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Lieux d'accueil de jour : le tournant ?

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Face à une pauvreté de plus en plus criante, les lieux d'accueil de jour pourraient devenir l'un des éléments essentiels du dispositif d'accueil d'urgence des sans-abri. A condition qu'ils parviennent à se coordonner et à s'organiser. Le point sur les initiatives en cours.

La Halte, Boutique solidarité, La Maison dans la rue, Brin de causette... Autant d'appellations différentes pour un seul et même objectif : offrir aux personnes en détresse, lorsque les foyers d'hébergement sont fermés, un lieu de vie, de ressources, d'orientation sociale et, éventuellement, de soins. Des lieux d'accueil de jour qui, face au nombre toujours croissant de personnes vivant ou plutôt survivant dans les rues des grandes villes, se développent de façon accélérée. Ainsi, selon la DAS, on dénombre aujourd'hui, en France, entre 80 et 90 structures de ce type. Pionnier en la matière, la Fondation abbé Pierre pour le logement des défavorisés avait ouvert sa première Boutique solidarité en 1991, à Marseille. Elle patronne aujourd'hui 25 Boutiques solidarité (1) et accorde une aide technique et financière à plusieurs projets en cours de réalisation.

Le droit à l'accueil ?

Il est vrai que face à une pauvreté de plus en plus criante, voire dérangeante, l'accueil de jour bénéficie actuellement des encouragements des pouvoirs publics. Ainsi, depuis deux ans, dans le cadre de ses plans hiver (2), le ministère chargé des affaires sociales invite chaque département à se doter d'au moins une structure du type « Boutique solidarité ». Créateur du SAMU social et actuel secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, Xavier Emmanuelli plaide également, sans relâche, depuis son entrée au gouvernement, en faveur de la création de structures d'accueil renforcées offrant des prestations matérielles (vestiaire, douche, laverie...), un lieu d'écoute et la possibilité de réaliser un bilan social et médical. « L'accueil est un droit élémentaire pour les personnes en errance, droit qui n'est pas assuré aujourd'hui », soulignait-il d'ailleurs fin novembre, lors de la présentation du rapport sur l'errance et l'urgence sociale (3). Rapport dans lequel Bernard Quaretta, directeur d'une association d'urgence et de réinsertion sociale et vice-président de la FNARS, insistait lui aussi, longuement, sur la nécessité de mettre en place, au moins dans chaque grande ville, un lieu d'accueil et d'observation chargé de recevoir toutes les personnes en difficulté.

Pourtant, en dépit de cet engouement et de la floraison actuelle des projets, les structures d'accueil de jour demeurent réparties de façon assez inégale sur l'ensemble du territoire. Ce qui ne fait que renforcer le traditionnel phénomène d'appel des errants en direction des grands centres urbains. En outre, même dans les grandes villes, le dispositif existant, encore balbutiant, ne répond que très imparfaitement aux besoins des sans-abri. Ce que confirme le volumineux rapport d'étude et d'enquête - L'accueil de jour à Paris :réalités et besoins  - réalisé en 1995 à l'initiative de plusieurs associations réunies au sein du groupe de pilotage du projet « Balise/Boutique solidarité »   (4).

Première difficulté évoquée par les rapporteurs : l'absence d'une définition de l'accueil de jour commune à l'ensemble des partenaires, associatifs et publics. Ainsi, pour la seule ville de Paris, le nombre des structures existantes varie de moins d'une dizaine à plus de 400 en fonction des critères retenus. En effet, la définition la plus simple possible indique qu'un lieu d'accueil de jour est un endroit « délimité physiquement, où l'on peut entrer, s'asseoir et être reçu par une personne qui va écouter ». Ce qui englobe toutes sortes de structures, souvent uniquement spécialisées dans tel ou tel type de prestations (écoute, nourriture, vestiaire, domiciliation ou encore aide aux démarches) et cloisonnées en fonction de l'âge, du sexe ou de la situation des personnes accueillies. Sans parler du fait que bon nombre d'entre elles ne fonctionnent que certains jours de la semaine, parfois sur rendez-vous, et sont généralement fermées le week-end et durant l'été. En outre, beaucoup de lieux répertoriés font appel essentiellement, voire exclusivement, à des personnels bénévoles. Au bout du compte, la typologie établie par les rapporteurs montre qu'à Paris, seule une vingtaine de structures proposent une palette complète de prestations (écoute, orientation et services multiples avec, en particulier, la mise à disposition d'une douche). Sachant qu'elles ne sont que cinq à accueillir tous les types de publics, sans distinction, ni rendez-vous.

Un dispositif éclaté

A cette faiblesse structurelle s'en ajoute une autre, plus conjoncturelle : l'engorgement des lieux d'accueil. « Les structures, tous types confondus, notent que leurs capacités d'accueil sont saturées, tant en ce qui concerne la taille de leurs locaux que leur personnel et les moyens financiers dont elles disposent », s'alarment les rapporteurs. Un phénomène qui s'explique, évidemment, en grande partie, par l'augmentation du nombre des sans-abri dans la capitale. Avec, en particulier, une proportion croissante de femmes seules, avec ou sans enfant, et de jeunes, voire de très jeunes adolescents pour lesquels les lieux d'accueil existants ne sont, à l'évidence, pas adaptés. Mais l'insuffisance des structures parisiennes découle également de l'éclatement du dispositif ainsi que de l'absence d'un véritable partenariat et d'échanges d'informations entre associations. Conséquence : un regrettable manque de coordination et une certaine inadéquation entre les moyens mis en œuvre et les besoins des personnes en difficulté. D'ailleurs, les responsables jugent eux-mêmes que les réponses apportées aux personnes accueillies sont encore insatisfaisantes, principalement en matière d'insertion (logement et emploi) et concernant certains services (mettre ses affaires en sécurité, refaire ses papiers et se mettre à l'abri).

Une enquête plus spécifique, menée directement dans des lieux d'accueil auprès de 250 personnes en difficulté, confirme d'ailleurs que les trois nécessités de base les plus souvent citées sont : avoir un peu d'argent, être hébergé et mettre ses affaires à l'abri. Pourtant, les personnes vivant à la rue souffrent bien davantage d'un fort sentiment d'isolement et d'un réel manque de solidarité, notamment entre elles. « A certains moments on est perdu, on ne sait pas où aller, où on peut se reposer. Si vous n'avez pas d'argent, vous ne pouvez pas aller dans un café ! Alors on va dans les jardins publics, sur le trottoir, dans le métro. Mais quand vous restez seul dans un jardin à penser, vous vous rendez malade. Heureusement qu'il y a le lieu d'accueil. Quand on est fatigué on vient, on s'assoit, on se repose, on rencontre des gens, on cherche du travail... on arrive à oublier ses problèmes », explique l'une d'elles. Et à la question : « Sur qui comptez-vous pour vous débrouiller dans la vie ? », 45 % des personnes sans abri interrogées répondent les centres d'aide et d'accueil, 40 % les travailleurs sociaux, 27 % les amis et 18 % les autres personnes dans la galère.

Vers le professionnalisme

Utiles mais imparfaits, s'ils veulent répondre aux espoirs mis en eux les lieux d'accueil de jour doivent donc rapidement trouver les moyens de leur réorganisation et d'une meilleure coordination. « On doit passer maintenant du bénévolat à un système plus structuré et plus professionnel », constataient ainsi en octobre des responsables associatifs, lors de la présentation de l'enquête. « Il faut réaménager des lieux d'accueil existant de façon à les rendre plus polyvalents », soulignait, pour sa part, Danielle Hueges, directrice de la Halte de la gare de Lyon et chargée de mission auprès de Xavier Emmanuelli (5). Un point de vue qui ne satisfait que partiellement les responsables administratifs et associatifs. Lesquels aimeraient pouvoir travailler à partir d'une conception commune et, pourquoi pas, d'un texte de référence.

Parmi les initiatives préfigurant un tel document :le cahier des charges des lieux d'accueil de jour - ou plutôt des « espaces solidarité-insertion »  - élaboré actuellement par la DDASS, la Ville de Paris et la RATP. Selon ce texte, annoncé fin novembre (6) mais qui n'a pas encore reçu l'approbation définitive des trois organismes, chaque structure concernée « devra pouvoir se doter d'un certain nombre de prestations, évolutives, des plus quotidiennes aux plus élaborées, sous forme d'étapes successives » avec un « professionnalisme indispensable à un parcours de réinsertion » et « des systèmes pratiques et concrets, facilitant la vie quotidienne des personnes accueillies ».

Concrètement, ce cahier des charges prévoit que les associations souhaitant bénéficier du label « espaces solidarité-insertion » devront utiliser des locaux suffisamment grands mais « de dimensions humaines, aisés à trouver, faciles d'accès et intégrés dans l'environnement immédiat ». Les prestations offertes devront obligatoirement comprendre des services de base prioritaires : accueil par un personnel formé, douches, lavage des vêtements, vestiaire, consigne... Des prestations de confort sont également prévues :télévision et journaux, bibliothèque, café, coiffeur, téléphone et minitel. Enfin, des prestations à caractère social et médical, assurées par un personnel qualifié et salarié, sont jugées indispensables. En particulier une permanence d'écoute, d'évaluation et d'orientation ainsi que des vacations de médecine générale et, éventuellement, de certaines spécialités (psychiatrie, soins dentaires, dermatologie). Un partenariat devra également être mis en place, notamment avec les services sociaux, les foyers d'hébergement, le SAMU social et les hôpitaux proches. Ces centres devront fonctionner six jours sur sept avec, éventuellement, un service minimum le dimanche. Un bilan mensuel qualitatif et quantitatif sera exigé. Investissement de départ d'une telle structure : environ 1 million de francs pour un local de 300 m2. Coût de fonctionnement estimé : de 1,6 à 1,8 million de francs, dont 0,9 million en frais de personnel.

Un groupe de travail

Du côté du secrétariat d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, on n'annonce, dans l'immédiat, aucun projet législatif ou réglementaire sur les lieux d'accueil de jour. En effet, Xavier Emmanuelli préférerait voir se développer, au cas par cas, des réponses spécifiques et adaptées aux nécessités locales. Néanmoins, reconnaissant la nécessité de fixer des points de repère, il a mis en place un groupe de travail le 20 décembre. Composé de personnalités représentant le secteur associatif et les pouvoirs publics (7), celui-ci a été chargé de proposer une définition de l'accueil de jour et d'élaborer un cahier des charges susceptible de servir de référence, au niveau national, aux structures déjà existantes ou en projet. Des travaux qui devraient aboutir aux alentours du 15 mars.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Voir ASH n° 1911 du 26-01-95.

(2)  Voir ASH n° 1944 du 13-10-95.

(3)  Voir ASH n° 1951 du 1-12-95.

(4)  Le groupe de pilotage de l'étude se compose de Aux captifs, la libération, d'Emmaüs Paris, de la FNARS Ile-de-France, de la Fondation abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées, du CASP, de Donagir, de la Halte des amis de la rue et de l'Ecole spéciale d'architecture. Avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations Ile-de-France. Contact : Philippe Raguin Conseil - 53, rue Louise-Michel - 92300 Levallois-Perret - Tél. 1 41.05.04.48.

(5)  Danielle Hueges a également participé aux travaux sur le rapport Quaretta et mené, en même temps, une médiation de terrain auprès de six municipalités ayant promulgué des arrêtés antimendicité.

(6)  Voir ASH n° 1950 du 24-11-95.

(7)  Fondation abbé Pierre, Secours catholique, RATP, SNCF, Halte des amis de la rue et secrétariat d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, DAS, DDASS de Paris, Bureau d'aide sociale de la Ville de Paris.

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