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Suppression du travail de nuit des éducateurs : à quel prix ?

[TRIBUNE] Le collectif des éducateurs des foyers départementaux de Paris réagit à la suppression de leur travail de nuit. Il entend défendre la reconnaissance de leur travail, l’accompagnement éducatif des enfants et le maintien de leur pouvoir d’achat.

Treize foyers départementaux de l’enfance de Paris accueillent des enfants âgés de 0 à 21 ans placés soit par ordonnance judiciaire, soit par accord administratif entre la famille et l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ainsi que des jeunes mères dans le cadre des foyers mère-enfant.

Avant les vacances d’été 2018, il a été annoncé aux éducateurs de ces foyers départementaux qu’ils n’effectueront plus les nuits. Elles seront assurées par des veilleurs de nuit ou des aides médico-psychologiques (AMP). Cette annonce s’inscrit dans la dynamique du “new public management”, visant à inscrire la gestion des établissements publics dans une gestion semblable à celle du secteur privé : viser une meilleure efficacité, avec moins de moyens, comme l’a confirmé la direction départementale lors de rencontres à ce sujet. Pourtant, il a déjà été annoncé que certaines équipes subiront des suppressions de postes d’éducateurs en journée, ainsi que de postes au niveau des services généraux. En effet, cette nouvelle organisation se fera à plus grand coût que l’organisation actuelle, et impliquera alors des réductions budgétaires sur le fonctionnement global de l’établissement.

La même direction utilise des arguments tels que l’influence des nuits travaillées pour les éducateurs sur les risques psycho-sociaux, ou encore le fait que la sécurité des enfants serait mieux assurée par des employés effectuant des nuits “debout” (actuellement, les éducateurs font des “nuits couchés”, c’est-à-dire qu’ils peuvent dormir sur le lieu de travail entre 22 h et 6 h, tout en restant disponibles pour l’enfant).

Cette annonce a déclenché beaucoup de réactions de la part des éducateurs. Tout d’abord une sensation que leur action n’était pas reconnue par la direction : “On pourrait faire mieux que vous, à plus bas prix.” Ensuite un rejet de cette nouvelle orientation qui irait à l’encontre de leur philosophie de travail : la continuité éducative, base sur laquelle ces professionnels ont axé l’accompagnement éducatif depuis leur embauche, et qui a maintes fois montré son intérêt. Enfin, un calcul rapide s’est fait : les salariés perdraient alors entre 300 et 500 euros sur leur fiche de paie (primes de nuit) dès l’application de cette mesure.

Loin de nous l’idée de remettre en question les qualités professionnelles des veilleurs de nuit et des aides médico-psychologiques. Nous défendons ici la reconnaissance de notre travail, cette notion de continuité éducative si importante dans l’accompagnement des enfants, et le maintien de notre pouvoir d’achat qui se trouvera grandement amoindri.

Quel prix pour l’enfant ?

La phase de l’endormissement pour l’enfant s’étale sur une période plus ou moins longue selon l’enfant ainsi que selon les circonstances du moment. Certains ne s’endorment pas immédiatement après le rituel du coucher, et il est fréquent de voir des enfants peiner à trouver le sommeil après le départ des éducateurs ayant travaillé la soirée. D’autres se lèvent de leur lit pour aller à la rencontre de l’éducateur travaillant de nuit afin de se rassurer de sa présence. Le lien travaillé durant les temps de quotidien de journée est vecteur de sécurité pour l’enfant et lui assure un espace sécurisé et propice à l’endormissement.

Nous avons pu observer l’importance de ce lien dans la question des enfants, incontournable à chaque coucher : Qui fait la nuit ?” Cette question fait partie intégrante du rituel du sommeil. Le fait d’avoir tissé un lien avec celui ou celle intervenant la nuit rassure l’enfant. L’expérience des équipes éducatives permet aussi de relever que lorsqu’un nouvel éducateur entre en fonction, ses premières nuits travaillées sont des temps durant lesquels les enfants se lèvent plus souvent qu’à l’accoutumée. Cela confirme l’importance pour l’enfant de connaître l’éducateur de nuit.

Pas de lien, pas d’autorité. Le travail en journée, le lien qui y est créé, portent un cadre sécurisant pour l’enfant qui permet un endormissement plus apaisé, et aussi que la nuit se passe bien. Les règles de vie sur le groupe, portées en journée par l’ensemble de l’équipe éducative, restent les mêmes, tout autant portées la nuit par les mêmes éducateurs.

L’éducateur ayant travaillé la nuit accompagne le lever des enfants. Toujours dans cette logique de continuité, avoir fait la nuit permet d’adapter le réveil des enfants selon la nuit passée.

Enfin, la continuité de l’intervention des éducateurs, de jour et de nuit, permet à l’enfant de s’inscrire dans une dynamique de groupe stable, avec des adultes identifiés comme référents et présents sur tous les temps du quotidien. Une inscription plus proche d’un schéma familial, et ainsi plus stable pour l’enfant. La multiplication des intervenants auprès de l’enfant irait à l’encontre de cette organisation et ne ferait qu’accroître le côté “institutionnel” du placement.

Le travail de nuit auprès des enfants ne concerne pas uniquement un acte de présence, une surveillance des locaux, ou le fait de recoucher l’enfant après qu’il s’est levé. Il s’agit d’un accompagnement éducatif, dans la continuité de la journée.

Quel prix pour l’institution ?

La bonne connaissance des enfants du groupe (à travers le travail de journée et l’expérience du quotidien), de l’institution, ainsi que les connaissances dispensées par les formations du diplôme d’Etat, permettent aux éducateurs une meilleure connaissance des gestions de crise sur un groupe. Ainsi ils développent une certaine autonomie dans l’organisation afin de réagir de manière adaptée face à des incidents. Cette gestion participe au fait qu’aujourd’hui les incidents survenus de nuit restent de nature exceptionnelle et, de ce fait, la mobilisation des cadres d’astreinte est réduite. Au sein des institutions, le système incluant des éducateurs la nuit auprès des enfants est aujourd’hui une spécificité propre à nos établissements publics, une force que nous souhaitons défendre. Pourtant celle-ci est remise en cause de façon incompréhensible pour les professionnels alors que les chiffres très faibles d’incidents démontrent que ce système fonctionne.

Il est également à noter que la multiplication des intervenants éducatifs induit une nouvelle organisation au niveau des temps de transmission ainsi que des temps de concertation et de liens entre les professionnels. Il a été démontré sur d’autres structures ayant mis en place l’intervention des veilleurs de nuits la difficulté à mettre en place une réelle coordination entre les professionnels, ceux-ci ne faisant que se “croiser”, au milieu des “rushs” du lever ou du coucher.

Enfin, concernant les accueils d’urgence, la bonne connaissance du terrain, de la hiérarchie et de l’organisation de l’institution permet aux éducateurs de pouvoir intervenir. Accueillir des enfants la nuit, les éducateurs savent le faire, ils le font déjà en journée.

Quel prix pour les éducateurs ?

L’éducateur faisant la nuit travaille de 21 h à 9 h le lendemain. De 21 h à 22 h, et de 7 h à 9 h, l’éducateur est considéré comme “debout”, et ces trois heures sont comptabilisées dans les 35 heures hebdomadaires. De 22 h à 7 h, il s’agit d’un forfait de nuit comptant pour trois heures travaillées en heures supplémentaires. Une heure supplémentaire correspondant à une moyenne de 25-30 euros, il s’agit d’une perte de 90 euros par nuit, soit 300 à 500 euros sur le mois, en fonction des établissements, et du nombre de nuits par mois effectuées. Cette perte de salaire est clairement conséquente dans l’organisation des salariés. La direction départementale, interrogée à cet effet, a affirmé ne pas s’être rendu compte de cet impact. Les conditions de vie des éducateurs ne semblent pas être sa priorité. Aujourd’hui, beaucoup de collègues s’inquiètent pour leur avenir, certains ont des familles, des prêts à rembourser. Toute leur organisation financière s’est mise en place à partir de leur contrat de travail et de ses modalités salariales, à ce jour mises en péril.

Aussi, au niveau de l’organisation du travail, la direction générale a informé les éducateurs que les heures de nuit seront redistribuées sur des heures de journée. Pourtant cette redistribution ne sera pas évidente à mettre en place, car les amplitudes horaires seront plus importantes qu’auparavant. Ces changements n’impliqueront alors pas de meilleures conditions de travail pour les professionnels, comme le revendique la direction. Il faudra des éducateurs pour les levers (effectués auparavant par l’éducateur de nuit) et les temps du soir seront plus tardifs, sachant que le groupe d’enfants devra être endormi avant l’arrivée du veilleur de nuit (ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui lors de l’arrivée de l’éducateur de veille).

Une grande mobilisation se met en place aux seins des établissements, et les éducateurs s’organisent pour faire connaître leurs revendications. Des prises de contact avec des élus, ainsi qu’avec les directions départementales sont en cours. Mais à ce jour, les directions n’entendent pas. Pourtant, dans une actualité de la protection de l’enfance pointant du doigt la mauvaise gestion des départements quant à l’accueil des enfants, les directions départementales devraient s’appuyer un peu plus sur l’expertise de leurs opérateurs de terrain.

 

Contact : collectif.educateurs.fde@gmail.com -Référente média : Julie Berthy

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