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Le régime disciplinaire des personnes détenues avec des troubles mentaux

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Les couloirs de le Prison de la Santé à Paris

Crédit photo BERTRAND GUAY / AFP
Les personnes détenues présentant des troubles mentaux, nombreuses dans les établissements pénitentiaires, sont régulièrement sanctionnées par la commission de discipline. Une discrimination en partie due à la non-prise en compte du facteur handicap dans les procédures.

L’administration dispose d’un pouvoir de sanction propre à l’égard des personnes détenues. La garde des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire n’est pas la seule mission impartie à l’institution pénitentiaire.

La prison est investie de la fonction de punir et en même temps de réinsérer les individus ayant transgressé une norme légale. Le travail pénitentiaire est le premier moyen de réinsertion des personnes placées sous main de justice. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a renforcé l’association entre travail et réinsertion, en faisant du travail volontaire un moyen de recouvrement de la liberté(1). Une réduction de peine peut ainsi être accordée aux personnes condamnées qui ont manifesté des efforts de réinsertion et respecté la discipline pénitentiaire, notamment.

La « discipline » désigne à la fois l’ensemble des règles qui s’appliquent à une communauté donnée et l’aptitude d’une personne à y obéir. Pour les personnes détenues présentant des troubles mentaux – se caractérisant par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu –, la preuve de cette aptitude peut être impossible à rapporter, ce qui a pour effet de les exclure du bénéfice de l’aménagement de peine.

A l’intérieur des murs, le handicap n’est reconnu que dans sa potentialité marchande. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a, en ce sens, permis l’implantation des entreprises adaptées dans les établissements pénitentiaires. La loi du 22 décembre 2021 déjà citée a, quant à elle, rendu possible l’implantation dans les locaux de l’administration pénitentiaire des établissements et services d’aide par le travail (Esat).

Aucun texte n’est cependant venu modifier le régime disciplinaire des personnes détenues. Soumises au régime général, les personnes présentant des troubles mentaux pâtissent d’un corpus de règles non adapté à leur situation personnelle différente.

La procédure disciplinaire, dont l’objet est de réprimer tout manquement à la discipline, ne prend pas en considération le handicap, notamment celui qui altère, voire abolit, le discernement. Par voie de conséquence, la quête du respect de la discipline, et consécutivement l’utilisation de moyens de contrainte renforcée – dont l’isolement cellulaire disciplinaire est la modalité la plus rigoureuse –, ne se réalise qu’en sacrifiant les droits humains.

I. Un dispositif marqué par la discrimination

Le comité des droits des personnes handicapées (CDPH), organe chargé de la surveillance de l’application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006 (CIDPH), a rappelé qu’« [une] discrimination peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure dénuée de toute intention discriminatoire, mais qui touche de manière disproportionnée les personnes handicapées »(1). En ce sens, le fait que les personnes détenues présentant des troubles mentaux soient régulièrement sanctionnées d’un placement à l’isolement cellulaire disciplinaire par la commission de discipline – proportionnellement à leur nombre dans les établissements pénitentiaires – constitue une discrimination indirecte. Une telle discrimination n’est rendue possible qu’en raison de l’absence d’adoption de mesures appropriées prenant en compte leur handicap.

A. Procédure contraire aux dispositions de la CIDPH…

Les Etats parties à la CIDPH ont une double obligation : protéger les personnes handicapées contre la discrimination ; promulguer une législation complète de lutte contre la discrimination.

L’égalité et la non-discrimination sont des principes et des droits. Elles constituent la pierre angulaire de la protection garantie par la CIDPH. L’égalité se caractérise par un double contenu normatif (CIDPH, art. 5, § 1) :

• l’égalité « devant la loi » décrit le droit des personnes à l’égalité de traitement par la loi et dans l’application de celle-ci, en tant que principe ;

• l’égalité « en vertu de la loi » est une notion propre à la CIDPH. Elle renvoie au droit de recourir à la loi pour en tirer un avantage personnel afin de garantir l’égalité réelle de tous ceux qui se trouvent dans une juridiction donnée. Ainsi, la reconnaissance du fait que toutes les personnes handicapées sont égales en vertu de la loi signifie que le handicap devrait être pris en considération dans toutes les lois et politiques(2).

L’égalité réelle vise en particulier à lutter contre la discrimination structurelle et indirecte et prend en considération les relations de pouvoir. Sa réalisation effective est d’autant plus impérative que la structure sociologique de la population pénitentiaire témoigne de l’existence d’une discrimination croisée indirecte, principalement fondée sur la race, l’origine sociale et le handicap.

Dans ses « Observations finales concernant le rapport initial de la France » adoptées le 7 septembre 2021, le comité des droits des personnes handicapées a fait part de ses préoccupations concernant, d’une part, la surreprésentation des personnes ayant un handicap psycho-social dans les institutions pénitentiaires, en raison du manque d’assistance fondée sur les droits de l’Homme dans le domaine de la santé mentale, et, d’autre part, les problèmes d’accessibilité et le manque d’aménagements raisonnables pour les personnes handicapées dans les établissements pénitentiaires. Ce constat rejoint celui précédemment établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans ses avis de 2018 et 2019(3) En dépit de ces alertes répétées, le législateur n’a pas saisi l’occasion de la création d’un code pénitentiaire pour rappeler que le service public pénitentiaire s’acquitte de ses missions dans le respect de la CIDPH (C. pénit., art. L. 2) – bien qu’ayant modifié le texte afférent – et inclure le handicap dans le dispositif disciplinaire, afin d’assurer la conformité du droit interne avec les engagements internationaux de la France.

B. … Et inappropriée pour les détenus en situation de handicap

L’effectivité des droits garantis par la CIDPH est conditionnée à l’adoption de mesures appropriées visant à mettre un terme à la discrimination envers les personnes en situation de handicap. Elle est en réalité compromise par l’absence de la question spécifique du handicap en milieu carcéral et par l’existence de voies de recours inadéquates.

1. L’absence de la question du handicap

Le régime disciplinaire des détenus ne comporte aucune entrée sur le handicap. Le handicap est ainsi soustrait de la problématique de la délinquance carcérale alors qu’il est déterminant dans la commission de certaines fautes, en particulier celles visant le personnel pénitentiaire, au demeurant les plus sévèrement sanctionnées. L’administration pénitentiaire ne fait cas d’aucun élément faisant lien entre la faute et le handicap de son auteur.

a) Défaut d’examen médical ou médico-psychologique

A l’inverse du code de procédure pénale, le code pénitentiaire ne contient aucune disposition relative à la mise en œuvre d’un examen médical ou médico-psychologique en faveur des personnes détenues ayant un handicap réel ou supposé. Ainsi, par exemple, les dispositions de l’article 706-115 du code de procédure pénale prévoyant, avant tout jugement au fond, la soumission de la personne poursuivie à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits lorsque celle-ci est un majeur protégé, n’ont pas d’équivalent dans le code pénitentiaire. Pourtant, une expertise psychiatrique, voire psychologique, permettrait de déterminer si la personne détenue à laquelle la commission d’une faute disciplinaire est reprochée a agi librement ou sous l’effet d’un déterminisme psychique.

En l’absence de prescription légale ou réglementaire, ce n’est que de manière incidente qu’une expertise médicale peut venir éclairer les circonstances de la commission d’une faute disciplinaire. Tel a été le cas dans une affaire où était en cause le placement, à titre préventif, en cellule disciplinaire d’une personne incarcérée après qu’elle a refusé de se soumettre à une fouille intégrale au retour d’une extraction judiciaire et eu, à cette occasion, une altercation avec le surveillant chargé de la fouille, proférant à son égard des menaces, et tenant à son encontre des propos outrageants accompagnés d’un geste obscène. Pour annuler cette décision de placement et le jugement confirmatif afférent, la cour administrative d’appel s’est référée au rapport d’expertise psychiatrique établi à la demande du juge pénal. En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier que l’homme souffrait d’un trouble bipolaire depuis une vingtaine d’années, ayant conduit à des hospitalisations d’office dans le passé et à des rechutes, que le risque de comportements asociaux était avéré et que la détention était inadaptée à son cas. L’expert ajoutait que l’intéressé n’étant plus suivi et ne prenant plus aucun traitement était sous l’influence d’un état hypomaniaque d’excitation psychique et présentait une pathologie psychiatrique actuelle de nature à pouvoir comporter un risque imminent de troubles à l’ordre public par des comportements asociaux éventuellement agressifs. En conséquence, le tribunal correctionnel a déclaré l’individu « irresponsable pénalement » et a ordonné son admission en soins psychiatriques. Dans ces conditions, la cour a considéré que, si les faits que lui reprochait l’administration pénitentiaire étaient susceptibles de constituer une faute disciplinaire du deuxième degré, son état de santé psychiatrique le rendait inaccessible à la punition qui lui a été infligée (CAA Marseille, 2 mai 2022, n° 20MA01783).

Sans une telle expertise, rien ne vient justifier le fait qu’une personne détenue ayant manqué à la discipline pénitentiaire ne soit pas sanctionnée.

b) Imputation de la responsabilité disciplinaire

La procédure disciplinaire est réglementée de telle manière que l’administration pénitentiaire peut, sans difficulté, sanctionner le fauteur de troubles. Seule la matérialité des faits semble importer, laissant sous silence l’existence d’un handicap réel ou supposé. Le respect du principe d’individualisation des sanctions disciplinaires conduit alors à ce que ce soit le passif disciplinaire de la personne qui serve d’aiguilleur dans le prononcé de la sanction.

La matérialité des faits

L’absence de prise en considération du handicap lors de la procédure disciplinaire a des effets très concrets. Non reconnu par le code pénitentiaire en matière disciplinaire, son invocation par le détenu est dépourvue de toute efficacité, seule important, pour justifier une sanction, l’existence d’une faute.

Dans une affaire où le requérant contestait la confirmation de la sanction de 15 jours de cellule disciplinaire prononcée à son encontre par la commission de discipline pour avoir, lors d’un passage sous le portique de détection et en présence de cinq détenus ainsi que de personnels de l’administration pénitentiaire, affirmé qu’il allait « faire du Salah Abdeslam », le juge a considéré que ni l’état psychologique du requérant ni la circonstance que le juge judiciaire l’aurait relaxé pour des faits d’apologie publique d’un acte de terrorisme ne pouvaient être regardés comme des circonstances atténuantes ou ayant une influence sur la décision attaquée, dès lors qu’il n’apportait aucun élément de nature à contredire le compte-rendu de l’incident (TA Dijon, 3e ch., 15 septembre 2022, n° 2103222).

Une fois la problématique du handicap passée sous silence et la matérialité des faits constatée, il reste à justifier le prononcé d’une sanction.

Les antécédents disciplinaires

« Le président de la commission de discipline prononce celles des sanctions qui lui paraissent proportionnées à la gravité des faits et adaptées à la personnalité de leur auteur » (C. pénit., art. R. 234-32, al. 1er). Dans la pratique, à défaut de réalisation d’une expertise visant à déterminer le degré de discernement au moment des faits de la personne poursuivie, ce sont ses éventuels antécédents disciplinaires qui vont être mobilisés par la commission de discipline pour l’instruire sur sa personnalité, ce qui ne permet ni de connaître les circonstances de la commission de la faute ni de prononcer une sanction adaptée – à défaut d’autre mesure possible.

La commission de discipline ne prend pas en compte l’état psychique ni la condition sociale des détenus. En témoigne la détention d’un téléphone portable vue comme une faute du premier degré (C. pénit., art. R. 232-4, 10°), cet objet étant assimilé à un objet dangereux, alors que cette détention est régulièrement le fait de personnes pour lesquelles le coût des appels passés depuis les cabines est hors d’accès.

L’absence de recherche de compréhension du vécu des personnes détenues, et plus particulièrement de celles en situation de handicap, se retrouve naturellement au niveau judiciaire. L’illustre, par exemple, une affaire dans laquelle il était reproché au requérant d’avoir tenu à l’encontre d’un surveillant des propos injurieux. « Ces propos, que le requérant ne [contestait] pas avoir formulés, ont revêtu un caractère insultant et outrageant […], et ne sauraient être justifiés par la circonstance qu’il se serait heurté au refus de l’administration de lui octroyer l’aide par une tierce personne que requérait son état de santé […] » (CAA Bordeaux, 1er décembre 2020, n° 19BX02773). Le juge a, par conséquent, considéré que, « dans ces conditions, alors qu’une faute disciplinaire [de ce type] peut donner lieu à une mise en cellule disciplinaire pour une durée allant jusqu’à 14 jours […], et compte tenu des antécédents disciplinaires [du requérant], la sanction en litige de placement en cellule disciplinaire pour une durée de 10 jours n’[était] pas disproportionnée à la gravité de la faute commise ».

L’infliction d’une sanction disciplinaire ne clôt pas la procédure. Un contrôle juridictionnel peut être exercé sur la mesure répressive, quoique son adéquation reste sujette à caution.

2. Des voies de recours inadéquates

La loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009 a élargi la saisine du juge du référé-liberté aux personnes détenues placées en quartier disciplinaire, ou en confinement. Cette procédure, qui s’inscrit dans les attendus de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en matière de recours effectif mis à disposition des personnes détenues pour contester les conditions de leur détention, a cependant été rendue sans effet par le Conseil d’Etat.

Alors que le juge des référés d’un tribunal administratif avait ordonné la suspension des effets de la décision de placement à l’isolement cellulaire disciplinaire d’une personne détenue ayant successivement fait l’objet de plusieurs mesures identiques et invoquant le climat anxiogène du quartier disciplinaire et la violence psychologique, le Conseil d’Etat a considéré qu’un tel placement ne peut, en l’absence de circonstance propre à la situation physique ou psychique, caractériser l’urgence visée à l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CE, réf., 22 avril 2010, n° 338662). Le Conseil d’Etat reconnaît ainsi qu’un préjudice puisse être causé à une personne placée à l’isolement cellulaire disciplinaire prolongé sans pour autant décider d’en empêcher la survenance.

La saisine du juge du référé-liberté n’épuise pas les voies de droit pouvant être exercées contre la décision de placement à l’isolement cellulaire disciplinaire. Le détenu peut également former un recours pour excès de pouvoir ou un recours de plein contentieux.

a) Recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours tendant à l’annulation d’une décision administrative et fondé sur la violation par cette décision d’une règle de droit.

Une personne détenue qui veut contester la sanction prononcée à son encontre doit, dans le délai de 15 jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur interrégional des services pénitentiaires. Ce dernier dispose d’un délai de 1 mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L’absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. Ce recours hiérarchique est un préalable obligatoire à toute saisine ultérieure de la juridiction administrative. Cette saisine doit être exercée dans le délai de 2 mois à compter de la décision de rejet du directeur interrégional contre laquelle elle est dirigée.

Plusieurs raisons concourent cependant à rendre ce recours non adapté :

• l’absence d’effet suspensif du recours hiérarchique. A supposer que le directeur interrégional annule la sanction prononcée, celle-ci aura, dans tous les cas, déjà été exécutée ;

• la lenteur de la procédure judiciaire qui pourrait être engagée après le rejet du recours hiérarchique. Dans la plupart des contentieux, la décision judiciaire intervient 1 an, voire 2 ans, après le prononcé de la sanction disciplinaire, sans compter les délais supplémentaires liés aux procédures d’appel ou de pourvoi en cassation.

Si le juge considère que la décision du directeur interrégional est entachée d’une illégalité interne – notamment d’une erreur d’appréciation –, le requérant pourra adresser à l’administration une demande indemnitaire sur le fondement de la décision judiciaire obtenue et, le cas échéant, de nouveau contester le rejet de sa demande. Ce recours de plein contentieux peut également être exercé directement, à charge pour le requérant de contester la légalité de la décision administrative.

b) Recours de plein contentieux

Le recours de plein contentieux vise à faire reconnaître par le juge l’existence d’un droit personnel en faveur du requérant. Le juge doit apprécier l’existence d’un droit à réparation au profit du demandeur, en mesurer l’étendue et en permettre la réparation. Il est possible, dans le cadre d’une action en responsabilité, de demander l’indemnisation du préjudice causé par une décision administrative illégale. Si juge de plein contentieux considère que la décision administrative est illégale, il appréciera alors la réalité et l’étendue du préjudice, ainsi que le lien de causalité entre la décision illégale et le dommage que prétend avoir subi le requérant.

Une personne détenue à laquelle le placement à l’isolement cellulaire disciplinaire aurait causé un préjudice direct et certain, médicalement constaté, peut donc saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux afin d’obtenir l’indemnisation de ce préjudice. Ce recours doit être exercé dans le délai de 4 ans à partir du premier jour de l’année suivant celle où est intervenu ce placement. Dans ce cas, préalablement à la saisine du juge, le requérant doit solliciter de l’administration pénitentiaire le versement d’une indemnisation en réparation du préjudice subi afin de lier le contentieux, la juridiction administrative ne pouvant être saisie que d’un recours formé contre une décision administrative.

Ce recours se heurte, en pratique, à plusieurs obstacles. Il est, d’une part, peu probable qu’un individu ayant incorporé la légitimité de la punition à laquelle il a été soumis à la suite d’une décision pénale de condamnation puisse se considérer lui-même comme victime. Il n’est pas certain, d’autre part, que le juge revienne sur la légalité de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires.

L’inadéquation des voies de recours administratives à la situation particulière des personnes détenues sanctionnées tient au fait que le droit administratif pénitentiaire est avant tout un droit de la peine. Si l’adoucissement des sanctions pénales a entraîné la disparition des châtiments, l’idée selon laquelle une personne détenue doit éprouver un certain niveau de souffrance morale reste profondément ancrée. Le Conseil d’Etat a encore récemment opéré une réduction des effets des sanctions disciplinaires à leur conséquence temporelle à l’exclusion de toute incidence sanitaire (CE, 10e et 9e ch. réunies, 23 novembre 2022, n° 457621). Sa position est proche de celle de la CEDH qui, si elle reconnaît que « le placement en cellule disciplinaire est une période sensible pour le détenu », légitime cependant cette pratique par la nécessité du maintien de l’ordre public pénitentiaire (CEDH, 5e sect., 11 octobre 2018, n° 65089/13, Mazziotti c/ France).

La réduction des espaces de liberté est l’instrument-maître de la discipline pénitentiaire. Sa mise en œuvre n’est cependant pas sans conséquences.

II. La répression de la délinquance carcérale

Un certain nombre de fautes disciplinaires correspondent à des infractions réprimées par le droit pénal ordinaire. Par exemple, les injures ou menaces proférées à l’encontre d’un surveillant pénitentiaire sont constitutives du délit d’outrage à agent dépositaire de l’autorité publique (code pénal, art. 433-5, al. 1er et 2). Ces faits sont également constitutifs d’une faute disciplinaire du premier degré (C. pénit., art. R. 232-4 12°). Des poursuites disciplinaires et correctionnelles peuvent donc être engagées successivement contre la personne détenue mise en cause pour de tels faits. La Cour de cassation a en effet considéré que « les sanctions disciplinaires et pénales peuvent se cumuler sans porter atteinte aux dispositions conventionnelles consacrant la règle [d’après laquelle nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raisons des mêmes faits] car, d’une part, la sanction de placement en cellule disciplinaire en application de l’[ancien] article R. 57-7-43 du code de procédure pénale s’analyse non pas en une condamnation supplémentaire pour la même infraction mais en une modalité d’exécution d’un emprisonnement antérieurement prononcé pour d’autres faits, d’autre part, le prononcé d’une telle sanction et le retrait d’un crédit de réduction de peine, qui n’ont pas la même nature juridique, ne poursuivent pas le même but, le premier participant de l’application individualisée de la peine tandis que le second tend à assurer la tranquillité et la sécurité de l’établissement pénitentiaire » (Cass. crim., 10 janvier 2017, n° 15-85519). Crédit de réduction de peine et placement à l’isolement cellulaire disciplinaire participent ainsi d’une ingénierie de l’enfermement des personnes délinquantes présentant des troubles mentaux, lequel répondrait aux attentes sécuritaires de l’opinion publique. Cette option politique a été confirmée par la loi du 22 décembre 2021 qui a modifié les règles d’octroi du crédit de réduction de peine, en substituant au caractère automatique de cette mesure une attribution au mérite de la personne détenue.

A. Le crédit de réduction de peine

La réduction de peine est une mesure d’individualisation qui consiste, dans certaines conditions, à diminuer la durée de détention. Le crédit de réduction de peine est inscrit à l’écrou, en début d’exécution de la peine, à titre précaire, sous condition pour le condamné, qui en est informé, d’observer la bonne conduite nécessaire au fonctionnement normal de l’établissement pénitentiaire.

« En cas de mauvaise conduite d’une personne condamnée en détention, le chef de l’établissement pénitentiaire peut saisir le juge de l’application des peines aux fins de retrait de la réduction de peine […] » (C. pénit., art. L. 214-6). A ce propos, la Cour de cassation a rappelé que « le retrait d’un crédit de réduction de peine, en cas de mauvaise conduite du condamné en détention, constitue la suppression d’un avantage accordé à titre précaire et n’entraîne, pour l’intéressé, aucune privation de liberté distincte de la peine en cours d’exécution ». Juridiquement, un tel retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition dans la mesure où il a pour seule conséquence l’exécution totalement ou partiellement de la peine (C. const., 11 juillet 2014, n° 2014-408 QPC).

Le retrait, total ou partiel, du crédit de réduction de peine est décidé par le juge de l’application des peines, lequel n’est pas lié par la décision disciplinaire prise par l’administration pénitentiaire. Son ordonnance est susceptible d’appel dans le délai de 24 heures suivant sa notification.

En toute hypothèse, lorsque la personne détenue sanctionnée disciplinairement a un handicap réel ou supposé, la saisine du juge de l’application des peines devrait être écartée, dès lors qu’elle tend à consolider la légitimité de la répression pénale des fautes commises par les personnes présentant des troubles mentaux.

B. L’isolement cellulaire disciplinaire : une mesure dommageable

Prévue par les dispositions de l’article R. 233-1 8° du code pénitentiaire, la mise en cellule disciplinaire – le « mitard », la prison dans la prison – (voir encadré ci-contre) est la sanction la plus lourde qui peut être prononcée. Selon l’article R. 235-12 du même code, la durée de ce placement s’étend de 7 à 20 jours selon le type de faute disciplinaire commise et peut être portée jusqu’à 30 jours dans des cas spécifiques. Pour les mineurs d’au moins 16 ans (CJPM, art. R. 124-24), cette durée ne peut excéder 7 jours (CJPM, art. R. 124-29) et ils gardent leur faculté de recevoir les visites de leur famille ou de toute autre personne participant à leur éducation et à leur insertion sociale. Ils rencontrent les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse et ont accès à l’enseignement ou à la formation (CJPM, art. R. 124-28).

Ces précautions d’usage ne suffisent pas cependant à réduire le degré de violence inhérent à l’isolement cellulaire disciplinaire.

Aucune autorité indépendante ne contrôle l’action de l’administration pénitentiaire en la matière. Les conditions dans lesquelles sont garantis les droits des personnes détenues faisant l’objet de mesures disciplinaires continuent par ailleurs de relever du pouvoir réglementaire alors que, dans une décision rendue en 2014, le Conseil constitutionnel a rappelé que la détermination des conditions essentielles de l’organisation et du régime intérieur des établissements pénitentiaires relève du domaine de la loi, cette méconnaissance par le pouvoir législatif de sa compétence privant de garanties légales l’ensemble des droits et libertés constitutionnellement garantis dont bénéficient les personnes détenues, dans les limites inhérentes à la détention (C. const., 25 avril 2014, n° 2014-393 QPC). En l’espèce, le Conseil constitutionnel a très précisément visé le principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation.

Sur ce point, il rejoint la position du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui a rappelé que l’isolement « peut avoir des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bien-être social de ceux qui y sont soumis »(1), en suite de quoi il considère que la durée maximale de placement à l’isolement cellulaire disciplinaire ne devrait pas excéder 14 jours.

Concernant les mineurs détenus, le comité des droits de l’enfant a rappelé que la mise à l’isolement d’un enfant à titre de mesure disciplinaire est incompatible avec le respect de sa dignité et contraire aux dispositions de l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant portant interdiction de la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et doit être strictement interdite, cette mesure pouvant nuire à la santé physique ou mentale ou au bien-être de l’enfant concerné(2).

Au fil des ans, les critiques à l’encontre de la mise en cellule disciplinaire se sont multipliées, sans pour autant que la France corrige son dispositif pour s’ajuster aux standards internationaux relatifs aux droits humains. Le maintien dans le droit interne d’un tel dispositif pourrait à terme aboutir à une condamnation judiciaire, à l’exemple de celle prononcée contre le Canada (voir encadré page 20).

 

L’indemnisation des personnes détenues présentant un handicap et soumises à l’isolement préventif prolongé : l’exemple canadien

La cour d’appel de l’Ontario et la Cour supérieure du Québec, dans trois actions collectives distinctes (Brazeau, Reddock et Gallone), ont jugé que le Canada a violé les droits des personnes détenues placées en isolement préventif dans les pénitenciers fédéraux. Au visa des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, ces juridictions ont conclu à l’inconstitutionnalité de l’utilisation de l’isolement cellulaire plus de 15 jours consécutifs ou dès le premier jour pour les personnes souffrant de troubles sévères de santé mentale et accordé une indemnité aux personnes ayant subi ces conditions de détention pendant la période visée par les recours.

Pour rendre sa décision, la cour d’appel de l’Ontario s’est référée au droit international – et notamment aux travaux du CPT –, au sein duquel elle a constaté que, depuis au moins 30 ans, « il y a eu une reconnaissance croissante de la nécessité d’éliminer le recours à l’isolement cellulaire pour les détenus atteints de maladie mentale et de limiter strictement son utilisation pour tous les détenus ».

En substance, la cour a pointé le positionnement bivalent du Canada qui a activement participé à l’élaboration de normes internationales protectrices des droits humains sans jamais avoir aligné son droit interne sur ces standards internationaux.

La cour a également observé que le Canada avait été alerté depuis de nombreuses années sur les préjudices graves causés aux détenus placés à l’isolement préventif prolongé et avait été appelé à des réformes fondamentales en la matière, qui n’avaient jamais été mises en œuvre. Sur la base de ces éléments, elle a estimé que « le fait que le Canada n’ait pas modifié ses politiques en matière d’isolement préventif malgré les critiques de plus en plus nombreuses et concertées de [la part de diverses autorités internes] et de divers organismes internationaux témoigne d’un “mépris flagrant à l’égard des droits garantis par la Charte” ».

Dans l’arrêt « Gallone », la Cour supérieure de la province du Québec a suivi cette décision et également conclu en des violations des droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés ouvrant droit à réparation.

La mise en cellule disciplinaire

La mise en cellule disciplinaire consiste dans le placement de la personne détenue dans une cellule aménagée à cet effet et qu’elle doit occuper seule (C. pénit., art. R. 235-6). La dimension de cette cellule varie de 5 à 6 m2, équivalant à celle d’un chenil. Le risque de suicide y est 15 fois supérieur à celui observé en cellule ordinaire(1).

La sanction de cellule disciplinaire emporte pendant toute sa durée la suspension de la faculté d’effectuer en cantine tout achat autre que l’achat de produits d’hygiène, du nécessaire de correspondance et de tabac ainsi que la suspension de l’accès aux activités (C. pénit., art. R. 235-8). L’accès à des livres ou magazines (C. pénit., art. R. 235-1, al. 3) ainsi qu’à un poste radiophonique lui est proposé (C. pénit., art. R. 235-9, al. 1er).

La personne mise en cellule disciplinaire bénéficie d’au moins 1 heure quotidienne de promenade individuelle dans une cour dédiée à cet effet. Elle conserve la faculté d’effectuer un appel téléphonique par période de 7 jours ou à un appel si la sanction prononcée est inférieure à 7 jours ainsi que celle de rencontrer ses proches titulaires d’un permis de visite une fois par semaine (C. pénit., art. R. 235-10).

Notes

(1) Voir ASH n° 3262 du 3-06-22, p. 14.

(1) CDPH, Marlon James Noble c/ Australie, 2 septembre 2016, CRPD/C/16/D/7/2012, § 8.3.

(2) CDPH, « Observation générale n° 6 [2018] sur l’égalité et la non-discrimination », CRPD/C/GC/6.

(3) CGLPL, avis du 17 septembre 2018, relatif à la prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires et avis du 14 octobre 2019, relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux.

(1) « L’isolement de détenus » – 21e rapport général du CPT – 2011.

(2) Comité des droits de l’enfant – « Observation générale n° 24 [2019] sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants » – CRC/C/GC/24.

G. Duthé, A. Hazard et A. Kensey, « Suicide des personnes écrouées en France : évolution et facteurs de risque », Population 2014/4.

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