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Le nouveau credo des start-up

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Depuis la fin des années 1980 en France, l’« accueil familial » permet à des particuliers d’héberger des personnes âgées ou handicapées, moyennant salaire. Une opportunité pour des start-up qui cherchent à s’engouffrer sur ce marché, potentiellement juteux.

Lorsqu’il a fondé, en 2016, « CetteFamille », après un début de carrière dans la banque et la finance, Paul-Alexis Racine Jourdren ne s’attendait pas à « un apprentissage long et douloureux du secteur de l’accueil familial ». Dédiée aux majeurs en situation de handicap et aux personnes âgées, cette solution d’hébergement chez des particuliers, officiellement encadrée par la loi depuis 1989, compte aujourd’hui près de 14 000 personnes accueillies au domicile d’environ 9 000 accueillants familiaux. Les relations entre les deux parties y sont régies par un contrat dit de « gré à gré », dont les conseils départementaux vérifient la conformité. Peu connu et souffrant d’une réglementation complexe, l’accueil familial peine à se développer en France. Du pain bénit pour le jeune entrepreneur, qui y voit un marché en devenir répondant aux difficultés de logement des seniors en perte d’autonomie et offrant une alternative au placement en Ehpad.

Au départ, CetteFamille propose un service de mise en relation entre accueillants agréés par les départements et personnes accueillies, facturé à hauteur de 5 % du prix de l’hébergement. Mais très vite, le fondateur de la start-up, située dans l’Orne, se rend compte que ce tarif dépasse largement les moyens du public visé, aux ressources souvent limitées. On estime qu’entre 65 % et 70 % des personnes accueillies sont en situation de handicap. Paul-Alexis Racine Jourdren cherche alors à se faire conventionner tiers régulateur (un statut défini par l’article D. 442-5 du code de l’action sociale et des familles) par les départements. Une étape légalement obligatoire pour devenir un intermédiaire officiel entre les familles d’accueil et les bénéficiaires. Il les démarche les uns après les autres, en même temps qu’il prend contact avec les accueillants familiaux, jusqu’à effectuer du porte-à-porte pour proposer les services de sa toute jeune société. Mais du côté des départements, la mayonnaise ne prend pas. « On a essayé de tendre la main, on s’est fait mordre », se désole Paul-Alexis Racine Jourdren.

Fonds d’investissement

Aujourd’hui, CetteFamille a revu ses ambitions à la baisse et se contente d’assurer la gestion administrative des dossiers des personnes accueillies (déclaration Cesu pour l’édition des bulletins de contrepartie financière, avenants aux contrats, conseils juridiques…). Avec des tarifs de 7,90 euros hors taxes par personne et par mois pour les personnes bénéficiant de l’aide sociale, et de 49 euros pour les autres. La jeune pousse, qui compte un peu moins de 30 salariés, gérait en 2021 environ 4000 dossiers par mois, en passant principalement par près de 50 organismes de tutelle et de curatelle qui lui ont délégué ces tâches. En deux levées de fonds (2 millions d’euros en 2017 et 4 millions d’euros en 2020), CetteFamille a fait entrer dans son capital les fonds d’investissement Newfund, Normandie Participations, Malakoff Humanis ainsi qu’en leur nom propre, Philippe Perrin, fondateur de la société de services à la personne Domiserve, et Daniel Caille, président de Vivalto, le troisième groupe de cliniques privées français.

Pionnière sur ce marché de l’accueil familial, CetteFamille, qui revendique en 2020 un chiffre d’affaires de 500 000 euros, a fait des émules. En 2019, un duo de trentenaires lui a emboîté le pas. Alexandre Nicolet (ingénieur formé aux Arts et Métiers) et Clément Venard (diplômé d’une école de management) ont créé MonSenior, dont « l’objectif n’est pas la rentabilité mais l’impact social »(1), insistent-ils. Les deux entrepreneurs développent l’offre d’accueil familial en promouvant principalement l’hébergement temporaire, lorsqu’une personne âgée sort de l’hôpital et ne peut regagner immédiatement son domicile ou que le proche aidant souhaite s’accorder un temps de repos. Opérationnelle depuis mai 2020, la start-up est active principalement dans la région Auvergne-Rhône-Alpes où elle affirme avoir accompagné environ 200 bénéficiaires. MonSenior prélève une commission d’environ 300 euros par mois sur le coût du séjour auprès de l’accueilli. « Nous avons établi des partenariats avec des groupes de protection sociale, des complémentaires retraite, des mutuelles pour aider au financement des séjours. On mobilise tout pour que le reste à charge pour le bénéficiaire soit le plus faible possible », explique Alexandre Nicolet. Parmi les groupes de protection sociale évoqués, on compte AG2R et Malakoff, et à l’inverse de CetteFamille, pas de levées de fonds pour MonSenior : l’actionnariat se répartit entre les deux cofondateurs qui misent sur l’autofinancement, les subventions publics et des groupes de protection sociale pour faire tourner et développer leur équipe de six salariés. Une troisième start-up s’est lancée début 2020 dans l’accueil familial : Famillys, créée par Fabrice Machenaud, jeune diplômé d’école de commerce et, par ailleurs, fondateur d’une plateforme en ligne dédiée à la mode. Ses activités dans le secteur de l’accueil familial restent embryonnaires à ce jour.

Du côté des accueillants familiaux, certains se félicitent de l’arrivée de ces start-up : « Travailler avec CetteFamille m’a soulagée d’un point de vue administratif, raconte Séverine, accueillante dans l’Orne. Pour les personnes qui ne maîtrisent pas l’informatique, c’est très pratique. » Marie-Claire, accueillante dans l’Eure, se réjouit aussi : « Ils m’ont trouvé des personnes à accueillir alors que mon département ne faisait rien pour m’aider à remplacer les deux accueillis que j’avais perdus. ». D’autres sont scandalisés par ce qu’ils considèrent comme de la marchandisation d’un service public. « Tout ce que proposent ces start-up peut être fait gratuitement, elles surfent sur la fragilité d’une population vulnérable », dénonce Florence, autre accueillante, dans l’Eure-et-Loir. « Elles profitent d’un vide juridique et des gens tombent dans le panneau par facilité et par méconnaissance. L’accueil familial est géré au niveau départemental. Ce sont les assistants sociaux et les évaluateurs qui s’assurent que les contrats sont signés en bonne et due forme, qui doivent faire le suivi de l’accueil, aider à résoudre les problèmes… Et les fiches de paie doivent être faites par la personne accueillie ou par son organisme de tutelle ou de curatelle », insiste une autre accueillante dans la Vienne. « Ce n’est pas à une société commerciale de rédiger les termes du contrat entre moi et l’accueilli. C’est un contrat de gré à gré, s’agace une autre. De plus, les personnes que j’accueille ont très peu de revenus. Il est scandaleux de leur prélever des frais supplémentaires. »

Ces start-up, chantres de l’économie du vieillissement, ont cependant rodé leur « storytelling », l’histoire de leur création. Le dirigeant de CetteFamille explique ainsi avoir eu l’idée de s’impliquer dans l’accueil familial quand il a constaté que son voisin âgé ne pouvait plus vivre seul. Le patron de MonSenior, lui, aurait créé sa société au retour d’un séjour humanitaire aux Philippines. Avec les acteurs historiques de l’accueil familial, c’est donc le choc des cultures. En annonçant d’entrée de jeu vouloir créer « le Airbnb pour vieux », Paul-Alexis Racine Jourdren a braqué les professionnels du secteur, qui dénoncent une stratégie de « socialwashing » de la part de cette entreprise immatriculée comme centre d’appel au registre du commerce.

Mais depuis un an, CetteFamille a organisé sa riposte : à toute critique diffusée sur un support public ou relevant d’échanges privés entre accueillants familiaux et conseils départementaux, la société dégaine des mises en demeure par voie d’avocat (via le prestigieux cabinet parisien BCTG Avocats) et réclame de « cesser immédiatement tout comportement ou démarche, par tout moyen de communication auprès des principales parties prenantes de l’accueil familial, qui serait susceptible de présenter un caractère dénigrant, diffamatoire et/ou injurieux à l’encontre de CetteFamille, de ses salariés ou encore de la façon dont elle exerce son activité » sous peine de « sanctions civiles et pénales ».

Devant cette artillerie juridique, les voix critiques dénoncent des « méthodes d’intimidation » qui fonctionnent. « Nous n’avons pas l’assise financière pour faire face à ce genre de menaces, alors on ne dit plus rien », témoigne anonymement le récipiendaire d’une de ces missives. L’entreprise versus l’humain ? Le clivage semble désormais insurmontable. « Dans mon département, un accueillant a toujours à domicile des jumeaux qui sont arrivés à leur naissance et qui ont maintenant 21 ans, explique le responsable d’une association conventionnée par un département. Un autre est dans sa famille d’accueil depuis cinquante-deux ans. L’accueil familial n’est pas un métier pour gagner de l’argent, c’est un engagement et un choix de vie. Ce n’est pas une prestation de service, comme Leboncoin où l’on met en relation des vendeurs et des acheteurs. »

Erratum Dans le numéro 3247 du 18 février, page 9, il fallait lire dans l’encadré « Civil ou pénal ? » : « Les crédits pour la protection judiciaire des jeunes majeurs sont passés de 114 millions d’euros en 2005… »

Enfants de la « Silver économie »

La dénonciation des conditions de vie dans certains Ehpad se multipliant, les start-up lancées par de jeunes entrepreneurs fleurissent pour proposer des alternatives. Depuis 2019, Ernesti, fondée par les jumeaux Quentin et Séverine Zakoian, permet à des aidants familiaux d’être assistés par des étudiants du secteur de la santé, rémunérés 50 €, pour veiller leur proche en perte d’autonomie de 20 h 00 à 8 h 00. Le coût : 89 €. Ernesti revendique 10 000 étudiants inscrits sur son réseau et compte en recruter 10 000 autres en 2022. Quentin et Séverine Zakoian sont les enfants d’une mère médecin et d’un père entrepreneur, fondateur d’une start-up de gestion de revenus de parking. La jeune femme a suivi des études de psychologie tandis que son frère, ingénieur, a démarré sa carrière dans des cabinets de consulting et d’audit financier. Leur société est membre de la Silver Alliance, un réseau de start-up dédiées aux solutions pour « bien vieillir à domicile ». Les membres de ce réseau ont été reçus début février 2022 à l’Elysée par Philippe Englebert, ancien banquier chez Goldman Sachs et actuel conseiller entreprises, services financiers, attractivité et export d’Emmanuel Macron.

Notes

(1) Lancés en 2016, les contrats à impact social (CIS) permettent de faire financer des programmes sociaux par des investisseurs privés et sont à l’origine de certains partenariats public-privé – Voir ASH n° 3164 du 12-06-20, p. 7 et n° 3187 du 4-12-20, p. 18.

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