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Sans nom et sans visage

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Prénom : Un enfant. Nom : Autiste. C’est tout ce qu’on sait de lui. Si ce n’est qu’il avait 11 ans et habitait Marseille. Contrairement aux autres enfants tués par un parent, un proche ou un parfait inconnu, celui-ci n’a ni nom ni visage. Nulle photo partagée en masse, nul prénom scandé par la foule mortifiée, nulle pétition vengeresse pour que justice soit faite. Une mort en silence. Pas tant que ça. Un enfant tué par sa mère, forcément, on en parle. « Macabre découverte », « L’enfant autiste », « Le corps de l’enfant autiste », « Le cadavre ». La presse ne lésine pas sur les détails funestes de ses derniers instants. Mais de sa vie d’avant, presque rien. Il faisait des « crises » et c’était « difficile à gérer ». Avait-il des amis ? Une passion ? Des joies et des peines ? Nous n’en saurons rien.

Sur les circonstances, les médias se montrent plus prolixes. La mère était seule, elle était épuisée, elle a craqué. Les commentaires vont bon train. C’est « un drame de la solitude », « une mère qui n’a pas été aidée ». Une célèbre présentatrice vient nous parler d’elle, de son rôle de mère, de son couple malmené par la difficulté d’avoir un enfant handicapé. Elle avoue y avoir pensé, s’être dit qu’elle allait craquer, jeter son enfant par la fenêtre et se suicider. Moment de compassion envers ces parents dans le plus grand désarroi qui vivent « un calvaire ».

Pendant ce temps, Lisa, 25 ans, lit le journal. Elle y lit les témoignages de ces « parents courage qui se battent tous les jours pour leur enfant handicapé ». Elle y découvre leurs envies de meurtre et la bienveillante sollicitude de leurs proches. Parce que quand même, un enfant handicapé, c’est dur hein ! Et puis il n’y a pas assez de places en institution, c’est bien connu.

Lisa repense à sa mère aux mains si fines et délicates. Aurait-elle pu l’étrangler dans son sommeil ? L’empoisonner avec son jus d’orange ? La jeter par la fenêtre lors d’un accès de colère ? Sa mère aurait-elle pu la tuer ? L’a-t-elle déjà voulu ? Son doux sourire cachait-il de sombres desseins ?

Et si elle l’avait fait, en aurait-elle fait un livre sur la façon dont elle aurait « offert la mort » à sa pauvre fille handicapée ? Aurait-elle fait pleurer dans les chaumières en racontant, émue et larmoyante, à quel point c’était difficile, énumérant tous les sacrifices qu’elle avait faits ? Aurait-elle parlé de sa fille comme d’un poids, une vie qui n’en valait pas la peine ? Aurait-elle bénéficié de la complaisance d’un jury qui aurait décrété que bon, c’est un infanticide mais qu’il y a des circonstances atténuantes, pensez à cette pauvre femme qui élevait seule son enfant handicapée…

Lisa referme le journal. La parole des parents éplorés, elle l’a assez lue. Assez vue, assez entendue.

Mais la parole de ces enfants, tués des mains de leurs parents ou morts en institution, qui la racontera ? Qui leur donnera un visage et un nom ?

Prénom : Un enfant. Nom : Autiste. Cause du décès : infanticide sur personne vulnérable, dans l’indifférence quasi générale.

La minute de Flo

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