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Handi-friendly

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La jeune vendeuse s’apprête à saisir le gâteau que je viens de lui demander, mais la patronne surgit, et la voilà qui s’empare de la pâtisserie convoitée. « Laisse, je m’en occupe, je le connais. »

À chaque fois, elle fait le coup. Dès que j’entre dans cette boulangerie, elle se précipite à ma rencontre et m’assaille de sa voix doucereuse.

C’est gênant. Mais elle prend sa mission de service très au sérieux avec moi, je dois lui paraître important, ou spécial, ou dangereux. Ou peut-être les trois.

Bon, si ça lui fait plaisir. Moi je veux juste manger mon éclair.

« Et avec ceci? Une baguette pas trop cuite, comme d’habitude? »

Cette fausse connivence me met mal à l’aise. Je souris.

« Oui, comme d’habitude. »

« Et voilà pour Monsieur! Une baguette comme il les aime et un éclair au chocolat pour la gourmandise… Ça fera 2,40 €! »

Je pose la monnaie sur le comptoir: « Une pièce d’un euro, deux pièces de cinquante centimes et deux de vingt, c’est très bien, le compte y est!

Tenez, il vous reste même un peu de monnaie! »

Elle ne fait pas ça avec les autres clients. Elle ne recompte pas à voix haute, elle ne les félicite pas quand le compte est juste, elle ne prend pas cette voix benoîte. Elle m’agace. Je prends ma baguette et mon éclair au chocolat, et je dis « au revoir » en souriant poliment. Rien de plus.

« Et vous direz bonjour à votre copain! »

C’est la phrase de trop. Je ne la connais pas. Elle ne me connaît pas. D’habitude, je fais fi de son insistance à me servir, comme s’il fallait un savoir-faire particulier ou une maîtrise pour s’adresser à moi. Mais aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur. Parce que j’ai des amis, des parents, des collègues, une fiancée, mais non, je n’ai pas de « copain ». Ce sont les enfants qui ont des copains.

« Quel copain? »

La question semble la surprendre.

« Mais si, vous savez bien, l’autre monsieur… »

« Quel autre monsieur? » Je vais insister jusqu’à ce qu’elle le dise, le mot, ce mot qu’elle croit si vilain qu’elle n’ose le prononcer.

« Le monsieur comme vous. »

« Comme moi? C’est-à-dire? Le monsieur avec des cheveux violets? Celui avec des baskets blanches? Le monsieur qui aime les baguettes pas trop cuites? »

Silence gêné. La patronne perd son sourire, tandis que la jeune vendeuse retrouve timidement le sien.

« Oui, enfin, vous savez bien… Oh et puis c’est pas grave, laissez tomber! »

J’ai bien envie qu’avec moi d’autres « messieurs comme vous » débarquent en masse dans son joli petit commerce fièrement estampillé « handi-friendly », on ferait tomber toutes nos pièces et on s’esclafferait sans raison. Au lieu de ça, je sors sans un mot et sans un regard pour la patronne mielleuse et la boulangerie vertueuse.

La baguette est trop cuite et l’éclair trop sucré… Il ne me reste que le goût amer du validisme bienveillant.

La minute de Flo

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