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Une psychiatrie préventive et précoce à l’ASE

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Guillaume Bronsard est pédopsyciatre au CHRU de Brest

Crédit photo DR
TRIBUNE - Le pédopsychiatre Guillaume Bronsard dresse un « triste » constat de l’état psychique et comportemental des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. Il plaide pour une « grande alliance » entre la protection de l’enfance et la pédopsychiatrie pour passer d’une psychiatrie d’urgence à une psychiatrie préventive et précoce.

« L’état psychique et comportemental des enfants confiés est un élément majeur des difficultés que les services de la protection de l’enfance rencontrent dans la conduite de leur mission. Retards dans les apprentissages, comportements perturbateurs, états de crise émotionnelle, auto et hétéro-agressivité, agitations, viennent largement perturber, parfois même entraver le projet d’accompagnement, de protection et d’éducation dans des qualités minimales. Ce sujet est associé à deux risques opposés.

D’abord, celui du défaut de “médicalisation”, c’est-à-dire de dépistage et d’accès aux soins. Il est largement connu et très aggravé par la saturation affichée des services de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA), mais aussi par la faiblesse du dépistage et de la prévention des troubles, en particulier dans la petite enfance. Cette dernière est globalement écrasé par la réalité de la misère sociale, rigidifiée par les nécessaires procédures mais aussi, tout autant que pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, par la masse des demandes : mesures non effectives, défaut de familles d’accueil et de places en foyer, ruptures multiples dans les placements…

Paradoxalement, il existe aussi un risque de “surmédicalisation”, c’est-à-dire un recours trop pressant à une demande d’aide ou, pire, d’évacuation vers le sanitaire pour une durée la plus longue possible. L’état de tension des professionnels de la protection de l’enfance, sans temps pour avoir du recul, aggrave non seulement le défaut de prévention, mais amène inversement des attentes démesurées, principalement occupées par le besoin d’hospitalisation en psychiatrie. Et de façon générale, cette demande est plutôt mal accueillie par le sanitaire qui craint abus, instrumentalisation et utilitarisme.

“L’incasable” est l’exemple parfait de la navrante mésentente entre le soin et le social. Sa caractéristique principale n’est pas qu’il n’a pas de case, mais au contraire qu’il en a trop. En fait, il en coche au moins trois : social, sanitaire, justice, et bien souvent, handicap. Son incasabilité vient de la nécessité concomitante de l’intervention de plusieurs disciplines aux cultures différentes. Le renvoi d’un champ à un autre devient alors de fait très facile, car tout le monde a raison de penser qu’il appartient aux autres champs que le sien.

Médicalisation et judiciarisation

L’élément qui perturbe franchement le partenariat effectif autour de ces situations est l’existence de la violence comportementale (réelle ou supposée, mais le plus souvent bien réelle), possiblement associée à des troubles mentaux caractérisés. Notre société la tolère bien mal, bien peu. Les comportements perturbateurs des enfants et adolescents, et surtout lorsqu’il s’agit de conduites agressives, sont rejetés par tous les milieux, la famille, l’école et même par les professionnels. Médicalisation et judiciarisation deviennent la réponse. Il s’agit d’un phénomène assez récent mais bien installé et en développement constant. Le recours à la psychiatrie, en particulier médicamenteuse et enfermante, pour des comportements perturbateurs est une pression incessante et assez effrayante dans son absence de limites ou de régulation. De même, la demande de réponse pénale face à ces comportements est aussi en inflation. Lebrac de La Guerre des boutons serait aujourd’hui incarcéré comme l’a montré Bertrand Rothé(1).

Finalement, pas assez de psychiatrie préventive et précoce (accueil facilité, accompagnement régulier et stable, support créatif, psychothérapies…) et trop de psychiatrie d’urgence et de résolution de crises. Ce constat n’est pas exclusif de la protection de l’enfance, mais prend pour ces enfants une importance déterminante, par les risques de renvoi et de relégation.

Voilà un constat triste, humainement très coûteux, pour les enfants bien sûr, mais aussi pour les professionnels, se sentant seuls et faibles. Et même pour les moyens matériels, mis malgré tout en jeu par les départements et les hôpitaux.

Une grande alliance, de raison, entre aide sociale à l’enfance (ASE) et psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent semble indispensable et possible. Des moyens supplémentaires ordinaires pour ces deux secteurs, bien sûr, pour diminuer avant tout la pression et avoir le temps de rencontrer les enfants, de s’en occuper et de réfléchir, mais quelques engagements mutuels et conditions aussi.

Il s’agit de construire un authentique plan départemental de la “santé mentale des enfants confiés”, co-porté par l’ASE et les secteurs de PEA, adressé aux 3 000 enfants en moyenne par département.

Trois sous-groupes d’enfants

Fruit de l’expérience et de données d’études épidémiologiques, on peut isoler trois sous-groupes d’enfants, selon leurs besoins. D’abord, la majorité des enfants confiés n’ont pas de trouble avéré. Cela ne veut pas dire qu’ils sont faciles à vivre. Ils nécessitent attention et veille, d’autant plus qu’ils sont très jeunes, avec une attention particulière pour les premiers mois de vie. Une consultation spécialisée annuelle pourrait suffire, accompagnée par les éducateurs. Le deuxième sous-groupe correspond à des enfants en souffrance psychique durable ou récidivante, en difficultés scolaires et relationnelles, capables de grandes crises comportementales ou de conduites à risques, ponctuelles. Les troubles sous-jacents sont volontiers anxieux et dépressifs, souvent associés à une dysharmonie cognitive. Ils sont en insécurité psychique. C’est pour eux que le travail est le plus grand. Car ils sont nombreux, près de la seconde moitié des enfants confiés, et nécessitent accompagnement, rééducation et suivi psychothérapique plusieurs années avec des figures stables. Une réflexion lente et profonde doit être menée entre l’ASE, le secteur de la pédopsychiatrie et leurs tutelles pour rendre l’accès possible et protégé. Par ailleurs, des lits de crise, sont également indispensables dans le sanitaire, accessibles sans difficulté lors des moments de débordement. Mais ils doivent être prévus pour une courte durée (quelques jours) et savoir accueillir les référents éducatifs rapidement pour organiser la suite.

Enfin, un troisième groupe, celui des enfants porteurs de troubles mentaux et comportementaux externalisés sévères et durables. Il correspond grossièrement au qualificatif, lui-même grossier, d’“incasable”. Ils sont très peu nombreux (5 à 20 par département selon nos études) mais ont un immense pouvoir de désorganisation institutionnelle et interinstitutionnelle. Ils nécessitent des lieux stables pendant plusieurs mois, impliquant d’importants moyens sanitaires et éducatifs (plusieurs professionnels par enfant). Le petit nombre d’enfants concernés rend en général le projet financièrement possible, d’autant plus si on y voit les effets favorables sur le reste du partenariat.

Au-delà des réponses institutionnelles, une démarche permanente d’enseignement et de recherche sera un liant et un levier majeur pour maintenir l’intérêt et la compréhension mutuelle des deux champs professionnels. On doit pouvoir aussi proposer à ces enfants des modalités de soins innovantes, issues de la recherche médicale ou éducative. Le concept d’attachement, les connaissances en neurodéveloppement, les applications psychodynamiques, les traitements du psychotrauma, le nouveau concept de “psychotrauma complexe”(2), les apports de la sociologie sont des sources immenses de travail en commun qui doivent être organisées.

Enfin, porter une grande attention à l’état psychologique des enfants confiés pourrait permettre de mieux repérer puis d’aider spécifiquement ceux qui présentent de grandes et supérieures capacités intellectuelles et affectives. Ils existent. Des réussites, au-delà de l’ordinaire, sont des exemples que chacun de nous a déjà pu rencontrer et desquels nous avons pu nous inspirer et nous rassurer longtemps.

Car au-delà des conflits entres équipes, c’est bien le sentiment d’espoir qu’il faut retrouver, porté par le sentiment d’utilité, de force et de bienveillance envers ces enfants qui, au milieu de leurs parcours chaotiques et malheureux, nous ont rencontré.

Le secrétariat à l’enfance a mis en avant le sujet comme prioritaire. La Haute Autorité de santé a lancé cette année unpgroupe de travail dédié. La Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et l’Observatoire national de la protection de l’enfance ont organisé très récemment leur premier colloque sur ce thème. Nous sommes peut-être en phase favorable… »

Notes

(1) Pour écrire « Lebrac, trois mois de prison » (Ed. Le Seuil, 2009), Bertrand Rothé a interrogé magistrats, policiers et éducateurs pour savoir comment ils réagiraient aujourd’hui aux frasques des héros du roman de Louis Pergaud, publié en 1912.

(2) Classification internationale des maladies (CMI11 2022), en prenant la précaution de ne pas voir ce « psychotrauma complexe » partout, comme tous les nouveaux concepts.

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