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Les droits de l’usager de la protection de l’enfance

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La personne qui bénéficie d’une mesure au titre de la protection de l’enfance dispose de droits propres attachés à sa qualité d’usager des services sociaux et médico-sociaux. La question est alors de savoir qui est bénéficiaire de la protection de l’enfance ; comme nous l’avons vu en introduction, le droit est ambigu sur ce point et la loi du 14 mars 2016 n’a pas tranché la question. L’enfant et ses parents peuvent ainsi chacun être considérés comme des usagers de la protection de l’enfance et à ce titre se voir reconnaître un certain nombre de droits à l’égard des établissements et services.
Ces droits sont énumérés par l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles, créé par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002. Selon ce texte, « l’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux ». L’article décline ensuite un certain nombre de droits qui seront rapidement évoqués dans les développements suivants.


A. LES DROITS FONDAMENTAUX

Cette disposition protège les droits fondamentaux de l’individu, qu’il soit mineur ou majeur. Sont visés les droits au respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et son droit d’aller et venir librement. Si ce principe semble évident, il n’est pas toujours simple à appliquer.
Le respect de ces différents droits peut d’abord entrer en contradiction avec l’organisation et le fonctionnement des établissements et services. Il en est par exemple ainsi du droit à l’intimité des enfants confiés au sein de structures collectives, dans lesquelles les chambres sont partagées. Par ailleurs, les droits reconnus à l’usager peuvent entrer en contradiction les uns avec les autres, comme l’illustre, au sein des prises en charge, la nécessité de garantir à la fois le droit d’aller et venir librement et le droit d’être en sécurité. En effet, dans le champ de la protection de l’enfance, il s’agit, d’une part, de garantir la liberté de mouvement de l’enfant et, d’autre part, d’assurer sa protection en l’empêchant de se mettre en danger.
La mise en œuvre de ces différents droits implique la recherche d’équilibres permanents. Cet enjeu est accru dans le champ de la protection de l’enfance par le fait que l’usager est une personne mineure qui doit être protégée des autres mais aussi parfois d’elle-même en raison de sa vulnérabilité.


B. LE DROIT À UNE PRISE EN CHARGE ET UN ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUALISÉ DE QUALITÉ

Selon l’article L. 311-3, 3° du code de l’action sociale et des familles, l’accompagnement mis en place en direction de l’usager doit favoriser « son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché ».
Dans le champ de la protection de l’enfance, le droit à un accompagnement individualisé a plusieurs conséquences. Il impose d’abord que le contenu de la mesure réponde aux besoins de l’enfant et assure sa protection en portant une atteinte aussi limitée que possible au droit à la vie privée et familiale. Dans ce cadre, chaque fois que cela est possible, l’exercice de l’autorité parentale doit être privilégié et les mesures de séparation de l’enfant et ses parents envisagées en dernier recours.
La recherche du consentement éclairé de l’usager implique par ailleurs une information claire de l’enfant et de ses parents sur l’ensemble du dispositif de protection de l’enfance. En matière administrative, on distinguera l’avis du mineur sur les décisions le concernant de l’accord écrit des parents aux mesures proposées.
En pratique, la mise en œuvre de ce droit encourage le développement de documents supports à la prise en charge. La loi du 2 janvier 2002 a créé à ce titre un certain nombre d’outils parmi lesquels le livret d’accueil, le projet d’établissement, la charte des droits et libertés de la personne accueillie mais aussi le contrat de séjour ou document individuel de prise en charge. Ces différents documents sont produits par l’établissement qui accueille l’usager avec la volonté de l’informer et de le faire participer aux décisions qui le concernent (CASF, art. L. 311-3 et s.).
L’élaboration d’un contrat de séjour apparaît alors comme un moyen de recueillir le consentement de l’usager. La valeur de ce consentement reste néanmoins limitée. Le décret du 26 novembre 2004 relatif au contrat de séjour (1) précise en effet que l’usager peut refuser de signer un tel contrat ; auquel cas, cela ne met pas fin à la prise en charge mais conduit simplement à établir un document individuel de prise en charge. Dans le champ de la protection de l’enfance, ces dispositions entraînent deux séries de remarques. D’une part, le consentement de l’usager vise à titre principal le consentement des titulaires de l’autorité parentale, et non celui de l’enfant, représenté dans l’exercice de ses droits par ses parents. D’autre part, l’intervention au titre de la protection de l’enfance introduit en principe une distinction juridique entre le contrat de séjour signé dans le cadre de mesures administratives et le document individuel de prise en charge, utilisé en matière judiciaire. En effet, dans cette seconde hypothèse, la mesure est imposée à la famille par le juge des enfants, et le consentement des parents n’est alors pas requis (2). En pratique, ces dispositions ne sont pas évidentes à mettre en œuvre, car si l’intervention menée en matière judiciaire est en principe contraignante, il arrive que les parents comme l’enfant adhèrent à la mesure qui leur est proposée et qu’il soit intéressant de conclure avec eux un contrat de séjour.


C. LE DROIT À LA CONFIDENTIALITÉ DES INFORMATIONS

Il s’agit de garantir à l’usager que les informations qui le concernent ne seront pas divulguées. Cette confidentialité porte sur l’ensemble des informations recueillies dans le cadre de la prise en charge, qu’elles soient divulguées par l’usager ou issues de l’observation des professionnels.
Ce principe de confidentialité prévaut en matière d’aide et d’action sociales mais trouve une limite importante dans le champ de la protection de l’enfance. En effet, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a organisé le partage des informations à caractère secret sous certaines conditions et dans l’objectif d’assurer la protection de l’enfant (cf. supra, chapitre 1, section 1, § 3, B).


D. L’ACCÈS AUX DOCUMENTS RELATIFS À SA PRISE EN CHARGE

La loi du 2 janvier 2002 reprend à son compte les avancées de la loi du 17 juillet 1978 qui consacre le droit d’accès des administrés aux documents administratifs qui les concernent. Plus largement, dans le champ de la protection de l’enfance, il existe un droit d’accès aux documents administratifs et judiciaires, soumis à des législations différentes (cf. infra, A savoir aussi).


E. UNE INFORMATION SUR SES DROITS FONDAMENTAUX ET SUR LES VOIES DE RECOURS

L’usager doit être informé sur ses droits, mais aussi sur les voies de recours à sa disposition. En effet, l’usager des services sociaux et médico-sociaux est le plus souvent une personne vulnérable, cette vulnérabilité s’expliquant principalement par le manque de ressources présentes dans son environnement, les difficultés économiques, sociales et/ou familiales qu’il peut rencontrer, ou encore le lien de dépendance qui le lie à l’institution.
La connaissance par les usagers de leurs droits et l’utilisation des voies de recours qui sont à leur disposition sont alors nécessaires pour créer un contre-pouvoir et, le cas échéant, faire évoluer les pratiques des professionnels qui ne seraient pas conformes au cadre légal.
L’information de l’usager sur ses droits se traduit notamment par la remise d’une charte des droits et libertés de la personne accueillie définie par voie réglementaire et annexée au livret d’accueil (CASF, art. L. 311-4). En outre, et de manière importante, l’usager est informé des voies de recours à sa disposition, qui doivent être mentionnées dans l’ensemble des décisions écrites rendues par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance et adressées à la famille. Il est alors important que les documents élaborés dans ce cadre puissent être dans un langage simple et compréhensible par tous et, le cas échéant, expliqués à l’oral à l’usager dans le cadre d’un entretien, afin de répondre à ses questions et de lui expliquer les tenants et les aboutissants de chaque procédure.
En pratique, dans le champ de la protection de l’enfance, les recours gracieux et contentieux introduits par les familles sont encore aujourd’hui peu nombreux, bien qu’ils tendent à s’accroître (entre autres en raison de la spécialisation d’un certain nombre d’avocats sur les droits de l’enfant et la constitution d’antennes « mineurs » au sein des barreaux).


F. SA PARTICIPATION DIRECTE À LA MISE EN ŒUVRE DU PROJET D’ACCUEIL ET D’ACCOMPAGNEMENT

L’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles prévoit la mise en place d’un projet d’accueil et d’accompagnement pour chaque usager des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Appliquée à la protection de l’enfance, cette disposition a créé un certain nombre de confusions. Certains établissements et services ont en effet développé sur ce fondement en plus du projet pour l’enfant et du contrat de séjour un « projet individualisé ». Or, si le principe d’un projet individualisé est prévu par la loi, son contenu et ses modalités d’élaboration ne sont pas définis.
Comment s’articule alors dans le champ de la protection de l’enfance ce projet avec, d’une part, le contrat de séjour (ou document individuel de prise en charge) et, d’autre part, le projet pour l’enfant ?
D’un point de vue juridique, différentes interprétations des textes s’opposent. Certains professionnels considèrent que ce projet d’accueil et d’accompagnement est distinct du projet pour l’enfant, car il s’agit d’un document élaboré au niveau de l’établissement (contrairement au projet pour l’enfant élaboré par les services de l’aide sociale à l’enfance au nom du président du conseil départemental). Ce projet d’accompagnement serait également distinct du contrat de séjour ou du document individuel de prise en charge et se matérialiserait sous la forme d’un projet individualisé signé par le lieu d’accueil de l’enfant et par ses parents. La formulation particulièrement large retenue par la loi du 2 janvier 2002 n’empêche pas cette interprétation qui a néanmoins pour inconvénient majeur de multiplier le nombre de documents supports de la prise en charge.
Or, on pourrait interpréter les textes différemment en considérant que l’exigence d’un projet d’accueil et d’accompagnement posé par la loi du 2 janvier 2002 est assurée dans le champ de la protection de l’enfance par le projet pour l’enfant créé par la loi du 5 mars 2007 et renforcé par la loi du 14 mars 2016. Une telle interprétation des textes n’est pas confirmée par la jurisprudence. Elle permettrait néanmoins de limiter le nombre de documents supports à la prise en charge de l’enfant afin d’éviter la multiplication des tâches administratives auxquelles les travailleurs sociaux sont soumis. Pour les familles, la limitation des documents produits par les services, qui requièrent leur consentement, permet aussi de conserver un sens à cette prise en charge et d’éviter de les solliciter pour signer des documents au contenu souvent très proche. Il y aurait ainsi un projet pour l’enfant élaboré avec les parents au niveau du service départemental de l’aide sociale à l’enfance, et un document individuel de prise en charge ou selon les cas un contrat de séjour, devenant alors la déclinaison effective du projet pour l’enfant au niveau de l’établissement ou du service au sein duquel l’enfant est accueilli.


G. LE DROIT D’ÊTRE ACCOMPAGNÉ DANS SES DÉMARCHES

En dehors des droits de l’usager consacrés par la loi du 2 janvier 2002, les dispositions spécifiques à la protection de l’enfance prévoient le droit de l’usager d’être accompagné par la personne de son choix. Selon l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles, la personne qui demande une prestation prévue au titre de l’aide sociale à l’enfance ou qui en bénéficie « peut être accompagnée de la personne de son choix, représentant ou non une association, dans ses démarches auprès du service. Néanmoins, celui-ci a la possibilité de proposer également un entretien individuel dans l’intérêt du demandeur ». La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a conforté cette disposition et ajouté que le droit d’être accompagné par la personne de son choix s’applique non seulement auprès du service départemental de l’aide sociale à l’enfance, mais aussi « aux démarches du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale ou du tuteur, auprès des services et établissements accueillant les mineurs ».
En pratique, ces dispositions permettent aux titulaires de l’autorité parentale d’être accompagnés dans l’ensemble de leurs démarches par la personne de leur choix. Il peut s’agir d’une personne qualifiée, et notamment d’un avocat, mais aussi de toute autre personne, proche ou encore bénévole d’une association. Autrement dit, ces soutiens doivent être reçus en même temps que le parent qui en fait la demande, non seulement par le service de l’aide sociale à l’enfance mais aussi par le lieu d’accueil de l’enfant. Dans la plupart des situations, la présence de ce tiers ne pose pas de difficulté et doit être favorisée. La famille doit être systématiquement informée de cette possibilité. Cet accompagnement peut en effet l’aider, d’une part à verbaliser les difficultés qu’elle rencontre, d’autre part à donner son avis sur la mesure mise en œuvre par le service.
Néanmoins, dans certaines situations, cet accompagnement pose des difficultés. Les hypothèses sont particulièrement variées : il peut s’agir par exemple d’une personne choisie par la mère et non par le père de l’enfant. Il en est ainsi lorsque la mère souhaite que son nouveau conjoint l’accompagne et que le père de l’enfant s’y oppose. Dans ce cadre, il faudra différencier les rendez-vous communs entre les père et mère de l’enfant et les rendez-vous auxquels la mère vient seule et pour lesquels elle pourra être accompagnée de son conjoint. Il peut s’agir également de situations dans lesquelles le tiers a une position très ambivalente à l’égard de l’un des parents ou de l’enfant, ou encore de certaines associations bénévoles qui défendent à travers l’accompagnement de la famille une cause plus générale que l’intérêt direct de l’enfant concerné. Pour faire face à l’ensemble de ces situations, la loi adopte une formule très générale considérant que le service de l’aide sociale à l’enfance, ou encore l’établissement au sein duquel l’enfant est accueilli peuvent proposer également un entretien individuel dans l’intérêt du demandeur (CASF, art. L. 223-1, al. 2). Dans ce cadre, le professionnel pourra évoquer avec le parent les raisons pour lesquelles il souhaite s’entretenir seul avec lui, et notamment ses inquiétudes quant au positionnement du tiers qui l’accompagne.
L’entretien individuel doit cependant rester l’exception et le principe est bien celui de la possibilité pour l’usager d’être accompagné par la personne de son choix. Ce principe n’est pas incompatible avec les règles relatives au secret professionnel et à la protection du droit à la vie privée et familiale, puisque c’est le parent qui décide de partager les informations qui le concernent avec la personne qui l’accompagne. En pratique, il peut néanmoins être utile de rappeler aux parents les informations relatives à sa vie privée qui seront partagées avec le tiers dans le cadre de l’entretien.
Enfin, la question est celle de savoir si ce droit d’être accompagné peut également être revendiqué par le mineur qui bénéficie de la mesure. En ce qui concerne les établissements et services qui accueillent l’enfant, la loi est claire puisqu’elle nomme expressément les père et mère, le tuteur ou toute autre personne exerçant l’autorité parentale. Par conséquent, il n’est pas prévu que l’enfant puisse être accompagné par la personne de son choix au sein du lieu qui l’accueille. En revanche, en ce qui concerne le service de l’aide sociale à l’enfance, le droit d’être accompagné par la personne de son choix est reconnu par le texte à « toute personne qui demande une prestation prévue au présent titre ou qui en bénéficie ». On pourrait ainsi considérer sur ce fondement que le mineur qui bénéficie de la mesure peut être accompagné par la personne de son choix. Les conditions de mise en œuvre de ce droit ne sont pour autant pas précisées par le texte. Faut-il que cet accompagnement soit autorisé par les parents ? Ces derniers peuvent-ils s’y opposer ? Qu’en est-il de l’enfant qui n’est pas encore capable de discernement ? La loi n’apporte aucun élément de réponse à ces différentes questions.


(1)
Décret n° 2004-1274 du 26 novembre 2004, JO du 27-11-04.


(2)
Pour aller plus loin, Capelier F., Comprendre la protection de l’enfance. L’enfant en danger face au droit, mars 2015, Dunod.

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