Dès le 4 mars 2022, deux semaines après l’entrée des troupes russes en Ukraine, les pays européens adoptent à l’unanimité l’activation de la directive européenne sur le droit à la « protection temporaire. » Concrètement, les réfugiés ukrainiens vont pouvoir circuler librement à l’intérieur des pays de l’UE sans visa et pourront déposer une demande d’asile dans le pays de leur choix. La directive prévoit également la possibilité d’obtenir rapidement un permis de séjour, de travailler et bénéficier de droits sociaux. Une première, la directive droit à la « protection temporaire » (DTP) n’avait jamais été activée depuis son élaboration au lendemain de la guerre d’ex-Yougoslavie. Pas même lorsque les violences forçaient hors de chez eux des centaines de milliers de Syriens, Libyens et Afghans.
Sur tout le trajet entre la gare de Calais et le centre-ville, Evgeny jette des coups d’oeil inquiet sur son téléphone portable. Après avoir fui la capitale et traversé l’Europe, il arrive à Calais avec sa famille dans l’espoir de rejoindre des amis en Angleterre. Sa femme Victoria, assure les conversations en anglais pendant que sa fille de 12 ans regarde défiler le paysage linéaire du nord de la France. Direction l’accueil de l’auberge de jeunesse, la famille apprend qu’ils vont devoir repartir à Arras où un centre temporaire de visa a été mis en place par les autorités britannique. Ce soir, ils passeront la nuit à l’auberge. Avant de s’engouffrer dans le bâtiment Victoria salue « Je remercie la France, merci pour votre aide ! »
"Jungle Hospital"
Cet même après midi, séparé par une vingtaine de minutes à pieds, le Secours catholique tient un accueil de jour pour les personnes exilées et réfugiées. Quatre fois par semaine, la cour de l’organisation humanitaire se gonfle de monde. Les conversations résonnent au rythme de la musique. Au milieu, un groupe joue au football, la balle va parfois effleurer des têtes du salon de coiffure ou évite de justesse des gobelets de thé à la menthe. Ce vendredi, environ 400 personnes ont pu profiter de ce lieu pour se doucher, manger un bout, recharger les batteries des téléphones.
Adossé au mur, Zain se réchauffe les deux mains entrelacées autour d’un verre de thé. Cela fait deux semaines qu’il habite la « Jungle Hospital », un terrain défriché à quelques dizaines de mètres de l’enceinte de l’hôpital de Calais. « La police est venue nous prendre nos tentes déjà 5 fois », explique-t-il. Alors que la solidarité s’organise pour les réfugiés ukrainiens, les associations regrettent de voir le statu quo des autres ressortissants se prolonger. « La situation des personnes exilées ne s’est absolument pas améliorée à Calais, regrette la coordinatrice du Secours catholique de Calais, Juliette Delaplace. L’Etat continue sa politique de non-fixation et de destruction des lieux de vie ».
Stratégie hostile envers les migrants
Cependant, les organisations humanitaires calaisiennes se réjouissent des mesures mises en place par la directive européenne. Une aubaine même pour William Feuillard, coordinateur à l’Auberge des migrants : « Les gouvernements européens viennent de faire la démonstration que l’Europe peut accueillir dignement et dans le respect des droits de l’homme les réfugiés. » Un constat partagé par Marguerite Combes d’Utopia 56, qui déplore que les droits fondamentaux des exilés ne soient pas respectés.
Les autorités continuent de mettre en place une stratégie hostile envers les migrants dans la région selon la militante associative. Ce qu’elle considère comme une « maltraitance » passe par les destructions de tentes mais aussi par la pose de roches à proximité des lieux de vie des exilés afin d’en compliquer l’accès pour les distributions alimentaires notamment. « Les autorités ne détournent pas juste le regard, ils contribuent activement à compliquer le quotidien des personnes », insiste Juliette Delaplace.
Les organisations calaisiennes d’aide aux exilés réclament toutes que la directive droit à « la protection temporaire » soit étendue à l’assemble des réfugiés, « qu’importe leur origine ou leur couleur de peau », martèle William Feuillard. Dans la cour de l’accueil de jour du Secours catholique, la nouvelle est déjà parvenue à certaines oreilles. Ahmed, un Soudanais de 19 ans, rappelle que « quelqu’un est mort hier en essayant de monter sur le camion. » Depuis le début de l’année, c’est le cinquième décès à la frontière.