Un service emblématique des difficultés de l'urgence sociale, puisqu'il est submergé par des demandes incessantes, à raison de quelque 600 appels par jour en moyenne, voire "jusqu'à 5 000 demandes par jour à certaines périodes, cet hiver", a ainsi indiqué le directeur d'Interlogement 93, Abilio Brazil.
C'est donc dans cette structure que le président de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), Louis Gallois, est venu présenter le sombre bilan du dispositif hivernal de son organisation, comme l'ont fait avec les mêmes inquiétudes ces derniers jours, Médecins du monde ou le Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement.
Traitement de l'urgence
Le constat de l'ancien dirigeant de la SNCF est sans ambiguïté : "nous notons une situation dégradée par rapport aux autres années", a-t-il résumé, en s'appuyant essentiellement sur les chiffres rendus publics récemment par l'Observatoire des 115, dans la dernière vague de son baromètre qui faisait état, pour février 2013, d'une hausse de 28 % des demandes en un an, sous le coup notamment de l'explosion de la sollicitation des familles (+ 72 %).
"Il faut en finir avec la politique du thermomètre", a alors martelé Louis Gallois devant la presse, en reprenant à son compte la vieille antienne du secteur associatif. Et si "les pouvoirs publics ont apporté des éléments de réponse", notamment dans le cadre du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté, "on reste essentiellement dans un traitement de l'urgence à court terme", a-t-il encore regretté, alors que pour la FNARS, "l'objectif est et restera celui du logement".
Quid des places annoncées ?
A cet égard, les associations espèrent beaucoup, sans se faire toutefois trop d'illusions, du prochain projet de loi en cours de préparation au cabinet de Cécile Duflot, ministre de l'Egalité des territoires et du Logement.
En attendant, force est de reconnaître qu'au-delà de la prolongation du dispositif hivernal, le flou demeure total sur le nombre de places d'hébergement et d'insertion véritablement pérennisées ou même créées. De fait, alors que 8 000 places avaient été annoncées dans le plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté, 3 000 devant être ouvertes dès 2013 - dont 1 400 pour la seule Ile-de-France, selon la direction régionale de l'hébergement et du logement (DRIHL) -, "nous n'avons aucune idée de leur programmation ni de leur implantation", a assuré à la presse la présidente de la FNARS Ile-de-France, Martine Théaudière.
Et si ces places devaient se concrétiser prochainement, la Seine-Saint-Denis étant déjà largement pourvue en structures d'hébergement, "un rééquilibrage pourrait se faire plus à l'ouest", a-t-elle plaidé, en visant, à mots couverts, le riche département des Hauts-de-Seine.
Explosion de la précarité
Car pour l'heure, c'est toujours vers la Seine-Saint-Denis, pourtant exsangue financièrement, que sont orientés nombre de ménages enregistrés dans d'autres départements, alors que "Paris et la petite couronne font face à une massification de la précarité, y compris de familles avec enfants". Pas moins de 5 000 personnes prises en charge par le Samu social de Paris sont ainsi hébergées dans des hôtels de la Seine-Saint-Denis.
Quant aux "grands exclus, très désocialisés, ils ne font même plus appel au 115", a en revanche témoigné Martine Théaudière, et les maraudes qui permettent d'entrer en contact avec une partie d'entre eux ne sauraient suffire à compenser l'absence de "diagnostic à 360 degrés" tel que l'avait promis le gouvernement mais qui tarde, lui aussi, à être mis en oeuvre. Enfin, alors que "la loi prévoit un principe de continuité de l'hébergement, le droit des usagers est régulièrement mis à mal", a-t-elle ajouté, en référence aux remises à la rue qui ont encore régulièrement lieu dans des structures qui n'en peuvent mais.
L'hébergement hôtelier en hausse
Dans ce contexte, "les hôtels auxquels les associations recourent pour compenser le manque de places en établissements sont saturés en Ile-de-France", poursuit Martine Théaudière, "et cette mesure transitoire à l'origine est aujourd'hui devenue une solution d'hébergement à part entière, alors même qu'elle est ne permet pas d'accompagnement social". Mais ce recours massif à l'hébergement hôtelier - dont on se souvient qu'il y a quelques années à peine, il était essentiellement réservé aux familles avec enfants prises en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) - ne laisse pas d'étonner, vu son coût très élevé.
"Les quelque 3 000 nuitées de la Seine-Saint-Denis reviennent à 50 000 euros par nuit, soir 18 millions d'euros par an !", s'est d'ailleurs exclamé le directeur d'Interlogement 93, Abilio Brazil, en soulignant que cette solution est "une variable d'ajustement" des politiques sociales. Sur toute la région, on comptabilise pas moins de 22 000 nuitées pour à peine plus de 16 200 places d'hébergement, tous dispositifs confondus, avancent encore les associations.
115, maraudes, SIAO 93...
En première ligne, il revient donc aux écoutants de la veille sociale de répondre de leur mieux à cette explosion de la demande sociale, comme c'est le cas de la trentaine de professionnels qui se relaient au 115 de la Seine-Saint-Denis. Et l'on peut comprendre que les présents, mercredi après-midi à Montreuil, ne se soient pas laissé déconcentrer au passage de quelques journalistes, stylo ou micro en main, venus se rendre compte de leurs conditions de travail.
"Nous avons eu cet hiver deux fois et demi plus de demandes que l'année précédente", a ainsi commenté leur directeur, Abilio Brazil. Venus de différents horizons, travailleurs sociaux pour certains, dépourvus de diplôme pour d'autres, mais tous couverts par la CC 66, ils prennent en effet à la chaîne les appels qui leur parviennent, le téléphone vissé à l'oreille, l'oeil rivé sur l'écran.
A quelques pas de là, certains de leurs collègues s'occupent, eux, à coordonner les équipes mobiles des associations qui interviennent sur le département (Samu social, Secours islamique français, Croix-Rouge française, Restos du coeur), tandis que derrière la cloison, d'autres s'activent à tenter de trouver un domicile aux ménages entrés dans le dispositif, sur un contingent de 250 à 300 logements sociaux par an.
"On peut passer de l'hôtel au logement social chez nous", se félicite ainsi le directeur d'Interlogement 93, avant de nous entraîner du côté du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) qui complète les activités de la structure, et qui doit gérer, à l'heure actuelle, une file active d'environ... 7 000 dossiers en attente d'une solution.