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LE CAS DES PERSONNES EN SOUFFRANCES NARCISSIQUES

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Les personnes en souffrances narcissiques quant à elles, victimes de carences affectives, de maltraitance, ou encore de graves avatars existentiels qu’ils soient somatiques psychiques ou sociaux, n’ont pu mettre en place une assise suffisante de leur identité et vivent dans l’insécurité fondamentale inhérente à la méconnaissance de leur propre personne et, de façon corolaire, au sentiment de ne pas être reconnus par autrui. Ils éprouvent du dédain autant pour eux-mêmes que pour les autres, souvent réduits à la situation d’objets à manipuler. Leurs relations ne peuvent être fiables, pas plus que la régulation des codes de la communication. La violence est leur mode d’interaction privilégié.
Cette forme d’organisation mentale est celle qui voit se développer la plupart des violences constatées en institution. Corrélé à des situations sociales de plus en plus difficiles et de plus en plus nombreuses, cet aspect du développement psychique troublé constitue une grande partie des nouveaux venus dans les structures sociales et médico-sociales, produisant la majorité des comportements posant problème dans le registre de la violence en particulier. Ces patients manifestent des oppositions majeures à l’encontre du processus de socialisation et des interactions et des relations. On serait a priori tenté de répondre à ces refus par une éducation rigoureuse, mais, justement parce que la loi les rebute, ils vont lutter encore davantage et c’est l’échec assuré : la seule rééducation est une impasse. Il convient de considérer ces questions de façon élargie, en abordant leur prise en charge dans une dynamique pluri disciplinaire : institutionnelle, clinique, civile, sociétale, et, en amont, politique et économique.
Heinz Kohut, qui a beaucoup travaillé à l’étude de ces personnalités particulières, décrit les explosions de rage auxquels ils sont sujets : de fait, la fragilité identitaire de ces personnes est telle que toute atteinte, réelle ou perçue comme telle est totalement insupportable. Ils ne peuvent réguler ces attaques qu’en y répondant par une défense fruste et virulente, parfois immédiate et impulsive, parfois ressassée et élaborée comme une vengeance a posteriori.
La structuration perverse de ses personnes n’est pas rare. Pour ceux-là, l’autre n’existe pas en tant qu’individu et se trouve réduit à une chose vis-à-vis de laquelle aucun respect n’est reconnu. Cette « chose » peut donc être manipulée, utilisée et détruite sans culpabilité aucune. Cette violence toute puissante, réifiante et annihilante pour l’autre est souvent même assortie de jouissance générée par la possession et la maîtrise de celui qui n’est personne tant il est insignifiant, seulement objet de réalisation pulsionnelle.
Lorsque le narcissisme, cette ossature identitaire, n’est pas assez structurant, pas assez solide, le sujet a recours à des moyens défensifs de nature archaïque, non distancés, a-symboliques et mettant en œuvre des mécanismes visant à éliminer la source de déstabilisation plutôt qu’à déployer les issues fournies par la civilisation pour maintenir les interactions humaines.
Les souffrances narcissiques, consécutives aux distorsions qui ont marqué la genèse de cet axe identitaire affectent l’ensemble de la sphère relationnelle et les divers aspects de la représentation de soi.
Les expressions pathologiques qui traduisent ces difficultés sont diverses : on peut par exemple repérer des dysfonctionnements sociaux (psychopathie, drogue, alcool), sexuels (perversions et surtout relation sadomasochiste), relationnels (abandonnisme). Les désordres organiques (psychosomatiques) paient également, semble-t-il, un lourd tribut aux troubles narcissiques. La violence est souvent utilisée pour tenter d’asseoir le pouvoir sur l’autre et l’environnement.
Les pathologies narcissiques génèrent une recherche de ressources propres à combler les failles anaclitiques. Ces personnes tentent d’élaborer un narcissisme actuel de secours, en organisant une quête affective souvent maladroite, mal adaptée aux interlocuteurs sollicités : elle s’avère donc inefficace car harcelante et fruste et occasionne davantage de rejet que d’estime, obtenant donc l’inverse de ce à quoi elles aspirent, avec pour conséquence un accroissement de la souffrance. Il convient d’être particulièrement prudent et circonspect quant à l’usage de la contention chez ces personnes : elle produit davantage de révolte que de contenance intégrée.
Chez ces patients, l’intégration des interdits, de la loi et des règles sociales n’a pu se réaliser et ils demeurent résistants à ces principes : les démarches éducatives s’en trouvent donc fortement entravées. Pour Michel Botbol, « l’autre est le plus souvent considéré comme une proie, un objet de jouissance, y compris manipulatoire, et/ou un ennemi à abattre : il s’agit de soumettre autrui, de l’asservir (1). » Cet auteur ajoute que seules la constance et la fiabilité institutionnelle, la cohérence d’une équipe, peuvent les contenir.
Pour ces personnes également, le rôle de la contenance institutionnelle reste fondamental. Les mesures préventives décrites précédemment sont essentielles : il appartient à toute institution de les assurer afin que les conditions fondamentales soient remplies pour que les patients éprouvent une suffisante sécurité et n’aient besoin d’avoir recours à de tels actes que le plus rarement possible. Ne pas le faire c’est favoriser l’essor de la violence, lui préparer le terrain. Les structures qui seraient laxistes sur ces points seraient alors responsables et coupables des crises clastiques des patients, davantage que leurs auteurs eux-mêmes.
Le pervers ne supporte pas la frustration : il la combat par tous les moyens, même illégaux.
Les actes des pervers, qu’il s’agisse de sexualité abusive, à type de viol, ou de toute autre violence, manipulation, harcèlement moral, sont certes les expressions et les ressources d’une pathologie psychique majeure, mais sont aussi des délits et il est impératif de mettre en place des limites explicites, lesquelles sont efficaces à condition d’être constantes, fiables et concrétisées par une présence régulatrice de tous les instants. C’est à ce prix que l’on parviendra à réguler la symptomatologie abusive de ces patients, leur procurant un cadre in fine sécurisant. C’est à ce prix exigeant que l’on parviendra à éviter les exactions et les manipulations destructives de ces délinquants.
Il me paraît intéressant, à ce stade, de faire quelques remarques complémentaires et sociologiques : on peut observer un accroissement et de l’intérêt porté par de plus en plus de cliniciens aux questions du narcissisme et de ses avatars pathologiques, et, de fait, du développement de ces structures pathologiques chez les patients autrefois plutôt considérés soit comme des névrosés, soit comme des psychotiques. Les pathologies du narcissisme sont-elles effectivement plus fréquentes ou davantage diagnostiquées grâce aux progrès des connaissances et des expériences en matière de compréhension des processus psychopathologiques ? Assistons-nous à une évolution liée aux transformations psychosociales et culturelles ? Les grandes hystéries accompagnées de crises histrioniques étudiées par Charcot ont pratiquement disparu sous cette forme. Il faut en ce sens noter que, à l’époque de Charcot et de Freud, si ce mode d’expression et d’organisation psychique se trouvait privilégié, c’est en partie parce que les modalités sociales puritaines de l’époque constituaient un réceptacle favorable à leur éclosion, tant du point de vue du patient que de celui du clinicien chercheur. Il existe probablement une sorte d’inconscient culturel, constitué à l’instar de l’inconscient subjectal, de pulsions refoulées, de conflits et de réponses adaptatives qui affectent une structure sociale.
De nos jours, les souffrances de l’idéalité semblent faire écho aux mouvements de société qui, en Occident en tout cas, valorisent l’intemporalité, dans l’énergie développée pour dénier le temps qui passe (refus du vieillissement, gommage des différences des âges, occultation des rythmes saisonniers), refuser les faits de nature (effacement de la différence des sexes, chirurgie esthétique, maîtrise technologique paroxystique, recherche du risque zéro dans tous les domaines : alimentation, santé, économie, sécurité...), condamner et rejeter l’éventualité même de l’erreur humaine (la démarche qualité, tant vantée, de l’industrie au commerce en passant par le social, ne vise-t-elle pas au summum de sa réussite à obtenir un service zéro défaut ?), investir de façon excessive l’apparence superficielle (recherche de la belle enveloppe, sans souci, voire au mépris du fond), remplacer les valeurs de communication (hédonisme) par celles de la compétition (agonistique), depuis l’école jusqu’au travail en passant par le sport et même l’art dont l’expression publique se nomme volontiers performance. Le Téléthon a même consacré l’esprit de compétition qui vient remplacer la dynamique humanitaire : gloire à celui qui sera le meilleur donateur de la bonne conscience publique.
De fait, notre société est impitoyable pour l’équilibre narcissique, en conduisant chacun vers une quête de maîtrise, voire de l’emprise sur ce qui, jusqu’ici, pouvait échapper au pouvoir humain.
La réalité des difficultés sociales auxquelles beaucoup sont douloureusement confrontés, devant faire face à des conditions économiques de plus en plus précaires complique sérieusement le développement d’un narcissisme riche et solide. « L’inquiétude porte essentiellement sur l’augmentation des troubles du comportement et de la personnalité, c’est-à-dire les difficultés pour lesquelles la frontière entre le normal et le pathologique est floue et l’évolution très variable, c’est-à-dire des difficultés ou le rôle de l’environnement est important et souvent essentiel », dit Philippe Jeammet (2).
Selon une étude du CREAI d’Aquitaine, ces pathologies sont en augmentation importantes : elles concernent 72 % des jeunes accueillis en ITEP (3), alors que les troubles névrotiques qui affectaient près de 60 % d’entre eux il y a quelques années, ne sont présents que chez moins de 20 % au moment de l’enquête. Cette recherche précise que le diagnostic : associe « la souffrance dépressive avec l’incapacité de recevoir une aide [...], les défauts de la régulation dans l’estime de soi [...], les angoisses de séparation [...], les retards du développement affectif, les tendances régressives, les conduites de dépendance ». Dans 94 % des cas, les facteurs d’environnement sont impliqués dans les troubles (carences affectives et socio-éducatives, mauvais traitements, alcoolisme familial.). L’observation tend à laisser penser que cette tendance évolutive est la même dans l’ensemble du secteur médico-social, au-delà même de la région de cette étude, probablement paradigmatique.
Un groupe de travail national (4) fait d’ailleurs état des difficultés nouvelles des travailleurs sociaux et médico-sociaux face à cette réalité évolutive : « Les travailleurs sociaux sont de plus en plus fréquemment confrontés, dans les différentes situations au cours desquelles ils établissent une relation d’aide à la personne, à l’expression de souffrances ou de troubles psychiques générés ou aggravés par des difficultés multiples : familiales, sociales, de santé, économiques... une souffrance psychique plus directement liée à ces déterminants psychosociaux dont le cumul et la charge affective invalident de façon aiguë les mécanismes de défense et d’adaptation de la personne, d’une autre forme de souffrance psychique plus souvent décrite chez les personnes en situation d’exclusion. Cette souffrance se présente sur fond de carences affectives, de violences, de ruptures ayant agi dès l’enfance, comme des traumatismes. »


(1)
Michel Botbol, États limites en institution : une psychothérapie par l’environnement, revue Psychothérapies, Vol. 26, 2006/1


(2)
Philippe Jeammet, Pour nos ados soyons adultes, Odile Jacob, 2008


(3)
Bénédicte Marabet, les jeunes accueillis en Itep (Gérard Forgues), 2001-2006, Creahi d’Aquitaine, juin 2007.


(4)
Groupe de travail pluri-professionnel conduit par la direction générale de la Santé et la direction générale de l’Action sociale, Rôle et place du travailleur social, octobre 2005.

SECTION 5 - L’AXE DU RETRAIT AUTISTIQUE

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