de médiation animale ?
En Italie, le terme que nous utilisons officiellement pour qualifier ce que vous appelez en France « médiation animale » est « interventi assistiti con gli animali » (IAA). Il n’en a pas toujours été ainsi : auparavant, nous parlions plus volontiers de « Pet therapy ». C’était le cas par exemple en 1997, dans une proposition de loi à la Chambre, c’était encore le cas en 2003 dans le premier agrément signé entre le gouvernement et les autorités régionales. Et puis la « Pet Therapy » a été progressivement remplacée par « Interventi assistiti con gli animali » dans les textes officiels. Ce qui n’a pas fait disparaître la « Pet Therapy », expression brève et parlante qui reste couramment utilisée dans les médias et par les professionnels. J’aime aussi, par ailleurs, l’idée de « médiation animale » qui me semble très bien correspondre à la réalité mais l’expression italienne a l’avantage de pouvoir être déclinée, ce dont nous avons besoin pour qualifier plus précisément différentes formes d’actions avec les animaux : nous distinguons en effet la « thérapie assistée par les animaux », « l’éducation assistée par les animaux » et « l’activité assistée par les animaux ».
Quelles sont les grandes étapes de la reconnaissance institutionnelle ?
Dès la fin des années 90, plusieurs propositions de loi tentant de réglementer le secteur ont été proposées à la Chambre des Députés ou au Sénat. Aucune n’a finalement été votée, mais l’idée que les pratiques de médiation animale devaient être encadrées par l’institution étatique a fait son chemin. Au lieu d’une loi nationale, qui semblait trop difficile à faire aboutir, c’est finalement un agrément qui a été signé entre le gouvernement et les autorités régionales (19 régions et 2 provinces autonomes).
Un premier agrément, assez généraliste mais qui mentionne tout de même la « Pet Therapy », a été signé en 2003. En 2009, le ministère de la Santé a créé par décret le Centre de référence national pour les interventions assistées par les animaux, dont je suis le directeur depuis 2013. Le 25 mars 2015 est une date fondamentale : ce jour-là est signé un deuxième agrément entre le gouvernement et les autorités décentralisées. Cet agrément portait spécifiquement sur la problématique de la médiation animale, avec l’ambition de réglementer et d’encadrer la discipline (des lignes directrices spécifiques étant prévues dans l’annexe). Depuis 2015, tous nos efforts portent sur la mise en œuvre et le déploiement région par région des directives contenues dans l’agrément.
Quelles sont les spécificités italiennes ?
Depuis 1958 en Italie, la médecine humaine et la médecine animale dépendent toutes deux du ministère de la Santé et sont placées exactement sur le même plan. Les vétérinaires du service public ont le même statut, le même contrat, le même salaire que les médecins qui soignent les humains. Seule différence : les études des médecins sont un peu plus longues.
Alors qu’en France et dans d’autres pays, le vétérinaire public est traditionnellement au service de la production animale et de ceux qui en vivent (fermiers, éleveurs), en Italie nous englobons dans le concept de santé publique la santé des hommes et celle des animaux. Notre mission : d’abord protéger les êtres vivants, hommes ou animaux. Notre credo : une seule santé (One Health). Le modèle italien a d’ailleurs été adopté par la Commission Européenne : les services vétérinaires qui étaient auparavant rattachés à la direction de l’agriculture dépendent maintenant de la direction de la santé du consommateur.
Cette conception de la médecine qui est la nôtre a de fortes répercussions dans le champ de la médiation animale : médecine humaine et médecine vétérinaire sont naturellement amenées à collaborer étroitement et à dialoguer ouvertement. Il nous paraît absolument évident que les projets de médiation animale soient cogérés.
Quelles actions de médiation animale sont menées sur le terrain ?
Concrètement, les actions de médiation animale mises en place en Italie sont plus ou moins les mêmes que partout ailleurs. Nous n’avons pas de spécificités locales. Les animaux sont impliqués comme médiateurs pour soulager les humains à l’hôpital, en maisons de retraite, en institutions médico-sociales, en prison... Ce qui fonctionne en France, en Espagne ou aux Pays-Bas fonctionne aussi en Italie !
Comment le décret de 2015 organise-t-il la profession ?
Dans le domaine de la thérapie et de l’éducation assistées par l’animal, l’agrément de 2015 décrit précisément qui fait quoi et comment les séances doivent être organisées. La constitution d’une équipe pluridisciplinaire est obligatoire. Du côté de l’animal, deux personnes au minimum sont impliquées : un médecin vétérinaire expert en interventions assistées par l’animal (responsable, il n’est pas nécessairement présent à chaque séance) ; et un conducteur de l’animal qui, lui, est systématiquement présent, surveillant le comportement de l’animal et garantissant son bien-être. Du côté du patient ou du bénéficiaire de l’intervention, deux personnes également sont engagées : un responsable de thérapie ou d’éducation (pas nécessairement présent lors des séances, il s’agit soit d’un médecin soit d’un psychothérapeute, selon le problème à traiter) ; un référent de thérapie (ayant reçu une formation de base universitaire dans le domaine sanitaire) ou d’éducation (ayant reçu une formation universitaire de base dans le domaine pédagogique).
Comment ces intervenants doivent-ils être formés ?
Ces quatre figures, qui encadrent toute action de médiation animale, doivent avoir suivi un parcours de formation spécifique dont le contenu est décrit précisément dans l’annexe de l’agrément de 2015. Ce parcours comporte trois modules. Le premier « corso propedeutico » est un module commun de 21 heures. Vient ensuite le cours de base, dont le contenu diffère selon le profil des participants. Ce deuxième module comprend 40 heures de formation (56 heures pour la formation, plus longue, du conducteur de l’animal). Enfin, le cours avancé, commun à tous, d’une durée minimale de 120 heures et complété de deux visites sur le terrain, d’un stage de 4 jours et de la rédaction d’un mémoire, est la troisième et dernière étape du parcours de formation. Les futurs intervenants en médiation animale doivent avoir bouclé la totalité du parcours en 4 ans maximum.
Pour dispenser ces formations, il existe des organismes reconnus et accrédités dans chaque région. Le système d’agrément mis en place par le ministère de la Santé permet de garantir un contenu standard et homogène sur tout le territoire. Le parcours de formation que nous avons défini assure un niveau de connaissance et d’expertise équivalent, quelle que soit la région. L’attestation remise à la fin du cursus est ainsi valable partout.
Qu’est-ce que la base de données « Digital Pet » ?
À l’issue de l’agrément de 2015, nous avons conçu une base de données nationale destinée à répertorier tous les intervenants en médiation animale dûment formés. Cette base de données que nous appelons « Digital Pet » (https://digitalpet.it) compte actuellement 4 450 personnes : parmi celles-ci, 1 450 ont suivi intégralement le nouveau parcours de formation. Les 3 000 autres sont des intervenants expérimentés qui exercent depuis longtemps et dont nous avons évalué les connaissances et les pratiques avant de les intégrer au fichier.
Le « Digital Pet » est un fichier national, officiel, garant de qualité. Son existence va nous permettre de faire un peu de ménage et de séparer le bon grain de l’ivraie. Des gens font de la médiation animale sans avoir reçu de formation adaptée, ils improvisent leurs méthodes et peuvent faire plus de mal que de bien. Nous recevons d’ailleurs de nombreux signalements sur lesquels il nous faut enquêter. Notre mission consiste à convaincre tous les intervenants qui travaillent actuellement sur le terrain qu’ils ont intérêt à régulariser leur situation. Les compagnies qui les assurent vont de plus en plus exiger qu’elles soient inscrites sur le « Digital Pet ».
Le « Digital Pet » recense également les structures reconnues et agréées pour la médiation animale. Nous formons les autorités sanitaires locales pour qu’elles puissent inspecter ces structures, tant sur le plan humain que vétérinaire, afin de vérifier que tous les critères sont respectés. Nous distinguons les structures spécialisées (créées spécifiquement pour proposer des prestations de médiation animale, avec des animaux résidents ou non) et des structures non spécialisées (qui peuvent utiliser la médiation animale pour atteindre leurs objectifs, prisons ou hôpitaux par exemple). Pour le moment, une trentaine de structures sont référencées, mais ce n’est qu’un début !
Et après ?
Les futurs intervenants en médiation animale doivent payer eux-mêmes leur formation. Aucun financement public ou privé n’existe à ce jour. S’ils le font, c’est parce qu’ils sont très intéressés par la question et qu’ils ont de fortes motivations professionnelles. Les jeunes en particulier sont très attirés par ces nouveaux métiers. Ils constatent que la médiation animale produit du mieux-être et ils se sentent valorisés dans leur pratique. Après, inutile de se le cacher : le marché du travail en Italie est tendu et il n’est pas toujours facile de trouver un emploi rémunérateur. Dans le domaine particulier de la médiation animale, les intervenants formés et accrédités subissent la concurrence de bénévoles ou de retraités qui s’investissent avec passion mais n’ont pas forcément besoin d’en tirer des revenus pour vivre. Ils coûtent donc moins cher, ce qui est tentant pour certaines structures qui souhaitent mettre en œuvre des projets mais n’ont pas toujours les moyens de les financer.
Évaluation et recherche
Le ministère de la Santé finance des projets et des travaux de recherche qui permettront de mieux mesurer l’impact des actions menées. Par ailleurs, chaque responsable de projet en médiation animale est tenu de consigner ses évaluations. Et déjà plus de 160 projets ont été enregistrés dans la « Digital Pet ».
Un modèle italien
Il faut garder à l’esprit que tout cela est relativement récent. L’agrément a été signé en 2015 et ce n’est qu’en 2017 que les directives qui en découlent ont été transférées dans les législations de toutes les régions italiennes. Ces deux dernières années, nous n’avons pas chômé : nous avons défini les attendus et le contenu précis de la formation, nous avons mis en place un système spécifique d’agrément – agrément des intervenants, agrément des structures - et créé une base de données nationale. Petit à petit, nous mettons les choses en ordre de marche. Un axe institutionnel solide a été créé : il va du ministère de la Santé aux autorités locales, en passant par les pouvoirs régionaux et le Centre de référence national pour les interventions assistées par les animaux. C’est l’État qui centralise, encadre, contrôle et fixe les normes. Il s’agit de limiter les risques, d’éliminer les escrocs et d’assurer un niveau de qualité constant, dans l’intérêt de tous. Avec un seul objectif : garantir l’octroi de séances de thérapie assistées par l’animal efficaces pour le bénéficiaire, dans le respect du bien-être de l’animal. Il faudra du temps, mais le sillon est tracé et tout le monde en est satisfait. L’opinion publique est de notre côté, les autorités sont sensibilisées et ont conscience que la médiation animale est devenue un sujet essentiel.


(1)
Luca Farina est aujourd’hui retraité.

SECTION 3 - EN ITALIE, MÉDECINE HUMAINE ET MÉDECINE VÉTÉRINAIRE COLLABORENT ÉTROITEMENT

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