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Travail social : vers une crise des vocations ?

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Les métiers du social et du médico-social recrutent constamment. Pourtant, de plus en plus de postes sont laissés vacants pendant de longues semaines, poussant les recruteurs à embaucher des personnels moins qualifiés. Le point sur un phénomène préoccupant.

 

LES METIERS DE L’ACTION SOCIALE REPRESENTENT L’UN DES PLUS IMPORTANTS VIVIERS D’EMPLOI EN FRANCE, avec 1,2 million de salariés, dont les deux tiers travaillent dans le secteur associatif. Un dynamisme tel qu’entre 2005 et 2018 le nombre d’emplois a progressé de 43 % dans le secteur(1).

Pourtant, malgré les nombreuses opportunités d’emploi, le secteur peine à recruter. Fin 2019, une enquête de l’Uniopss auprès d’établissements et services aux personnes âgées et/ou en situation de handicap, sur l’ensemble du territoire, soulignait des difficultés constantes de recrutement dans plus de 82 % des structures. Un problème qui concerne aujourd’hui tous les champs du travail social : certains postes restent vacants plusieurs mois, dans les régions les plus denses comme l’Ile-de-France ou les plus enclavées.

Pour Colette Duquesne, formatrice au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et présidente de DEI France, le problème n’est pas nouveau : « Avant, les filières qui souffraient beaucoup du manque de candidats étaient celles des assistantes sociales et des TISF [techniciens de l’intervention sociale et familiale]. Aujourd’hui, même le métier d’éducateur est concerné. » Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), confirme : « Il y a dix ans, nous avions constaté des difficultés à recruter pour les centres éducatifs renforcés ou fermés, et nous pensions que c’était dû à un manque d’attrait pour le monde carcéral. Mais le problème est apparu ailleurs, dans les Mecs [maisons d’enfants à caractère social], puis en milieu ouvert, au sein des structures associatives comme des départements. Les structures de la protection de l’enfance ont commencé à recruter non plus des éducateurs spécialisés mais des moniteurs-éducateurs, des éducateurs sportifs, et encouragent la validation des acquis de l’expérience. Le problème, c’est que lorsqu’ils obtiennent cette dernière, les professionnels occupent un emploi pendant quelques temps puis le quittent dès qu’une opportunité plus intéressante se présente. »

Un cercle vicieux car plus les structures sont instables et en tension, plus les conditions de travail des personnels se dégradent, avec une organisation du travail beaucoup moins souple, très peu de remplacements, des horaires à rallonge et une charge de travail plus importante.

Formatrice à l’IRTS (institut régional de travail social) de Montrouge, Gabrielle Garrigue déclare : « On a des jeunes diplômés très investis mais épuisés et découragés dès leur premier poste car les conditions de travail sont parfois rudes. Ajoutez des salaires très faibles (qui ne permettent pas de vivre correctement en région parisienne), des interventions de plus en plus tardives, des situations très dégradées, et vous comprenez qu’ils ne tiennent pas longtemps. »

Même si les situations varient et qu’il y a encore des établissements où les choses se passent bien, les travailleurs sociaux souffrent, selon Fabienne Quiriau, d’un « sentiment fort de déclassement » : « Ils n’ont pas bénéficié de la ’prime Covid“ alors qu’ils étaient très exposés pendant la crise et qu’ils ont permis aux systèmes de protection sociale et de protection de l’enfance de tenir. Un malaise accentué par l’image assez négative de leur activité dans la société. »

 

Le gap entre directions et terrain

Pour Michel Chauvière, directeur de recherche émérite au CNRS-Cersa, les causes de cette désaffection des métiers du social sont encore plus profondes.

« On observe une bipolarisation dans le champ du travail social avec, d’un côté, des personnes employées moins qualifiées et, de l’autre, une direction de gestionnaires qui n’a parfois jamais été sur le terrain. Autrefois, la plupart des personnes étaient recrutées après leur diplôme à bac + 2 ou + 3 et pouvaient ensuite accéder à des postes à responsabilité en interne. Il y avait un idéal de métier, un imaginaire partagé qui pouvait susciter des vocations. Cet imaginaire est aujourd’hui “cassé” parce que l’image sociale de ces métiers a été transformée par le type de gestion qui s’applique à eux, depuis la décentralisation. En 1986, on ne s’est pas appuyé sur les métiers pour décentraliser, mais sur des opérateurs avec qui l’Etat passait des contrats, des conventions. Dans les années 1990-2000, la révolution numérique a inspiré une rationalisation du système : financer des solutions qui réussissent, en rapport avec les besoins, et non investir dans des relations humaines riches, intelligentes, capables d’évolution, des interactions positives. Les professionnels sont donc assignés à leurs procédures, à leurs bonnes pratiques, alors que c’était autrefois des secteurs de créativité. »

 

Le sentiment de « faire de l’abattage »

Pour Gabrielle Garrigue, la perte de sens est au cœur de cette crise de recrutement : « Les professionnels doivent rendre des comptes sur tout ce qui est fait tout le temps, les suivis à distance sont complexes, et ils ont parfois le sentiment de faire de l’abattage, avec peu ou pas de rencontres des publics à l’extérieur, mais seulement en entretien. »

Michel Chauvière poursuit : « La loi 2002-2 a bouclé le système en inventant l’appareillage des obligations – performance, contractualisation, droit des usagers – qui ont cassé l’imaginaire professionnel. L’intelligence principale dans ces secteurs est déclarée comme venant des usagers, qui sont censés savoir ce qui est bon pour eux. La puissance publique fixe le cadre pour les usagers, et les professionnels sont devenus la ressource humaine pour faire fonctionner le système, alors qu’ils en étaient autrefois la ressource principale. Ce qui n’est pas très motivant et explique qu’aujourd’hui un jeune qui veut donner du sens à sa vie professionnelle se tourne vers l’écologie et non vers le social. »

Forts de ce constat, comment redonner de l’attractivité au travail social ? Pour Fabienne Quiriau, « il faudrait d’abord porter un autre discours plus valorisant et qui reconnaît au travail social toute sa grandeur, son utilité. Il faut aussi revaloriser les diplômes, car tout le monde ne peut pas accompagner des personnes en situation difficile ».

Les travailleurs sociaux sont les garants des droits fondamentaux, comme le précise la définition inscrite en 2017 dans le code de l’action sociale et des familles : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. » Mais selon Colette Duquesne, pour ce faire, ils doivent être mieux formés : « Accompagner quelqu’un, c’est aussi l’accompagner vers un recours quand c’est nécessaire, ce que les travailleurs sociaux ne font pas ou trop peu. Ce serait une révolution culturelle : passer d’un certain fatalisme à une forme d’indépendance, en leur garantissant qu’ils ne seront pas mis en situation disciplinaire pour faire respecter ces droits fondamentaux. »

Notes

(1) Pôle emploi 2020, d’après chiffres Dares, Insee, Acoss, France Stratégie.

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