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Une enquête se penche sur le devenir des enfants placés en villages d'enfants

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Que deviennent les enfants placés à l'aide sociale à l'enfance dans leur vie d'adulte ? A la fois pour contribuer à la production de la connaissance, faire entendre la parole des intéressés sur leur expérience du placement, leur parcours, et valoriser le travail éducatif, la Fondation Action Enfance a mené d'octobre 2011 à mars 2014, avec le Centre de recherche et d'études en action sociale (CREAS) de l'ETSUP (Ecole supérieure de travail social de Paris) et le Laboratoire d'étude, de recherche et de formation en action sociale (LERFAS) de Tours, une recherche-action auprès de personnes anciennement placées dans quatre de ses dix villages d'enfants.
Ce dispositif de prise en charge, très minoritaire - il représente environ 2 % des quelque 50 000 placements en institution -, permet d'accueillir des fratries, sur des durées de placement longues (cinq ans en moyenne), au sein de maisons familiales. Celles de la fondation accueillent cinq ou six enfants auprès desquels est présente une équipe de trois éducateurs familiaux, qui se relaient pour assurer une présence permanente.

Représentations déterministes

En donnant la parole à ceux qui ont vécu ce modèle particulier, l'enquête, dont les résultats ont été dévoilés jeudi 25 septembre, met en lumière les conditions de la construction d'un environnement protecteur pour l'enfant et de sa capacité à se projeter dans l'avenir. Avec, en filigrane, l'idée de battre en brèche les représentations déterministes des "enfants de l'ASE".
Sur plus de 300 personnes interrogées, entrées dans un village d'enfants après 1981 et sorties avant 2007, 122 ont répondu, âgées de 7 ans en moyenne à leur arrivée et de 14 ans à leur sortie. La grande majorité (75 %) se disent satisfaites de leur vie. Elles ont vécu une scolarité plutôt "ordinaire" : seulement 16 % des répondants n'avaient aucun diplôme à la sortie de leur parcours scolaire (contre 29 % de la population générale), même s'ils sont moins nombreux à avoir un niveau d'étude au moins équivalent au bac (35 %, pour 41 % de la population nationale). "Les sorties d'étude sont précoces, les fins de prise en charge à la majorité ayant conduit les jeunes à s'orienter vers des formations professionnelles courtes", explique Patrick Dubéchot, pilote de l'étude et ancien responsable du CREAS. Une part importante (38 %) a, par ailleurs, arrêté l'école avant 18 ans. La stigmatisation dont les jeunes se sont sentis victimes a également, d'après les témoignages, compliqué la conciliation entre leurs études et leurs difficultés familiales.

Accès rapide à l'emploi

En revanche, "les enquêtés ont rapidement accédé à l'emploi et s'y sont maintenus, puisque 40 % ont obtenu un contrat à durée indéterminée dès leur premier emploi", ajoute le chercheur. Ils ont en effet accédé à leur premier emploi à 30 ans en moyenne (27 ans dans la population générale) et plus de la moitié (54 %) des moins de 30 ans avaient un emploi au moment de l'enquête (contre 45 % de la population générale au même âge).
L'enquête souligne également l'importance des liens sociaux établis durant le placement, des professionnels éducatifs ayant pu jouer un rôle dans la mise en relation avec un premier emploi. Au final, les enquêtés occupent, en termes de catégorie socioprofessionnelle, une position identique ou supérieure à celle de leurs parents, très souvent sans emploi. Mais leurs ressources financières sont plus faibles que celles de la moyenne nationale : seuls 12 % disposent de plus de 1 200 euros par mois (donnée à mettre en relation avec leur âge médian, 28 ans). Néanmoins, seuls 5 % disent avoir ou avoir eu des difficultés à trouver un logement et leur lieu de domicile correspond souvent à l'implantation du village, les anciens enfants placés ayant "un sentiment d'appartenance à leur lieu de vie", selon Patrick Dubéchot.
Malgré des difficultés financières liées aux emplois occupés, les enquêtés font état d'une certaine réussite parce qu'ils sont avant tout satisfaits de leur vie familiale, "proches des moyennes nationales", selon l'enquête. Ainsi, 46 % sont en couple et 53 % ont des enfants, souvent au nombre de deux, ce qui dénote une certaine "volonté de se rapprocher d'une vie normale et de ne pas reproduire ce qu'ils ont vécu" (la majorité sont issus d'une famille nombreuse), précise Patrick Dubéchot. Le plus souvent, même parmi ceux qui ont connu des difficultés importantes, ils préfèrent ne pas recourir au travailleurs sociaux "et s'en sortir seuls".

Entre-soi familial

Le fonctionnement des villages a-t-il été déterminant dans le parcours des personnes enquêtées ? Pour 70 %, cette expérience leur a permis d'"avoir une existence normale". La très grande majorité (90 %) estime qu'il est essentiel d'être accueilli dans le même village que ses frères et soeurs, facteur de stabilité et de sécurité supplémentaire que les chercheurs appellent "l'entre-soi familial".
Plus de 60 % des répondants affirment par ailleurs que l'adulte qui a le plus compté pour eux est l'un de leurs éducateurs (souvent des éducatrices), ou bien le directeur du village. L'attachement à des "figures marquantes" est donc essentiel. Le concept de maison dans les villages d'enfants "est un élément important dans la façon dont les enfants se représentent l'univers possible d'une famille, dans la construction des repères", commente Patrick Dubéchot, selon qui "c'est moins dans le discours que l'on transmet des valeurs que dans la façon d'agir avec les enfants au quotidien". D'où la réserve du chercheur sur la tendance à éloigner le métier d'éducateur des tâches quotidiennes.
Autre facteur de stabilité : "Le fait d'avoir au sein d'une même maison des tranches d'âge différentes évite les situations de violence, les plus petits craignant un peu les plus grands, et les plus grands ayant conscience qu'ils doivent jouer un rôle de modèle", alors qu'à âge égal, les situations de rivalité sont favorisées, analyse Aude Kerivel, chargée de recherche au LERFAS. Les liens tissés entre les enfants ayant été placés dans le même village jouent également un rôle à la sortie. Les chercheurs évoquent ainsi "les pairs de placement", parties prenantes d'une "culture familiale" qui perdure ensuite.

Place des parents

Pour autant, pointe l'enquête, les parents ont aussi une place durant cette prise en charge. Près de 40 % des répondants ont eu un contact avec leur mère et leur père durant le placement, au moins une fois par mois. A l'opposé, 17 % n'ont jamais eu de contact. Aujourd'hui, 25 % ne voient plus leur mère et presqu'autant leur père. Des résultats qui posent la question délicate du maintien des liens familiaux, estime Marc Chabant, directeur du pôle éducatif d'Action Enfance, alors que "le placement au-delà de cinq ans signifie quelque chose en termes de substitution parentale".
Une question, avec celle de la continuité et de la stabilité du placement, placée au coeur de la proposition de loi sur la protection de l'enfant qui vient d'être déposée par les sénatrices Muguette Dini (UDI, Rhône) et Michelle Meunier (PS, Loire-Atlantique). Un texte dont les dispositions "manquent d'ambition politique", juge Marc Chabant, pour qui il est temps "de définir un certain nombre d'axes pour la protection de l'enfance". En clair, de sortir des aménagements techniques. Dans ce domaine, "les choses ne se règlent pas par la tarification, on a besoin d'être dans les intentions éducatives", défend-il. Une dimension que certains conseils généraux ont compris en en appelant aux propositions d'accueil "atypique", alors que certains d'entre eux constatent "une diminution du nombre des familles d'accueil", selon Marc Chabant.

"Que sont-ils devenus", enquête réalisée par le CREAS-ETSUP et le LERFAS, publiée jeudi 25 septembre.

Protection de l'enfance

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