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Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre : « si on ne fait pas le nécessaire maintenant, on aura des impayés, et donc des expulsions »

Christophe Robert délégué général fondation Abbé Pierre

Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre

Crédit photo DR
Avec trois autres associations (Unafo, Uniopss et Fédération des acteurs de la solidarité), la Fondation Abbé-Pierre a soumis au ministère du Logement des préconisations en faveur des plus démunis pour l’après-confinement. Christophe Robert, son délégué général salue la mobilisation suscitée par la crise et appelle à « transformer l’essai » pour que des solutions durables soient enfin imaginées.

Actualités sociales hebdomadaires : Vous avez adressé au gouvernement, et à Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, en particulier, des propositions pour le secteur de l’hébergement et pour les personnes les plus précaires pour l’après-11 mai. Selon vous, quelle est la priorité des priorités ?

Christophe Robert : Il y en a deux. Les pouvoirs publics, avec l’aide des associations, pendant cette crise ont fait montre de réactivité avec l’ouverture de centres Covid, la réquisition d’un grand nombre d’hôtels, la prolongation au-delà de l’hiver des 14 000 places d’hébergement d’urgence… Il faut transformer l’essai et apporter une réponse durable. Si on y parvenait, on marquerait des points. On sortirait de cette logique hypocrite de gestion hivernale ou de crise sanitaire. C’est la société qui est sensibilisée aux sans-abri l’hiver. Mais en réalité, le besoin, il existe toute l’année ! Donc il ne faut pas rater la sortie du déconfinement sur ce volet.

Et vous annonciez une seconde priorité ?

C.R. : C’est la mise en place d’un fonds d’aide au paiement des loyers et des charges. Nous sommes très inquiets. Sans un tel dispositif, on créerait une bombe à retardement. Si on ne fait pas le nécessaire maintenant, on aura des impayés, et donc des expulsions. Il faut donc prévenir plutôt que guérir, ou même punir, lorsqu’on parle d’expulsion.

Avez-vous le sentiment d’être entendus ?

C.R. : Depuis six semaines, au cours de réunions, deux à trois fois par semaine, nous faisons remonter du terrain des urgences au ministère. Nous avons bénéficié de son attention. Outre les 10 000 places à l’hôtel, il y a eu par exemple des points d’eau installés dans des bidonvilles. Cette écoute ne résout pas tous les problèmes, puisque certains sont structurels. Et la question que je me pose est celle de savoir si cette plus grande sensibilisation des pouvoirs publics perdurera au-delà de la crise. Ce n’est pas gagné du tout, mais l’enjeu est là. Il s’agit de réaliser des arbitrages politiques au plus haut niveau, celui de la présidence de la République, de Matignon, de Bercy. Puisque derrière les enjeux immédiats liés à la crise, se cache une question de société beaucoup plus vaste. Pour résumer, oui, nous sommes écoutés, mais reste la peur que le naturel ne revienne au galop et que la dimension humaine ne repasse à l’arrière-plan.

Lorsqu’on lit vos propositions, on constate que le logement occupe une place centrale. Pourquoi ?

C.R. : Devant une personne à la rue, un mineur isolé qui n’a rien, un travailleur migrant… bref, face à une personne en urgence sociale totale, on est tenté d’apporter une réponse… d’urgence justement. Or, depuis une quinzaine d’années, on a pu constater que l’on oublie des éléments fondamentaux. Et en premier lieu le logement. Nous soutenons la logique du dispositif « Logement d’abord ». Etre hébergé dans un hôtel ne permet pas de repartir, de se reconstruire. Le logement, c’est le premier pas qui amène à se stabiliser, se soigner, retrouver une sociabilité, voire décrocher un emploi. Les places d’hébergement d’urgence sont un pansement nécessaire pendant cette crise, mais elles n’offrent pas l’occasion d’une reconstruction durable. Le logement ne doit pas être une récompense au bout d’un parcours, mais un levier de reconstruction. Si on ne fait pas tout pour qu’un maximum de personnes retrouvent un logement, elles vont sombrer à nouveau. Il faut que cette crise que nous traversons conduise à élaborer des solutions durables, par exemple en ouvrant l’accès aux HLM aux personnes sans domicile fixe.

Une autre dimension de la crise a évidemment été liée à l’accès aux soins, dont on sait qu’il est très compliqué pour les plus précaires. Là encore, la crise sanitaire a-t-elle permis d’inventer des dispositifs à inscrire dans la durée ?

C.R. : Oui, le rapprochement entre les secteurs social et sanitaire. Ainsi, par exemple, des équipes de soins se rendent dans des structures qui ne sont pas dotées de services de soins, comme les foyers de travailleurs migrants. Là aussi, comme pour le logement, il faut transformer l’essai.

Selon vous, quel est le ressenti de cette période de confinement et déconfinement par les personnes précaires elles-mêmes ?

C.R. : Celles qui ont été mises à l’abri développent la même peur qu’après la trêve hivernale : celle de se retrouver à la rue. D’autres évoquent aussi le sentiment de contrainte, d’enfermement dans une petite chambre d’hôtel… Nombreux sont ceux aussi qui ont vu leurs ressources diminuer et leurs charges augmenter ; et là encore, le sentiment de peur domine : celle d’être expulsé.

Dès lors, le déconfinement ne risque-t-il pas de s’avérer finalement plus complexe que le confinement lui-même ?

C.R. : En effet. Pendant le confinement, on a moins réfléchi. Tous, associations, pouvoirs publics, collectivités territoriales… on a foncé. Il y a eu une mobilisation générale et de la spontanéité, même si malgré tout, bien sûr, certains sont restés au bord de la route : 2 000 appels au 115 restent par exemple sans solution chaque jour. Mais il existe le risque que le déconfinement nous ramène à des logiques où on réfléchit beaucoup, avec, au centre de la décision, davantage les tableaux Excel que l’humain. Cela conduirait à retrouver de bonnes raisons de ne pas faire.

Aussi vous montrez-vous très prudent sur la suite…

C.R. : Certes, même si je me dis que cet élan peut susciter d’autres politiques publiques. Pour ne pas faire comme avant. Cela demandera beaucoup de travail, de faire de la dentelle, en développant des partenariats… Pour en finir avec les renvois de  patate chaude entre les différentes strates de la décentralisation. Le déconfinement doit aussi donner l’occasion d’humaniser les structures d’hébergement qui ne le sont pas encore, comme les foyers de migrants. On a vu pendant la crise combien la suroccupation, par exemple, pouvait engendrer de risques… Il faut donc des chambres individuelles, des cuisines partagées… Le futur plan de relance devra inclure cette dimension.

Pensez-vous qu’on ait évité la catastrophe annoncée en matière de contamination ?

C.R. : Nous parlons de l’après, mais nombre de personnes vivent encore des difficultés maintenant. Il est encore trop tôt pour faire les comptes dans les foyers d’infection. La période d’incubation est longue, les dégâts sur la santé mettent du temps parfois à se manifester. Je reste très prudent. Vu la réactivité, peut-être passera-t-on à côté de la catastrophe totale. Mais il reste encore beaucoup de zones fragiles, qui ne vont pas disparaître avec le déconfinement.

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