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Comment la crise ukrainienne renverse la donne

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Très volontariste sur l’accueil des exilés ukrainiens, l’Etat inaugure de nouvelles relations avec les associations, amenées à s’engager notamment sur des dispositifs d’accompagnement des familles chez des particuliers. Avec l’espoir d’infléchir les politiques d’accueil et le regard sur les migrations.

« Nous étions jusqu’à présent un pays de transit. Nous allons devenir plutôt un pays de fixation », déclarait le 10 mars Joseph Zimet, tout juste nommé à la tête de la cellule de crise sur l’accueil des réfugiés ukrainiens. Jusque-là essentiellement contenue aux frontières de l’Ukraine, l’arrivée d’exilés vers la France s’est intensifiée ces derniers jours. Et, avec elles, la mobilisation des travailleurs sociaux. « Nos équipes sont à pied d’œuvre depuis le début du conflit, mais on a connu une montée en charge assez forte la semaine du 7 mars », confirme Florian Guyot, directeur d’Aurore.

Sur le terrain, les salariés s’activent à la recherche de solutions. Deux gymnases ont été ouverts pour accueillir les personnes en transit : l’un, à la gare de Lyon, sert d’accueil de jour ; l’autre, à la gare de l’Est, reçoit jour et nuit, avec près de 80 lits. Dans les Yvelines, l’association a été missionnée pour ouvrir une plateforme téléphonique. Située à Versailles, elle doit orienter les personnes pour faciliter l’ouverture de droits et l’accès à un logement. Les travailleurs sociaux sont sur le pont. Mais pas seulement.

Les salariés de l’Esat de Santeuil ont fourni des repas pour le centre de premier accueil géré par France terre d’asile (voir page 10). « Nos personnels des fonctions support, qui portent un intérêt pour le métier, sont venus aussi donner un coup de main, souligne Florian Guyot. On est encore dans la construction du dispositif, avec les moyens du bord. Une crise en chassant une autre, la fatigue s’installe. Mais une réelle dynamique s’est créée. Et personne n’a hésité à se mobiliser. »

« Une bonne approche »

En une semaine, le nombre d’Ukrainiens arrivés en France a triplé. Au 14 mars, ils étaient 13 500 selon le ministère de l’Intérieur. Arrivés, pour la plupart, à Paris. Accueillis, pour certains, en transit. Le temps de rejoindre l’Espagne ou le Portugal, voire la Grande-Bretagne. La France, elle, estime pouvoir accueillir jusqu’à 100 000 personnes. Un changement de cap manifeste par rapport aux précédentes vagues migratoires, qui semble instaurer une relation de confiance avec les associations.

Les principales structures du secteur disent être en contact permanent avec les services de l’Etat, et notamment la cellule interministérielle de crise. Dans chaque département, les préfectures ont pour consigne de désigner une association référente, chargée de coordonner l’accueil. « Cette organisation déconcentrée est une bonne approche, loue Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de solidarité (FAS). On veillera à ce que toutes les préfectures s’engagent pleinement. »

A Coallia, Emmanuel Brasseur, directeur de l’hébergement et du logement accompagné, salue « la rapidité des décisions prises et des solutions apportées ». Son association prend en charge les exilés à l’aéroport de Beauvais, qui sont hébergés sur place avant d’être réorientés. Elle a notamment géré la mise à l’abri de 500 personnes dans les locaux du Paris Events Center, porte de la Villette. Un dispositif d’hébergement transféré depuis dans un hall du parc des expositions de la porte de Versailles. « Pour le moment, le dispositif est à la hauteur, juge Emmanuel Brasseur. L’enjeu, désormais, sera de répartir les personnes sur le territoire national. »

Un dispositif inédit

Au total, l’Etat estime avoir identifié près de 50 000 solutions de logement. Trois modalités sont privilégiées. La première réside dans l’ouverture de « sas » réservés à l’accueil temporaire. Conscient de la saturation des dispositifs existants, l’Etat n’entend mobiliser ni les places du dispositif national d’accueil, réservées aux demandeurs d’asile, ni celles d’hébergement d’urgence habituel.

Seconde modalité : l’accès au logement. Contrairement aux demandeurs d’asile, les Ukrainiens qui feront la demande d’une protection temporaire, telle que le permet l’instruction ministérielle du 10 mars (voir ce numéro, page 15), pourront en bénéficier. Des communes et des bailleurs sociaux ont formulé des propositions sur le site Demarches-simplifiees.fr. Le dispositif d’intermédiation locative, réservé au parc privé, devrait être mobilisé et élargi au parc public.

Enfin, la troisième modalité privilégiée par le gouvernement – et c’est une grande nouveauté – consiste en l’accueil chez des particuliers. Une initiative qui était jusqu’à présent le fait de collectifs citoyens. Pour la première fois, les travailleurs sociaux vont accompagner, avec le soutien de l’Etat, les familles accueillies et accueillantes. « J’en suis très heureux, se réjouit Pascal Brice. La rencontre entre travailleurs sociaux et bénévoles n’est pas simple, mais elle est passionnante. Passée la phase d’apprivoisement, elle crée des choses fortes. On doit prendre appui sur cet élan de solidarité. Et je serai attentif à ce que nos associations lui donnent toute sa place. »

Recrutement en cours

Dans l’Allier, l’Anef 63 a été désignée pour bâtir la feuille de route du territoire. Outre l’ouverture d’une soixantaine de places d’hébergement, elle axera son action sur l’accompagnement au sein des familles d’accueil. « Vu la saturation des dispositifs d’hébergement, c’est la situation la plus adaptée, estime le directeur Gilles Loubier. On a reçu pour le moment un volume de plus de 200 propositions. » Comme la plupart des structures mobilisées, l’Anef a prévu de recruter. Trois intervenants sociaux et un ou une secrétaire compléteront les équipes. « Des diplômés en travail social quels qu’il soient, mais aussi des personnes averties qui ont travaillé ou été bénévoles dans des associations caritatives », explique Gilles Loubier, conscient des difficultés de recrutement du secteur.

Ces nouvelles recrues seront épaulées par des bénévoles et des salariés de l’association, missionnés dans le cadre de leur contrat ou hors temps de travail. Leur mission ? « Labelliser », d’abord, les familles accueillantes : « On va leur confier des familles en détresse. On doit vérifier qu’il n’y a pas de risques, s’intéresser à leurs motivations, déterminer le type d’accueil proposé, les langues parlées, avant d’orienter des familles correspondant au profil. » L’Anef, ensuite, accompagnera avec ses partenaires les personnes accueillies sur les plans administratif, social et sanitaire. « Ce qui change, aujourd’hui, dans l’accompagnement, c’est la scolarisation des enfants, souligne Gilles Loubier. Habituellement, les hommes sont les premiers à migrer. Cette fois, c’est le contraire. Nous voulons que les enfants bénéficient d’un cadre approprié le plus rapidement possible. »

Enfin, les professionnels devront soutenir les familles accueillantes. « Il va falloir gérer dans le temps cette solidarité du moment, souscrit Emmanuel Brasseur, à Coallia. On peut ouvrir sa porte quelques jours, mais quelques mois, c’est plus compliqué. » Chacun veut rester prudent sur la déclinaison de ce mode d’accompagnement. « Pour le moment, on est dans l’émotion, rappelle Gilles Loubier. Mais j’imagine moins un tel engouement lorsqu’il s’agira d’accueillir des sans-abri. »

Par expérience, la FAS appelle le gouvernement à anticiper. « Tout dépendra de l’évolution du conflit. Mais au vu de ce que Poutine a déjà fait à Alep (Syrie) ou à Grozny (Tchétchénie), au vu des dispositifs de relocalisation des personnes réfugiées dans les pays frontaliers de l’Ukraine, je ne vois pas comment le nombre d’arrivées pourrait ne pas augmenter fortement », prévient Pascal Brice. La fédération invite l’Etat à mobiliser de manière pragmatique les places vacantes du dispositif national d’accueil. Il s’agit souvent de places d’hébergement familial, inadaptées aux besoins des personnes isolées mais qui correspondraient au profil des exilés ukrainiens.

Le gouvernement devra également préciser ses garanties financières. A l’Anef, le conseil d’administration a voté une enveloppe de 50 000 € sur ses fonds, en attendant que l’Etat signe une convention. « Pour l’instant, on s’occupe de l’urgence, on verra ensuite », résume Gilles Loubier, confiant sur le respect des engagements pris. « Pour le moment, on est sur l’idée du “quoi qu’il en coûte”, ajoute Pascal Brice. Mais il va falloir rapidement mobiliser des moyens. Je n’ai aucun doute, mais ce sera mieux quand ce sera acté. » L’enjeu, à terme, sera de capitaliser sur cet élan de solidarité. « Il n’échappe à personne qu’il y a deux poids, deux mesures dans l’accueil des étrangers aujourd’hui en France. Il faut s’appuyer sur cette mobilisation pour changer le regard des citoyens et des élus sur les migrations, considère Pascal Brice. J’ai bon espoir que les pouvoirs publics sortent des stratégies dissuasives, qui non seulement ne découragent personne mais portent atteinte à la dignité des étrangers. »

Singa accélère son programme d’accueil familial

Les initiatives citoyennes ne manquent pas. Mais rares sont les associations à avoir organisé de manière professionnelle l’accueil d’exilés chez des particuliers. C’est le cas de Singa. Depuis 2015, son programme « J’accueille » a mis en relation quelque 700 bénéficiaires de la protection internationale et autant d’hébergeurs pour une durée de trois à douze mois. Une fois la mise en relation effectuée, des partenaires (Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France horizon) prennent en charge l’accompagnement sur les plans de l’accès aux droits, au logement, à la santé et à l’emploi. « Lorsqu’elles obtiennent leur statut de réfugiés, ces personnes doivent quitter les centres d’accueil sans être forcément en capacité de se projeter, explique Vincent Berne, responsable du programme. Etre accueilli dans une famille permet de se poser et de casser le cercle vicieux “sans logement, pas d’emploi”. Et il crée aussi une dynamique, notamment dans l’apprentissage du français, qui change la nature de l’accompagnement. » Implanté en Ile-de-France, puis à Montpellier, à Lyon et à Toulouse, le programme accélère son développement à Bordeaux, à Rennes, à Nantes, à Marseille et à Grenoble pour faire face à la crise ukrainienne. Quelque 4 000 propositions d’accueil ont été formulées sur le seul site du dispositif.

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